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04/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12943

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2001, 12943


Numéro 12943 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 février 2001 Audience publique du 4 juillet 2001 Recours formé par les époux … KOZAR et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12943 du rôle et déposée le 20 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc ELVINGER,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux …...

Numéro 12943 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 février 2001 Audience publique du 4 juillet 2001 Recours formé par les époux … KOZAR et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12943 du rôle et déposée le 20 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … KOZAR, né le … à Niksic, (Monténégro/Yougoslavie), et … …, née le … à Dolja-Plav, (Monténégro/Yougoslavie), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants … KOZAR, née le … à Podgorica, et … KOZAR, né le … à Podgorica, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 octobre 2000, notifiée le 29 novembre 2000, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre datant du 19 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Marc ELVINGER, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 juin 2001.

En date du 21 avril 1999, les époux … KOZAR et … …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants … et … KOZAR, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux KOZAR-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 27 juillet 1999, les époux KOZAR-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

Le ministre de la Justice informa les époux KOZAR-…, par lettre datant du 12 octobre 2000, notifiée en date du 29 novembre 2000, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou l’appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans leur chef.

A l’encontre de cette décision, les époux KOZAR-SAHMANOAVIC ont fait introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire datant du 22 décembre 2000.

Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 19 janvier 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 12 octobre 2000 et 19 janvier 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils sont originaires du Monténégro et de confession musulmane. Ils relèvent plus particulièrement que lors de son audition Monsieur KOZAR a indiqué qu’au début des bombardements par les forces de l’OTAN de la Serbie, du Monténégro et du Kosovo, il aurait été convoqué à deux reprises pour la réserve au moment de la mobilisation générale, mais qu’il aurait alors refusé de servir dans l’armée serbe et que cet acte d’insoumission lui aurait fait courir le risque de se voir sanctionner, étant entendu que de telles sanctions seraient à considérer comme illégitimes et partant susceptibles de constituer un acte de persécution au sens de la 2 Convention de Genève. Les demandeurs relèvent par ailleurs que les tensions politiques et religieuses resteraient telles dans leur pays d’origine que la question de la sécession du Monténégro par rapport à la Fédération Yougoslave, d’une part, et l’appartenance à la minorité musulmane, d’autre part, constitueraient des facteurs qui font courir des risques de persécution aux personnes engagées politiquement pour ces idées et aux personnes faisant partie de la minorité musulmane. Ils signalent à cet égard qu’il résulterait clairement du rapport d’audition de Monsieur KOZAR ainsi que du témoignage d’un co-militant de celui-

ci, que ses activités politiques lui feraient encourir aujourd’hui des risques de persécution, de sorte que la crainte de persécution afférente par eux invoquée ne serait pas purement théorique et abstraite, mais une crainte concrète répondant aux critères de légitimité tels que requis par la Convention de Genève.

Les demandeurs critiquent les décisions déférées d’abord en faisant valoir qu’elles seraient dépourvues de motivation susceptible de les justifier légalement et relèvent à cet égard qu’ils ont fait expressément remarquer au ministre, à travers leur recours gracieux du 22 décembre 2000, que sa décision de refus initiale n’était pas motivée au regard de l’insoumission de Monsieur KOZAR. Ils estiment que le ministre, dans sa décision confirmative du 19 janvier 2000, bien qu’ayant, suivant sa propre affirmation, procédé à un réexamen du dossier, n’aurait toujours pas motivé sa décision par référence à la situation spécifique des demandeurs du fait de l’insoumission de Monsieur KOZAR. Ils sollicitent dès lors principalement l’annulation des décisions critiquées pour défaut de motifs susceptibles de la justifier légalement, ainsi que, subsidiairement, seulement leur réformation en renvoyant à leur développements concernant le défaut de pertinence de la motivation des décisions ministérielles déférées. Pour illustrer leur propos, les demandeurs renvoient en particulier à un document émanant du HCR et à des articles de presse confirmant que les déserteurs ne seraient toujours pas, en l’état actuel, à l’abri d’arrestations par les autorités serbes, y compris au Monténégro, lesquels document et articles sont versés au dossier.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait tenu compte de la situation d’insoumis de Monsieur KOZAR, ainsi que des peines qu’il risque d’encourir de ce chef en ayant relevé que « la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, constituer une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève ». Il fait valoir que cette motivation serait d’autant plus vrai à l’heure actuelle, étant donné qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le parlement de la République Fédérale Yougoslave au mois de février 2001 et que les requérants ne sauraient dès lors se prévaloir de la crainte d’un emprisonnement du chef d’insoumission et de persécutions qu’ils risqueraient d’encourir de ce chef. Pour le surplus, le délégué du Gouvernement estime que les demandeurs n’invoqueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, mais se référeraient à la situation générale dans leur pays, ainsi qu’à leur appartenance à la minorité bochniaque. Il relève encore qu’il ne saurait être passé outre le fait que depuis le départ des demandeurs en avril 1999, la situation politique en République Fédérale Yougoslave se serait considérablement modifiée en ce que non seulement un nouveau président a été démocratiquement élu en automne 2000, mais encore en ce qu’un nouveau Gouvernement a été formé, de même que par le fait que l’arrestation et l’incarcération de Milosevic démontrerait bien la volonté des autorités yougoslave de tourner définitivement la page sur le passé.

Il convient en premier lieu d’examiner le moyen invoqué par les demandeurs consistant à soutenir que les décisions ministérielles déférées seraient entachées d’illégalité pour défaut de motivation suffisante.

3 Force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision initiale du 12 octobre 2000, que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance des demandeurs. – Par ailleurs, le fait par la décision confirmative du 19 janvier 2001 de confirmer purement et simplement la décision initiale, implique que cette deuxième décision se base sur les mêmes dispositions légales et réglementaires, ainsi que sur les mêmes motifs en fait que ceux sur lesquels s’est basée la décision initiale.

L’existence des motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser plus en avant la justification au fond des deux décisions de refus d’accorder le statut de réfugié politique déféré.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leur auditions respectives en date du 27 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission ou la désertion de Monsieur KOZAR, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur KOZAR risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une 4 minorité religieuse, risquent de lui être infligés dans le cadre de son service militaire, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait encore effectivement exécutée à son encontre. Concernant ce dernier point, il convient en effet de relever que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur KOZAR n’établit pas, au vu de la situation actuelle en Yougoslavie, que les condamnations prononcées seraient encore effectivement exécutées, ceci au vu plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et plus particulièrement, à travers les articles visés, également ceux qui, à l’instar de Monsieur KOZAR, ont quitté le pays en vue de se soustraire à leurs obligations militaires.

Concernant ensuite les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur confession musulmane et des activités politiques de Monsieur KOZAR, force est de constater qu’elles constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi qu’à l’heure actuelle ils seraient encore exposés à un risque de persécution tel que leur vie serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juillet 2001 par:

Mme Lenert, premier juge Mme Lamesch, juge M. Schroeder, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12943
Date de la décision : 04/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-04;12943 ?

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