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04/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12835

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2001, 12835


Tribunal administratif N° 12835 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2001 Audience publique du 4 juillet 2001

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Recours formé par les époux … … et … AHMAGJEKAJ, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12835 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2001 par Maître Ardavan FATHOLAH

ZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … …, d...

Tribunal administratif N° 12835 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2001 Audience publique du 4 juillet 2001

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Recours formé par les époux … … et … AHMAGJEKAJ, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12835 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … …, de nationalité portugaise, et … AHMAGJEKAJ, de nationalité yougoslave, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision implicite de rejet de leur demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Monsieur AHMAGJEKAJ, introduite auprès du ministre de la Justice en date du 28 juillet 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2001 pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 juin 2001.

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Monsieur … AHMAGJEKAJ, préqualifié, a quitté son pays d’origine et déposé une demande en obtention du statut de réfugié politique au Grand-Duché de Luxembourg, en date du 10 février 1998, laquelle s’est soldée par une décision négative datant du 9 mars 2000, confirmée à la fois sur recours gracieux par décision ministérielle du 26 juillet 2000 ainsi que par jugement du tribunal administratif du 11 décembre 2000.

Monsieur AHMAGJEKAJ ayant entre-temps contracté mariage avec Madame … …, préqualifiée, pardevant l’officier de l’état civil d’Esch-sur-Alzette en date du 17 mai 2000, il s’est adressé par l’intermédiaire de son mandataire au ministre de la Justice par courrier datant du 28 juillet 2000 pour solliciter une autorisation de séjour au Luxembourg en joignant à ce courrier des copies de son affiliation à la sécurité sociale, d’un certificat de composition de ménage, de son passeport, ainsi que de son acte de mariage.

Cette demande n’ayant pas fait l’objet d’une réponse du ministre, les époux AHMAGJEKAJ-… ont fait introduire, par requête déposée en date du 29 janvier 2001, un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision implicite de refus se dégageant du silence observé par l’administration par rapport à leur demande introduite en date du 28 juillet 2000.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, seul un recours en annulation a pu être introduit.

Conformément aux dispositions de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, une décision implicite de refus est supposée avoir été prise trois mois après l’introduction d’une demande, sauf si une décision expresse a été prise avant l’expiration de ce délai de trois mois, de sorte qu’un recours contentieux a en l’espèce pu être dirigé contre une décision implicite de refus se dégageant du silence de plus de trois mois gardé par le ministre de la Justice depuis l’introduction de la demande des époux AHMAGJEKAJ-… datant du 28 juillet 2000. Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi, étant entendu que par la force des choses, une décision de refus implicite se dégageant du silence n’est ni motivée ni pourvue d’une instruction sur les voies de recours, de sorte qu’aucun délai de recours n’a pu commencer à courir à son encontre.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir en premier lieu que la décision déférée serait dénuée de toute motivation et devrait de ce seul fait encourir l’annulation. Ils font valoir en outre qu’ils disposeraient de moyens personnels suffisants pour supporter leurs frais de séjour et qu’ils vivraient en parfaite harmonie, de manière à remplir les conditions posées par les articles 5 et 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère. Ils estiment partant que c’est à tort que le ministre, ayant eu une parfaite connaissance de leur situation familiale à travers le contenu de leur demande lui adressée par courrier du 28 juillet 2000, aurait refusé de faire droit à leur demande. Ils font valoir en outre que la décision déférée serait constitutive d’une ingérence au sens de l’article 8 paragraphe 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la Convention européenne des droits de l’homme », en ce que ses conséquences auraient une portée disproportionnée par rapport au but qui pourrait légitimement être poursuivi par l’autorité administrative. Ils relèvent à cet égard que la décision déférée serait constitutive dans le chef de Monsieur AHMAGJEKJAJ d’un « déracinement » difficilement supportable d’un point de vue humain en ce que tant sa famille que celle de son épouse résideraient d’ores et déjà sur le territoire luxembourgeois et qu’en cas de retour dans son pays natal, il n’aurait plus qu’une possibilité très réduite de continuer à avoir des contacts étroits avec son épouse et ses proches parents.

Concernant le premier moyen avancé tenant à l’absence de motivation de la décision déférée, il y a lieu de relever que la sanction de l’obligation de motiver une décision 2 administrative consiste dans la suspension des délais de recours et que la décision reste valable à cet égard lorsque l’administration produit ou complète les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif (cf. Cour adm. 8 juillet 1997, n° 9918C du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 28 et autres références y citées).

