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03/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12848

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 juillet 2001, 12848


Tribunal administratif N° 12848 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 février 2001 Audience publique du 3 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … JASAREVIC, son épouse, Madame … JASAREVIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12848 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2001 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … JASAREVIC, né le … à Sjenica (...

Tribunal administratif N° 12848 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 février 2001 Audience publique du 3 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … JASAREVIC, son épouse, Madame … JASAREVIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12848 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2001 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … JASAREVIC, né le … à Sjenica (Serbie), de son épouse, Madame … JASAREVIC-…, née le … à Cetanovice/Sjenica/Serbie, agissant pour eux-mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, né le … à Sjenica, Almir, né le … à Sjenica, Armin, né le … à Sjenica et Ajsela, née le … à Sjenica, tous les six de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-9711 Clervaux, 80, Grand-Rue, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 13 octobre 2000, notifiée le 16 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Gilbert REUTER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 20 juillet 1999, Monsieur … JASAREVIC, et son épouse, Madame … JASAREVIC-…, agissant pour eux-mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et …, tous de nationalité yougoslave, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux JASAREVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi que sur leur identité.

Le 22 septembre 1999, ils furent en outre entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 13 octobre 2000, notifiée le 16 janvier 2001, le ministre de la Justice informa les époux JASAREVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la ville de Sjenica en avril 1999 pour aller à Sarajevo, où vous avez été placés dans un camp de réfugiés. Le 5 juillet 1999, vous avez pris place dans une camionnette immatriculée en Croatie qui vous a emmenés au Luxembourg. Vous ne pouvez pas donner d’autres précisions quant au déroulement du voyage.

Vous, Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire à Zagreb en 1986/1987. Vous avez été convoqué à la réserve en 1992 et vous avez refusé d’y aller. Par la suite, en 1994, vous auriez été accusé de terrorisme et de refus d’aller à la réserve. Vous auriez été incarcéré pendant 15 jours puis libéré sous caution. Votre procès serait toujours pendant. En 1993 et en 1995, vous auriez aussi été incarcéré, mais cette fois sur base d’une accusation de détention d’armes. Vous ajoutez qu’à ces occasions, vous auriez été battu par la police.

Vous dites encore que vous étiez membre du parti politique SDA depuis 1992 et secrétaire du parti pour la ville de Razdeginja/Sjenica.

Vous, Madame, vous confirmez les assertions de votre mari.

Je vous signale que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, le fait qu’un procès pour insoumission soit encore pendant contre vous devant les tribunaux ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. La seule crainte du verdict ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Bien que mesurant à leur juste valeur les difficultés auxquelles vous avez été confrontés, tous les deux, jusqu’en 1995, je dois constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. En effet, une crainte justifiée de persécutions en raison des opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

2 Par requête déposée en date du 2 février 2001, les époux JASAREVIC-…, agissant pour eux-mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs préqualifiés, ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 13 octobre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils seraient persécutés en raison du fait qu'ils sont musulmans et que Monsieur JASAREVIC est secrétaire local du parti SDA, qu’en 1993 et en 1995, il aurait été arrêté par la police pour détention d'armes et maltraité verbalement et physiquement. Ils font valoir en outre qu'en 1994, Monsieur JASAREVIC aurait refusé de donner suite à un appel des réservistes, fait pour lequel il aurait déjà été emprisonné pendant quinze jours, son procès n'étant toujours pas évacué. Ils estiment que le régime actuellement en place ne constitue qu'une marionnette de MILOSEVIC qui continuerait toujours à tirer les ficelles de la vie politique. Ils exposent qu’ils craignent les sanctions physiques et psychiques en cas de retour dans leur pays d'origine.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts JASAREVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux JASAREVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 22 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, la simple qualité de membre à elle seule étant insuffisante, il y a lieu de constater que les demandeurs ont omis de faire état d’un tel rôle actif et surtout, ils n’ont pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, en raison de l’appartenance au parti « SDA » de Monsieur JASAREVIC.

Ensuite, concernant l’insoumission alléguée de Monsieur JASAREVIC, d’une part, elle n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des consorts JASAREVIC-…, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, d’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni qu’il risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés. Par ailleurs, une loi d'amnistie bénéficiant aux insoumis et aux déserteurs est entrée en vigueur le 3 mars 2001, et il est pour le surplus indéniable que la République fédérale de Yougoslavie déploie actuellement des efforts concrets pour réintégrer la communauté internationale, ces efforts se matérialisant, entre autres, par le retour aux principes de l'Etat de droit.

Enfin, concernant les prétendus problèmes que Monsieur JASAREVIC aurait connus entre 1993 et 1995 avec les autorités serbes, force est de constater que lesdits problèmes, même à les supposer établis, manquent, premièrement de pertinence pour être antérieurs respectivement de 4 à 6 années au départ, au mois de septembre 1999, des demandeurs de leur pays de provenance et, deuxièmement, d’un caractère de gravité suffisant pour qu’on puisse en conclure que la vie des consorts JASAREVIC-… soit devenue insupportable dans leur pays d’origine.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

4 se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 3 juillet 2001 par:

M. Ravarani, président, Mme Maas, juge suppléant, Mme. Pauly, juge suppléant, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12848
Date de la décision : 03/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-03;12848 ?

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