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09/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12660

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juillet 2001, 12660


Numéro 12660 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2000 Audience publique du 9 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … KOZICA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12660 du rôle, déposée le 20 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, assisté

de Maître Olivier TOTH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats ...

Numéro 12660 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2000 Audience publique du 9 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … KOZICA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12660 du rôle, déposée le 20 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Olivier TOTH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KOZICA, né le … à Zavinogradje/Prije Polje (Serbie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 septembre 2000 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2001;

Vu la lettre déposée le 12 février 2001 par Maître Yann BADEN informant le tribunal de ce que Monsieur KOZICA bénéficie de l’assistance judiciaire;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2001 par Maître Yann BADEN pour compte de Monsieur KOZICA;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier TOTH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 avril 2001.

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Le 22 juillet 1998, Monsieur … KOZICA, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur KOZICA fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur KOZICA fut entendu en date du 6 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur KOZICA, par lettre du 22 septembre 2000, notifiée en date du 20 novembre 2000, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet, Monsieur KOZICA a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 20 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Le demandeur déclare se rapporter à prudence de justice quant à la tardivité du dépôt du mémoire en réponse du délégué du Gouvernement en soutenant que ce dernier ne disposerait que d’un délai d’un mois à partir de l’introduction du recours pour le dépôt de son premier mémoire.

Dans la mesure où l’article 5 (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives dispose que le défendeur est tenu de fournir sa réponse dans le délai de trois mois à dater de la signification de la requête introductive et où le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement a été déposé le 8 février 2001, donc en l’occurrence dans les trois mois à partir du dépôt de la requête introductive en date du 20 décembre 2000, ce moyen tendant à voir écarter ledit mémoire en réponse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Quant au fond, le demandeur renvoie d’abord à la situation générale dans son pays d’origine et plus particulièrement aux tensions ethniques et religieuses ainsi qu’aux 2 nombreux affrontements ayant eu lieu au moment de son départ, tout en estimant que, même en admettant une amélioration de la situation, les autorités au pouvoir à l’heure actuelle ne sauraient garantir à toute personne habitant ce territoire « une vie décente à ce jour ». Il expose encore avoir reçu en juillet 1998 une convocation pour accomplir son service militaire et qu’il aurait été confronté, au vu de sa confession musulmane, à l’alternative entre des persécutions à l’intérieur de l’armée en raison de sa religion au cas où il aurait donné suite à cet appel et des mauvais traitements ou un emprisonnement suite à son insoumission.

Estimant que sa sécurité ne serait plus assurée et craignant les suites préjudiciables à la fois d’une entrée à l’armée et de son insoumission, le demandeur affirme avoir quitté son pays d’origine en raison des persécutions qu’il craignait de la part des Serbes et plus particulièrement des Serbes dans l’armée fédérale yougoslave. Dans la mesure où sa situation serait une conséquence directe de la guerre « qui a eu lieu et qui n’est toujours pas terminée », le demandeur soutient que la crainte dont il fait état serait de nature à rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine et il conclut principalement à la réformation de la décision ministérielle critiquée et subsidiairement à son annulation pour violation de la loi en reprochant au ministre de ne pas avoir vérifié concrètement s’il a des raisons de craindre d’être persécuté.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Le demandeur fait répliquer que, malgré les améliorations apparentes de la situation en Yougoslavie, les pouvoirs en place seraient encore incapables d’assurer à la population un minimum de sécurité et la jouissance effective des droits fondamentaux récemment reconnus à travers des modifications législatives. Il ajoute que sa région natale du Sandzak se trouverait dans une situation particulière et que des conflits rendant la vie de la population civile difficile, voire même intolérable y subsisteraient.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

3 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 6 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur KOZICA n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

En outre, les craintes de persécutions en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane du demandeur et de la situation politique générale dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi, voire même allégué un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, 4 déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2001 par:

M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12660
Date de la décision : 09/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-09;12660 ?

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