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03/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12867

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 juillet 2001, 12867


Tribunal administratif N° 12867 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 février 2001 Audience publique du 3 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … DEMIROVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12867 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 février 2001 par Me Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Co

ur, inscrite au tableau de l'Ordre des Avocats à Luxembourg au nom de Monsieur … DEMIROVIC, né le … ...

Tribunal administratif N° 12867 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 février 2001 Audience publique du 3 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … DEMIROVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12867 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 février 2001 par Me Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des Avocats à Luxembourg au nom de Monsieur … DEMIROVIC, né le … à Tutin/Serbie de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-

…, tendant à la réformation d'une décision du ministre de la Justice du 29 septembre 2000, notifiée le 22 novembre 2000, et de la décision ministérielle confirmative du 3 janvier 2001, notifiée le 8 janvier 2001 intervenue sur recours gracieux du 20 décembre 2000, décisions qui ont refusé de faire droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique.

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Me Ardavan FATHOLAHZADEH en ses plaidoiries à l'audience publique du 12 juin 2001.

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Le 11 mai 1999, Monsieur … DEMIROVIC, né le … à Tutin/Serbie de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, a introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par la loi du 20 mai 1953 et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York le 31 janvier 1967 approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l'ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé "Convention de Genève".

Par décision du 29 septembre 2000, notifiée le 22 novembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur DEMIROVIC de ce que sa demande avait été rejetée.

Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations à la Police Judiciaire que vous avez quitté avec votre famille votre domicile de Novi Pazar à bord d’une camionnette pour aller en Hongrie. Ensuite, vous avez tous pris place dans une autre 1 camionnette qui vous amenés au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune autre indication concernant votre itinéraire.

Il résulte de vos déclarations faites à l’agent du ministère de la Justice que vous n’avez pas fait votre service militaire. Vous vous êtes présenté au contrôle d’aptitude physique en 1997.

En 1999, vous avez reçu une convocation pour être incorporé à l’armée mais vous ne vous êtes pas présenté. Vous n’étiez pas d’accord pour aller faire la guerre au Kosovo. Vous dites que vous risquez une peine de prison en cas de retour dans votre pays.

Vous précisez n’être membre d’aucun parti politique et n’avoir aucune activité politique.

Vous n’avez subi personnellement aucune persécution.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. De même, l’insoumission en tant que telle ne constitue pas un motif de persécution au sens de la Convention de Genève.

Pour le surplus, il ne se dégage d’aucune de vos allégations que vous risquiez d’être persécuté pour une des raisons énumérées par l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève.

Je dois donc constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays, telle une crainte en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

L'article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile et 2) d'un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d'asile politique, de sorte que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par Monsieur DEMIROVIC.

Le recours ayant été introduit en date du 6 février 2001, partant dans le délai d'un mois à partir de la notification en date du 8 janvier 2001 de la décision ministérielle du 3 janvier 2001 intervenue sur recours gracieux, il est à déclarer recevable.

A l'appui de son recours, Monsieur DEMIROVIC fait exposer qu'il est boshniaque et de confession musulmane.

2 Les musulmans boshniaques étant minoritaires dans la région de Tutin en Serbie et lui-même ayant personnellement fait l'objet de discriminations et de mauvais traitements par les autorités serbes dans différents domaines et ce uniquement en raison de son appartenance à la minorité boshniaque, son départ de son pays d'origine serait motivé par son souci d'échapper à l'avenir à ces traitements discriminatoires, le demandeur ne souhaitait plus y revenir, car rien n'aurait changé sous cet aspect.

Monsieur DEMIROVIC déclare ensuite qu'il a refusé d'être enrôlé dans l'armée yougoslave parce qu'il savait qu'il devait rejoindre les troupes stationnées au Kosovo. Or, il refusait de s'associer à des actions militaires contre la communauté musulmane dans la province du Kosovo qui avaient pour but une véritable épuration ethnique.

Il estime que son insoumission doit être interprétée comme un acte d'opposition contre le pouvoir et donc comme une expression d'une conviction politique, de sorte qu'il craint d'être attiré devant un tribunal militaire s'il devait retourner dans son pays d'origine.

Il affirme que les peines qui attendent les insoumis seraient disproportionnées et pourraient aller jusqu'à 20 ans de prison. Il renvoie à des extraits de journaux renseignant les sanctions sévères réservées aux militaires ayant déserté les rangs en temps de guerre. Il estime de ce fait courir un sérieux risque s'il devait retourner dans son pays d'origine, de sorte qu'il est d'avis que son cas rentre dans le champ d'application de l'article 1er section A2 de la Convention de Genève.

Monsieur … DEMIROVIC invoque deux arguments à l'appui de sa demande, à savoir d'une part son insoumission au servive militaire et, actuellement, la peur de devoir comparaître pour ce fait devant un tribunal militaire s'il retourne dans son pays et, d'autre part, la discrimination des minorités boshniaques de confession musulmane de la part des autorités serbes.