En l’espèce, le délégué du Gouvernement a produit les motifs à la base de la décision de refus déférée à travers son mémoire en réponse en faisant valoir que c’est sur base de l’appréciation du danger que constituerait Monsieur AHMAGJEKAJ pour l’ordre public luxembourgeois que le ministre a refusé de faire droit à sa demande en autorisation de séjour.

Il renvoit à cet égard à un rapport de la police judiciaire, section criminalité organisée, du 19 février 2001 ainsi qu’à divers autres rapports des forces de l’ordre figurant au dossier administratif pour soutenir qu’au vu des activités extrêmement dangereuses de Monsieur AHMAGJEKAJ, le ministre aurait décidé à juste titre et sur base de motifs tirés de l’ordre et de la sécurité publics de lui refuser une autorisation de séjour. Par référence aux mêmes motifs, le représentant étatique fait valoir que même s’il y avait une ingérence au sens de l’article 8 paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, celle-ci serait justifiée en l’espèce.

L’existence d’une motivation à la base de la décision déférée étant vérifiée à partir des précisions apportées par le délégué du Gouvernement en cours de procédure contentieuse, le premier moyen basé sur une absence de motivation laisse d’être fondé, de sorte qu’il y a lieu d’examiner plus en avant le fond du litige.

Il est constant à partir des pièces versées au dossier que Monsieur AHMAGJEKAJ a épousé en date du 17 mai 2000 Madame …, de nationalité portugaise, de sorte qu’à partir de cette date il est le conjoint d’un ressortissant d’un Etat membre de l’Union Européenne, étant entendu que son épouse réside au Luxembourg sous le couvert d’une autorisation de séjour valable jusqu’au 19 novembre 2008 et y occupe un emploi salarié auprès de la société anonyme C.M.D..

A partir de sa qualité de conjoint d’un ressortissant communautaire occupant un emploi salarié au Luxembourg, Monsieur AHMAGJEKAJ rentre dès lors sous les prévisions de l’article 1er, 8. du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, de sorte que conformément aux dispositions de l’article 3 du même règlement grand-ducal, qui, depuis sa modification intervenue en date du 3 juin 1996, dispose que « les personnes mentionnées à l’article 1er sub 1) à 10), âgées de plus de quinze ans, qui se proposent de résider au Luxembourg plus de trois mois, obtiennent une carte de séjour », il a en principe droit à la délivrance d’une autorisation de séjour au Luxembourg, étant entendu que ledit article 3 dispose dans son deuxième alinéa que la carte de séjour délivrée aux membres de la famille n’ayant pas la nationalité d’un Etat membre aura la même durée de validité que celle du ressortissant dont il dépend.

Le droit dérivé ainsi consacré n’est cependant pas absolu étant donné que l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 28 mars 1972, en disposant que « la carte de séjour ne peut être refusée ou retirée aux ressortissants énumérés à l’article 1er et une mesure d’éloignement du pays ne peut être prise à leur encontre que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publics ou de santé publique, sans préjudice de la disposition de l’article 4, alinéa 3. La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures » confère 3 au ministre de la Justice le pouvoir de refuser l’octroi d’une carte de séjour pour des raisons y plus spécifiquement définies.

Les demandeurs font valoir à cet égard que le casier judiciaire de Monsieur AHMAGJEKAJ ne renseignait aucune condamnation pénale à l’époque où s’est cristallisée la décision déférée, c’est-à-dire au 28 octobre 2000, et que le ministre n’aurait partant pas pu se baser sur les différents procès-verbaux versés au dossier, sous peine de violer le principe de la présomption d’innocence.

Tout comme une condamnation pénale ne justifie pas de plein droit le refus de la délivrance d’une autorisation d’entrée et de séjour au pays à l’égard d’un étranger, l’absence de condamnation ne l’exclut pas en soi. Il incombe au tribunal de vérifier, au cas par cas, si la nature des faits reprochés à l’étranger et sur lesquels l’administration s’est fondée, dénotent un comportement personnel de l’intéressé révélant une atteinte à l’ordre public justifiant au regard des conditions légales un refus d’une telle autorisation (cf. trib. adm. 6 octobre 1997, n° 9841 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Etranger, n° 77 et autres références y citées).

