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04/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12950

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2001, 12950


Tribunal administratif N° 12950 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 février 2001 Audience publique du 4 juillet 2001

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Recours formé par les époux … … et … AHMAGJEKAJ, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’expulsion

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12950 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 février 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avoca

t à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … …, de nationalité...

Tribunal administratif N° 12950 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 février 2001 Audience publique du 4 juillet 2001

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Recours formé par les époux … … et … AHMAGJEKAJ, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’expulsion

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12950 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 février 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … …, de nationalité portugaise, et … AHMAGJEKAJ, de nationalité yougoslave, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 2 février 2001, notifiée en date du 16 février 2001, prononçant à l’égard de Monsieur AHMAGJEKAJ l’expulsion du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2001 pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 juin 2001.

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Le 2 février 2001, le ministre de la Justice prit un arrêté d’expulsion, sur base de l’article 9 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ;

2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, à l’encontre de Monsieur … AHMAGJEKAJ, préqualifié, aux motifs suivants :

« - possession et usage d’armes prohibées ;

- coups et blessures à autrui ;

- usage d’un permis de conduire falsifié ;

- défaut de moyens d’existence légitimes ;

- par son comportement personnel l’intéressé constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics. » Par requête déposée le 21 février 2001, les époux … AHMAGJEKAJ et … … ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 2 février 2001.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction à l’encontre d’une décision d’expulsion, seul un recours en annulation a pu être dirigé contre la décision déférée. Le recours en annulation est dès lors recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent que durant son séjour sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en tant que demandeur d’asile. Monsieur AHMAGJEKAJ aurait fait la connaissance de Madame … …, de nationalité portugaise, qu’il aurait vécu en concubinage avec cette dernière depuis 1998 et qu’il l’a épousée en date du 17 mai 2000 pardevant l’officier de l’état civil de la commune d’Esch-sur-Alzette.

Les demandeurs critiquent l’arrêté ministériel déféré d’abord en ce qu’il ne porterait pas la signature de l’autorité décisionnelle, en faisant valoir que de ce seul fait il serait dépourvu de toute force exécutoire et devrait encourir l’annulation pour violation des règles substantielles destinées à protéger les intérêts des administrés.

Le délégué du Gouvernement rétorque par rapport à ce premier moyen que force serait de constater que la signature du ministre de la Justice figurerait sur la minute de l’arrêté d’expulsion, de même que sur le procès-verbal de notification.

Il est constant à partir des pièces versées au dossier par le délégué du Gouvernement que l’original de l’arrêté ministériel du 2 février 2001 est signé par le ministre de la Justice et renseigne sur son verso, à l’endroit prévu pour la signature de l’étranger, que celui-ci s’est vu notifier ledit arrêté en date du 16 février 2001, mais qu’il « a refusé de signer, parce qu’il n’a pas pu parler avec son avocat ». Il est encore constant que la minute de cet arrêté ministériel est également signée par le ministre de la Justice, de sorte que le fait que l’expédition conforme de l’arrêté ministériel remise au demandeur et portant la mention « conseiller de direction première classe » n’est pas signée, ne porte pas à conséquence, étant donné qu’une expédition conforme ne fait que renseigner le contenu de l’arrêté ministériel sans pour autant se confondre avec ce dernier.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le premier moyen des demandeurs laisse d’être fondé.

Les demandeurs font ensuite valoir que le casier judiciaire de Monsieur AHMAGJEKAJ ne renseignerait pas de condamnations à des peines privatives de liberté prononcées par une juridiction luxembourgeoise pour crimes ou délits, de sorte que la décision litigieuse serait intervenue en violation de l’article 6. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la Convention européenne des droits de l’homme », lequel consacre dans le chef d’une personne accusée d’une infraction le principe de la présomption d’innocence jusqu’à ce 2 que sa culpabilité soit légalement établie. Ils estiment à cet égard que le droit à la présomption d’innocence trouverait à s’appliquer chaque fois que l’intéressé fait l’objet de déclarations de la part de représentants de l’Etat qui reflètent le sentiment qu’il est coupable.

Concernant ensuite le motif de refus basé sur le défaut de moyens d’existence légitimes, les demandeurs estiment que la décision ministérielle serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation des faits, étant donné que le couple AHMAGJEKAJ-… disposerait de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de séjour de Monsieur AHMAGJEKAJ, concrétisés par le salaire de l’épouse. Ils estiment que la décision déférée serait par ailleurs en contradiction totale avec les dispositions des articles 212 et suivants du code civil, compte tenu des devoirs de secours et de la communauté des biens existant entre les époux.

Le délégué du Gouvernement rétorque concernant l’article 6.2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qu’il s’agirait d’un principe de droit pénal non applicable en l’espèce, étant donné que dans la présente affaire, il s’agirait d’apprécier le comportement de Monsieur AHMAGJEKAJ non pas par rapport au droit pénal, mais par rapport au droit administratif et que le ministre de la Justice n’aurait pas à apprécier la culpabilité du demandeur, mais le danger qu’il représente pour l’ordre public luxembourgeois. Concernant plus particulièrement le danger que le demandeur présenterait pour l’ordre public, le représentant étatique se réfère à un rapport de la police judiciaire, section criminalité organisée, du 19 février 2001, ainsi qu’à divers autres rapports des forces de l’ordre figurant au dossier administratif.

