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04/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12773

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2001, 12773


Tribunal administratif N° 12773 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 janvier 2001 Audience publique du 4 juillet 2001

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Recours formé par M. … SABANOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12773 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocat

s à Luxembourg, au nom de M. … SABANOVIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationa...

Tribunal administratif N° 12773 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 janvier 2001 Audience publique du 4 juillet 2001

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Recours formé par M. … SABANOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12773 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … SABANOVIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 septembre 2000, notifiée le 3 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 7 décembre 2001, notifiée au mandataire du demandeur le 13 décembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 17 novembre 1998, M. … SABANOVIC, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 M. SABANOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

M. SABANOVIC fut ensuite entendu les 5 août, 10 et 17 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 12 septembre 2000, notifiée le 3 novembre 2000, le ministre de la Justice informa M. SABANOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Yougoslavie le 20 septembre 1998 pour arriver au Luxembourg le 17 novembre 1998.

Vous exposez avoir reçu un appel pour faire le service militaire. Vous auriez dû vous présenter le 23 septembre 1998.

Vous expliquez avoir refusé de faire votre service militaire parce que vous n’auriez pas voulu participer à une guerre contre des gens avec lesquels vous avez grandi. La police militaire serait venue vous chercher.

Vous avez peur d’être sanctionné à cause de votre refus de faire le service militaire, mais vous ignorez quelles sanctions vous attendent. Vous auriez eu une convocation de vous présenter au tribunal.

Vous expliquez avoir été membre du SDA. Vous auriez été le président de la section de jeunesse du SDA dans le secteur de Rasovo.

Vous indiquez que vos copains serbes ou des membres du DPS de Bulatovic auraient trouvé du travail beaucoup plus facilement que les membres du SDA.

Selon vos opinions, les musulmans seraient en majorité au Sandzak, mais ils seraient écartés du pouvoir politique.

Vous déclarez que votre père aussi a été appelé à faire la réserve, et qu’il aurait été recherché par la police militaire.

En décembre 1995, votre père aurait été condamné à une peine d’emprisonnement de 2 ans pour possession d’armes prohibées. Votre oncle aurait été emprisonné en sa place étant donné que les policiers ne le trouvaient pas.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de votre adhésion au SDA. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions.

2 Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Les problèmes que votre père aurait eu avec la police en 1995 ne sauraient être considérés comme éléments justifiant l’octroi du statut de réfugié, étant donné que vous déclarez vous-même qu’il aurait été en possession d’un kalachnikov.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie ».

Par lettre du 1er décembre 2000, M. SABANOVIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 septembre 2000.

Par décision du 7 décembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 15 janvier 2001, M. SABANOVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 12 septembre et 7 décembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de religion musulmane, qu’il a quitté son pays parce que sa famille aurait « fait l’objet de discriminations par les autorités serbes dans différents domaines et ce uniquement en raison de [son appartenance à la] (…) minorité boshniaque », qu’il aurait refusé de donner suite à une convocation pour faire son service militaire, au motif qu’il aurait refusé de s’associer à des actions militaires condamnées par la communauté internationale, qu’en raison de son insoumission, il risquerait d’encourir une peine pénale disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction, cette peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison. Il ajoute qu’il aurait été membre actif du parti politique d’opposition « SDA » et, plus particulièrement, président de la section de jeunesse dudit parti dans le secteur de Rasovo. Enfin, il soutient que son père aurait été condamné et emprisonné pour possession illégale d’armes, à savoir une arme automatique que le parti SDA lui aurait fourni et que son oncle aurait également été arrêté dans ce contexte « au motif que ces derniers [les autorités serbes] n’ont pas pu arrêter le père du requérant ».

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

3 En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission, son appartenance ethnique et sa croyance religieuse, qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. SABANOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Lors de l’audience fixée pour les plaidoiries, le mandataire du demandeur a encore soulevé oralement un nouveau moyen d’annulation tiré d’un prétendu détournement de pouvoir et de procédure au motif que le ministre aurait volontairement fait perdurer l’instruction de la présente affaire pendant 18 mois et qu’il n’aurait pris sa décision qu’à un moment où « ça l’aurait arrangé ».

Ledit moyen nouveau, abstraction faite de toutes autres considérations, notamment quant au délai pour présenter les moyens dirigés contre une décision administrative, est à écarter, étant donné que la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite et que ledit moyen n’a pas été soulevé dans un mémoire écrit.

Ceci dit, aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. SABANOVIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. SABANOVIC lors de ses auditions en date des 5 août, 10 et 17 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

4 En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission du demandeur, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

SABANOVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. SABANOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant le prétendu rôle actif joué par le demandeur dans le parti d’opposition « SDA », s’il est vrai que des activités politiques peuvent justifier des craintes de persécution, la simple qualité de membre à elle seule étant insuffisante, il y a néanmoins lieu de constater que le demandeur a simplement affirmé avoir joué un rôle actif sans spécifier en quoi ses prétendues activités ont consisté et surtout, il n’a pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine en raison de son adhésion audit parti.

Ensuite, concernant la situation du demandeur au Monténégro en raison de son appartenance à la minorité « bochniaque », il est vrai que la situation générale des « bochniaques » au Monténégro est difficile, mais elle n’est cependant pas telle que tout « bochniaque », du seul fait de son appartenance à ladite minorité, aurait raison de craindre une persécution de la part des autorités en place, et, en l’espèce, il ne ressort pas des éléments du dossier que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance à ladite minorité ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé, de sorte que la crainte y afférente qu’il a exprimé s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève. Dans ce contexte, le tribunal relève que l’allégation vague en rapport avec des « discriminations par les autorités serbes dans différents domaines » est insuffisante à elle-seule pour justifier que sa vie serait devenue insupportable dans son pays d’origine.

Enfin, les prétendues arrestations et condamnations de ses père et oncle en raison de la détention illicite d’armes, même à les supposer établies, ne constituent pas l’expression d’une 5 persécution vécue ou d’un risque de persécution, dans le chef du demandeur, documentant que les conditions de vie lui seraient devenues intolérables dans son pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 4 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12773
Date de la décision : 04/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-04;12773 ?

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