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04/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12856

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2001, 12856


Tribunal administratif N° 12856 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 février 2001 Audience publique du 4 juillet 2001

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Recours formé par M. … BORANCIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12856 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 février 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de M. … BORANCIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité...

Tribunal administratif N° 12856 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 février 2001 Audience publique du 4 juillet 2001

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Recours formé par M. … BORANCIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12856 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 février 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … BORANCIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 octobre 2000, notifiée le 21 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 2 janvier 2001, notifiée au mandataire du demandeur le 4 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 5 mai 1999, M. … BORANCIC, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. BORANCIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 M. BORANCIC fut ensuite entendu le 18 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 5 octobre 2000, notifiée le 21 novembre 2000, le ministre de la Justice informa M. BORANCIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Yougoslavie le 23 avril 1999. Vous êtes arrivé au Luxembourg le 5 mai 1999 vers 6.00 heures.

Vous exposez ne pas avoir fait votre service militaire. Vous auriez reçu un appel de l’armée pour vous présenter le 22 mars 1999.

Votre insoumission serait motivée par votre refus d’aller tuer des gens ou d’être tué.

Tous les soldats musulmans auraient été envoyés au Kosovo.

Vous expliquez que les déserteurs seraient tous mis en prison.

Vous indiquez avoir été membre du SDA. Vous n’auriez eu que de petits problèmes à cause de votre adhésion à ce parti, alors que vos parents, eux aussi membres du SDA, auraient été maltraités par la police en 1995.

En 1996, la police vous aurait convoqué une fois parce que vous auriez été soupçonné d’être en possession d’armes prohibées.

Vous invoquez en outre que la situation économique et politique serait mauvaise en Yougoslavie.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

Il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de la situation politique en Yougoslavie. Or, un sentiment général d’insécurité en raison de la situation politique dans le pays d’origine du demandeur d’asile ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En outre, les problèmes que vous auriez eus en 1996 avec la police à cause de votre adhésion au SDA ne sont pas d’une gravité telle - même à les supposer établis - qu’ils justifieraient l’octroi du statut de réfugié.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie ».

2 Par lettre du 20 décembre 2000, M. BORANCIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 5 octobre 2000.

Par décision du 2 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 5 février 2001, M. BORANCIC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 5 octobre 2000 et 2 janvier 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de religion musulmane, qu’il a quitté son pays parce qu’il aurait « fait l’objet de discriminations par les autorités serbes dans différents domaines et ce uniquement en raison de [son appartenance à la] (…) minorité boshniaque », qu’il aurait refusé de donner suite à une convocation pour faire son service militaire, au motif qu’il aurait refusé de s’associer à des actions militaires condamnées par la communauté internationale, qu’en raison de son insoumission, il risquerait d’encourir une peine pénale disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction, cette peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison et qu’il aurait été membre actif du parti politique d’opposition « SDA ».

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission, ses convictions et adhérence politiques et son appartenance ethnique qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. BORANCIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. BORANCIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. BORANCIC lors de son audition en date du 18 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission du demandeur, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

BORANCIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. BORANCIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant les prétendues activités dans le parti d’opposition « SDA », s’il est vrai que de telles activités peuvent justifier des craintes de persécution, la simple qualité de membre à elle seule étant insuffisante, il y a néanmoins lieu de constater que le demandeur a simplement 4 affirmé avoir joué un rôle actif sans spécifier en quoi ses prétendues activités ont consisté et surtout, il n’a pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine en raison de son adhésion audit parti.

Ensuite, concernant la situation du demandeur au Monténégro en raison de son appartenance à la minorité « bochniaque », il est vrai que la situation générale des « bochniaques » au Monténégro est difficile, mais elle n’est cependant pas telle que tout « bochniaque », du seul fait de son appartenance à ladite minorité, aurait raison de craindre une persécution de la part des autorités en place, et, en l’espèce, il ne ressort pas des éléments du dossier que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance à ladite minorité ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé, de sorte que la crainte y afférente qu’il a exprimé s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève. Dans ce contexte, le tribunal relève que l’allégation vague en rapport avec des « discriminations par les autorités serbes dans différents domaines » est insuffisante à elle-seule pour justifier que sa vie serait devenue insupportable dans son pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 4 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12856
Date de la décision : 04/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-04;12856 ?

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