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03/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12852

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 juillet 2001, 12852


Tribunal administratif N° 12852 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 février 2001 Audience publique du 3 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12852 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001 par Maître Laurence PAYOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ€

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Tribunal administratif N° 12852 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 février 2001 Audience publique du 3 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12852 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001 par Maître Laurence PAYOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, né le … à Rozaje (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 5 octobre 2000, notifiée le 22 novembre 2000, confirmée sur recours gracieux le 2 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2001;

Vu le mémoire en réplique du demandeur déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2001;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Laurence PAYOT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 1er juillet 1999, Monsieur … SKRIJELJ introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi que sur son identité.

Le lendemain, il fut en outre entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 5 octobre 2000, notifiée le 22 novembre 2000, le ministre de la Justice l'informa de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations qu’après avoir reçu un appel pour le service militaire en juin 1999 vous avez pris un bus pour vous rendre à Herceg-Novi à la frontière croate. Vous vous êtes également rendu en bus à Zagreb en Croatie. Vous avez continué votre chemin en auto-

stop, traversant la Slovénie jusqu’à la frontière italienne que vous avez passé à pied. Le reste du trajet vous l’avez fait en partie en auto-stop, en partie en train. Ainsi vous vous souvenez avoir pris le train Triest-Francfort, mais d’en être descendu avant d’arriver à destination, alors que vous aviez l’intention de venir au Luxembourg où vous êtes arrivé à destination le 1er juillet 1999.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.

Vous exposez que vous n’avez pas encore fait votre service militaire. Vous dites avoir reçu un appel le 2 juin 1999. Or, comme vous saviez que vous alliez être envoyé à la guerre au Kosovo, vous ne vous êtes pas présenté. Vous ne vouliez pas faire votre service militaire parce que vous ne vouliez pas tuer des gens.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas eu d’activités politiques.

Concernant votre peur de faire le service militaire au sein de l’armée yougoslave, je me dois tout d’abord de constater que l’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. J’ajoute que le conflit armé entre l’ex-Yougoslavie et le Kosovo est terminé et que la paix règne dans la région. Il n’est pas établi que l’accomplissement du servie militaire au sein de l’armée yougoslave imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

2 Comme suite à un recours gracieux introduit le 20 décembre 2000, le ministre confirma sa décision négative le 2 janvier 2001.

Par requête déposée le 2 février 2001, Monsieur SKRIJELJ a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 5 octobre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu'il est de religion musulmane et que les autorités serbes ont réquisitionné les jeunes en âge de se battre, y compris des jeunes issus de la minorité ethnique albanaise et de religion musulmane, pour les envoyer au combat au Kosovo contre des populations de même ethnie et religion, les obligeant à risquer leur vie pour une population serbe qu'ils considèrent comme leur ennemie. Il précise que la police serbe est venue à plusieurs reprises à son domicile le chercher en vue de son enrôlement de force dans l'armée serbe, mais qu'il s'y est soustrait en prenant la fuite. Il craint non seulement une peine d'emprisonnement d'une durée disproportionnée – en vertu de l'application de la loi martiale – en cas de renvoi dans son pays, mais plus particulièrement les conditions de détention effroyables réservées aux déserteurs de confession musulmane. Il estime que le changement du régime politique en Yougoslavie ne présente pas les garanties nécessaires pour qu'il puisse rentrer sans crainte dans son pays, la relative stabilité y régnant ne gommant qu'imparfaitement le principal problème, à savoir une haine profonde entre les différentes communautés serbe et musulmane. Quant à la possibilité d'une amnistie pour les insoumis et les déserteurs, seul un projet de loi afférent aurait vu le jour jusqu'ici, ne lui garantissant pas qu'il ne serait pas mis en prison s'il retournait dans son pays d'origine.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur SKRIJELJ, de sorte que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations faites.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur SKRIJELJ lors de ses différentes auditions, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

L’insoumission alléguée de Monsieur SKRIJELJ, d’une part, elle n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans son chef une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, d’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni qu’il risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés. Par ailleurs, une loi d'amnistie bénéficiant aux insoumis et aux déserteurs est entrée en vigueur le 3 mars 2001, et il est pour le surplus indéniable que la République fédérale de Yougoslavie déploie actuellement des efforts concrets pour réintégrer la communauté internationale, ces efforts se matérialisant, entre autres, par le retour aux principes de l'Etat de droit.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne le demandeur aux frais.

4 Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 3 juillet 2001 par:

M. Ravarani, président, Mme. Maas, juge suppléant, Mme. Pauly, juge suppléant, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12852
Date de la décision : 03/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-03;12852 ?

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