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03/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12733

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 juillet 2001, 12733


Tribunal administratif N° 12733 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 janvier 2001 Audience publique du 3 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … BEGANOVIC, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12733 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001 par Maître Pierrot SCHILTZ, avocat à la Cour, inscrit au table

au de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BEGANOVIC, né le … à Bijelo Polje (Mon...

Tribunal administratif N° 12733 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 janvier 2001 Audience publique du 3 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … BEGANOVIC, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12733 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001 par Maître Pierrot SCHILTZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BEGANOVIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 septembre 2000, notifiée le 8 novembre 2000, confirmée sur recours gracieux le 8 décembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2001;

Vu le mémoire en réplique du demandeur déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Lydie BEURIOT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 25 mai 1999, Monsieur … BEGANOVIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi que sur son identité.

Les 9 juillet 1999 et 5 juin 2000, il fut en outre entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 12 septembre 2000, notifiée le 8 novembre 2000, le ministre de la Justice l'informa de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez transité à travers la Bosnie, la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France pour arriver au Luxembourg.

Vous exposez avoir reçu plusieurs convocations en avril 1999 pour faire la réserve militaire. La police militaire serait venue vous chercher à deux reprises.

Vous expliquez ne pas avoir voulu faire la guerre.

Vous indiquez que beaucoup de vos amis qui faisaient la réserve auraient été maltraités par les officiers en raison de leur religion musulmane. Vous ne donnez pas de précisions quant à ces événements.

Vous ignorez quelle peine pourrait vous attendre, mais vous déclarez avoir peur de devoir aller en prison.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même, l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, le conflit armé au Kosovo s’est terminé en mai 1999 avec le retrait des troupes fédérales yougoslaves de sorte que la crainte d’y être envoyé au combat n’est plus justifiée.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Comme suite à un recours gracieux introduit le 30 novembre 2000, le ministre confirma sa décision négative le 8 décembre 2000.

2 Par requête déposée le 5 janvier 2001, Monsieur BEGANOVIC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 12 septembre et 8 décembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu'il a été contraint de quitter son pays du fait des persécutions dont il a fait l'objet, et notamment des menaces pour sa vie et sa liberté, pour des raisons d'opinions politiques ou philosophiques contraires aux intérêts du régime politique en place, son refus d'accomplir son service militaire constituant à ses yeux un acte d'opposition au régime politique. Il ajoute qu'il est de confession musulmane et craint de ce fait non seulement une peine d'emprisonnement d'une durée disproportionnée – en vertu de l'application de la loi martiale – en cas de renvoi dans son pays, mais plus particulièrement les conditions de détention effroyables réservées aux déserteurs de confession musulmane. Il estime que le changement du régime politique en Yougoslavie ne présente pas les garanties nécessaires pour qu'il puisse rentrer sans crainte dans son pays; qu'en particulier, le nouveau président ne se serait pas encore exprimé clairement sur le sort à réserver aux déserteurs, et invoque des cas d'arrestation récents de soldats accusés de désertion militaire.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur BEGANOVIC, de sorte que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations faites.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur BEGANOVIC lors de ses différentes auditions, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

L’insoumission alléguée de Monsieur BEGANOVIC, d’une part, elle n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans son chef une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, d’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni qu’il risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été infligés ou risquent de lui être infligés (il est à relever, dans ce contexte, qu'il se dégage de ses déclarations qu'il a fait la guerre en Bosnie aux côtés des Serbes contre les Musulmans). Par ailleurs, une loi d'amnistie bénéficiant aux insoumis et aux déserteurs est entrée en vigueur le 3 mars 2001, et il est pour le surplus indéniable que la République fédérale de Yougoslavie déploie actuellement des efforts concrets pour réintégrer la communauté internationale, ces efforts se matérialisant, entre autres, par le retour aux principes de l'Etat de droit.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne le demandeur aux frais.

4 Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 3 juillet 2001 par:

M. Ravarani, président, Mme. Maas, juge suppléant, Mme. Pauly, juge suppléant, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12733
Date de la décision : 03/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-03;12733 ?

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