Il est constant à partir des pièces versées au dossier que Monsieur AHMAGJEKAJ a épousé en date du 17 mai 2000 Madame …, de nationalité portugaise, de sorte qu’à partir de cette date, il est le conjoint d’un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, étant entendu que son épouse réside au Luxembourg sous le couvert d’une autorisation de séjour valable jusqu’au 19 novembre 2008 et y occupe un emploi salarié auprès de la société anonyme C.M.D..

A partir de sa qualité de conjoint d’un ressortissant communautaire occupant un emploi salarié au Luxembourg, Monsieur AHMAGJEKAJ rentre dès lors sous les prévisions du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales.

Concernant plus particulièrement l’hypothèse vérifiée en l’espèce d’une mesure d’éloignement du pays, l’article 9 du règlement grand-ducal précitée du 28 mars 1972 dispose que pareille mesure ne peut être prise « que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, sans préjudice de la disposition de l’article 4, alinéa 3. La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures ». Le même article précise encore in fine que « les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet ».

Tout comme une condamnation pénale ne justifie pas de plein droit une mesure d’expulsion à l’égard d’un étranger, l’absence de condamnation ne l’exclut pas en soi. Il incombe au tribunal de vérifier, au cas par cas, si la nature des faits reprochés à l’étranger et sur lesquels l’administration s’est fondée, dénote un comportement personnel de l’intéressé révélant une atteinte à l’ordre public justifiant au regard des conditions légales une décision 3 d’expulsion (cf. trib. adm. 6 octobre 1997, n° 9841 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Etrangers, n° 77 et autres références y citées).

Il s’ensuit qu’une condamnation pénale n’est pas une condition nécessaire pour révéler un risque d’atteinte à l’ordre et à la sécurité publics, et que le ministre, dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’un risque d’atteinte à l’ordre ou à la sécurité publics, dispose d’un pouvoir autonome et distinct de l’action publique ou pénale pour apprécier le comportement de l’étranger concerné.

En l’espèce, il se dégage des pièces versées au dossier et plus particulièrement d’un procès-verbal référencé sous le numéro 2287 de la gendarmerie grand-ducale du 22 avril 1999 renseignant les déclarations de Monsieur AHMAGJEKAJ que celui-ci, à l’aube du 22 avril 1999, fut en possession d’une arme à feu pour laquelle il ne disposait pas de l’autorisation requise et que dans le cadre d’un incident ayant eu lieu aux alentours de la discothèque au service de laquelle il travaillait en tant que videur, il s’était servi de cette arme lors de la poursuite de plusieurs personnes.

Abstraction faite des circonstances à la base de cet incident, les faits ainsi dégagés et non contestés en tant que tels en cause, sont d’une gravité certaine et dénotent dans le chef de Monsieur AHMAGJEKAJ un comportement peu respectueux des lois et hautement dangereux, en ce qu’il a non seulement possédé une arme sans autorisation, mais également fait usage de celle-ci sur la voie publique, de sorte que le ministre, dans le cadre du pouvoir d’appréciation lui conféré en la matière, a valablement pu estimer que Monsieur AHMAGJEKAJ, de par son comportement personnel, risque de troubler l’ordre et la sécurité publics.

Cette conclusion ne se heurte pas au principe de la présomption d’innocence, étant donné que la décision déférée ne porte pas sur le bien fondé d’une accusation en matière pénale, même si elle se fonde sur des faits, établis à partir des affirmations mêmes de Monsieur AHMAGJEKAJ, qui sont susceptibles d’être poursuivis pénalement.

S’il est certes vrai que la décision déférée peut s’analyser en une ingérence dans la vie privée et familiale de Monsieur AHMAGJEKAJ au sens de l’article 8 paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, et qu’il est de principe que les Etats ayant ratifié ladite Convention, tout en ayant le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, ont cependant accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention, il n’en demeure cependant pas moins qu’aux termes de l’alinéa 2 de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit pour autant que cette ingérence est prescrite par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la santé publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou la protection des droits et libertés d’autrui.

En l’espèce, la décision déférée respecte un juste équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, le droit des demandeurs au respect de leur vie familiale et privée, et, d’autre part, la protection de l’ordre public et la prévention des infractions pénales. En effet, le ministre a pu estimer, au stade où il a été appelé à statuer, sans transgresser les limites de son pouvoir d’appréciation, que les faits ci-avant dégagés, caractérisent le comportement d’un étranger, en l’espèce Monsieur AHMAGJEKAJ, susceptible de compromettre à nouveau la 4 tranquillité, l’ordre et surtout la sécurité publics de manière à justifier l’ingérence de l’autorité publique dans le droit des demandeurs au respect de leur vie privée et familiale.

Il se dégage des considérations qui précèdent que l’arrêté ministériel déféré est motivé à suffisance de droit et de fait en ce qu’il énonce comme motifs « -possession et usage d’armes prohibées » et que par « son comportement personnel l’intéressé constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics », sans qu’il soit nécessaire d’examiner plus en avant les autres motifs invoqués, ainsi que les moyens afférents présentés par les demandeurs.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juillet 2001 par :

M. Schockweiler, vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12950
Date de la décision : 04/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-04;12950 ?

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