Il s’ensuit qu’une condamnation pénale n’est pas une condition nécessaire pour révéler un risque d’atteinte à l’ordre et à la sécurité publics, et que le ministre, dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’un risque d’atteinte à l’ordre ou à la sécurité publics, dispose d’un pouvoir autonome et distinct de l’action publique ou pénale pour apprécier le comportement de l’étranger concerné.

En l’espèce, la décision déférée est basée sur ce que Monsieur AHMAGEJKAJ aurait affiché à plusieurs reprises un comportement dangereux dénotant dans son chef un risque de porter atteinte à l’ordre et à la sécurité publics luxembourgeois, lequel se dégagerait des divers rapports et procès-verbaux des forces de l’ordre figurant au dossier administratif.

Concernant le premier rapport expressément invoqué par le représentant étatique datant du 19 février 2001 et dressé par la police judiciaire, section criminalité organisée, il y a lieu de relever que le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation, est tenu d’apprécier la légalité de la décision déférée au jour où elle a été prise, de sorte que ledit rapport, postérieur à la décision déférée cristallisée au 28 octobre 2000, ne saurait utilement être retenu pour illustrer les motifs à la base de la décision déférée.

Force est cependant de constater qu’au-delà dudit rapport du 19 février 2001, il existe d’autres éléments dans le dossier administratif et plus particulièrement un procès-verbal référencé sous le numéro 2287 de la gendarmerie grand-ducale du 22 avril 1999 permettant de dégager à partir des déclarations-mêmes du demandeur y renseignées et non contestées en cause, que celui-ci, à l’aube du 22 avril 1999, fut en possession d’une arme à feu pour laquelle il ne disposait pas de l’autorisation requise et que dans le cadre d’un incident ayant eu lieu aux alentours de la discothèque au service de laquelle il travaillait en tant que videur, il s’était servi de cette arme lors de la poursuite de plusieurs personnes.

Abstraction faite des circonstances à la base de cet incident, les faits ainsi dégagés sont d’une gravité certaine et dénotent dans le chef du demandeur un comportement peu respectueux des lois et hautement dangereux, en ce qu’il a non seulement possédé une arme sans autorisation, mais également fait usage de celle-ci sur la voie publique, de sorte que le ministre, dans le cadre du pouvoir d’appréciation lui conféré en la matière, a valablement pu estimer que le demandeur, de par son comportement personnel, risque de troubler l’ordre et la 4 sécurité publics, ceci d’autant plus que le dossier administratif renseigne d’autres procès-

verbaux qui, même s’ils n’établissent pas avec certitude un comportement dangereux de Monsieur AHMAGJEKAJ, constituent cependant des indices justifiant une certaine prudence du ministre lors de l’appréciation d’une demande en autorisation de séjour de l’intéressé.

Cette conclusion ne se heurte pas au principe de la présomption d’innocence, étant donné que la décision déférée ne porte pas sur le bien fondé d’une accusation en matière pénale, même si elle se fonde sur des faits, établis à partir des affirmations mêmes de Monsieur AHMAGJEKAJ, qui pourraient par ailleurs être constitutifs d’une infraction pénale.

S’il est certes vrai que la décision déférée peut s’analyser en une ingérence dans la vie privée et familiale des demandeurs au sens de l’article 8 paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, et qu’il est de principe que les Etats ayant ratifié ladite Convention, tout en ayant le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, ont cependant accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention, il n’en demeure cependant pas moins qu’aux termes de l’alinéa 2 de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit pour autant que cette ingérence est prescrite par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la santé publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou la protection des droits et libertés d’autrui.

En l’espèce, la décision déférée respecte un juste équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, le droit des demandeurs au respect de leur vie familiale et privée, et, d’autre part, la protection de l’ordre public et la prévention des infractions pénales. En effet, le ministre a pu estimer, au stade où il a été appelé à statuer, sans transgresser les limites de son pouvoir d’appréciation, que les faits ci-avant dégagés, caractérisent le comportement d’un étranger susceptible de compromettre à nouveau la tranquillité, l’ordre et surtout la sécurité publics de manière à justifier l’ingérence de l’autorité publique dans le droit de cette personne au respect de sa vie privée et familiale.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juillet 2001 par :

5 M. Schockweiler, vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12835
Date de la décision : 04/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-04;12835 ?

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