Aux termes de l'article 1er, section A, 2, de la Convention de Genève, le terme "réfugié" s'applique à toute personne qui " craignant avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou des opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas la nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner." La reconnaissance du statut de réfugié n'est en principe pas conditionnée par la seule situation générale du pays d'origine, mais par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu'elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l'évaluation de la situation personnelle du demandeur, l'examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il faut également apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de ses déclarations.

En l'espèce, tout en affirmant d'avoir personnellement fait l'objet de discriminations et de mauvais traitements par les autorités serbes en raison de son appartenance à la minorité boshniaque, Monsieur DEMIROVIC reste assez vague à ce sujet et ne donne aucun exemple 3 précis en quoi aurait consisté la prétendue discrimination ou le mauvais traitement. Il reste d'ailleurs en défaut d'établir la réalité de ces actes discriminatoires.

Dans son recours gracieux il affirme que dans sa région, les mêmes personnes et policiers qui auraient commis de nombreux exactions à l'encontre des musulmans au cours des dernières années et pendant la guerre seraient toujours présents, de sorte qu'il craindrait que leurs pratiques ne se poursuivent, plusieurs responsables politiques présents et influents sous Milosevic étant toujours au pouvoir;

Monsieur DEMIROVIC se réfère essentiellement à la situation générale de la région du Sandzak qui serait loin d'être stabilisée.

Il ne suffit cependant pas de se réfèrer à la situation générale du pays d'origine, mais il faut examiner en toute hypothèse la situation concrète et individuelle du demandeur d'asile et vérifier si sa situation subjective a été telle qu'elle laissait supposer un danger pour sa personne (trib. adm. 27 février 1997, no 9571 du rôle confirmé par arrêt du 25 septembre 1997, no 9870 C du rôle);

A cet égard Monsieur DEMIROVIC est resté en défaut d'établir qu'il court un sérieux risque en rentrant dans son pays d'origine, étant donné qu'il n'a même pas allégué avoir personnellement subi une persécution avant son départ en raison de son appartenance à la minorité boshniaque de sorte qu'il n'a pas à l'heure actuelle, la guerre étant terminée, davantage de raison de craindre la possibilité d'une telle persécution.

Les arguments avancés par Monsieur DEMIROVIC, qui sont des réflexions d'ordre général sur la situation de son pays d'origine, ne sont ainsi pas suffisants pour constituer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, ces craintes étant purement hypothétiques et n'étant basées sur aucun fait réel ou probable (trib. adm. 14 juillet 1999, no 10972 du rôle, confirmé par arrêt du 30 novembre 1999, no 11469C du rôle).

En ce qui concerne ensuite sa crainte de représailles en raison du fait qu'il avait refusé de faire le service militaire, force est de constater que l'insoumission ne constitue pas à elle seule un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié (trib. adm. 7 juillet 1999, no 10861 du rôle, confirmé par arrêt du 11 novembre 1999, no 11454C du rôle);

La République Fédérale de Yougoslavie a d'ailleurs voté, le 26 février 2001 une loi d'amnistie qui vise plus particulièrement dans son article 214 le refus d'obtempérer à l'appel et l'insoumission. La même loi précise que l'amnistie comprend à la fois l'arrêt des poursuites judiciaires et de l'exécution des peines prononcées ainsi que l'annulation des jugements de condamnation d'ores et déjà rendus;

Les craintes de Monsieur DEMIROVIC sur ce plan sont donc injustifiées, ceci d'autant plus qu'il n'a même pas prouvé qu'il avait déjà fait l'objet d'une condamnation respectivement qu'il avait déjà reçu dans le passé une convocation devant le tribunal militaire.

Il n'a à l'heure actuelle d'ailleurs plus aucune raison de refuser de faire son service militaire alors que le conflit armé entre l'ex-Yougoslavie et le Kosovo est terminé, de sorte qu'il n'est pas établi que l'accomplissement du service militaire au sein de l'armée fédérale yougoslave auquel il devra se soumettre le cas échéant à son retour, imposerait actuellement la 4 participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Le tribunal administratif vient dès lors à la conclusion que le demandeur reste en défaut de faire état et d'établir à suffisance de droit l'existence dans son chef d'une crainte actuelle et justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section A, 2 de la Convention de Genève.

Attendu qu'il découle ainsi des développements qui précèdent que les arguments et déclarations faites par le demandeur constituent l'expression d'un sentiment général de peur, sans cependant que le demandeur fasse état d'une persécution vécue ou d'une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d'origine.

Il s'ensuit que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dans l’hypothèse vérifiée de l’espèce où l’Etat, partie défenderesse, ne comparaît pas dans le délai prévu à l’article 5 de la même loi, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties à travers une décision ayant les effets d’un jugement contradictoire.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 3 juillet 2001 par:

M. Ravarani, président, Mme Maas, juge suppléant, Mme. Pauly, juge suppléant, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

5 Schmit Ravarani 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12867
Date de la décision : 03/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-03;12867 ?

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