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02/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12726

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 juillet 2001, 12726


Numéro 12726 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2001 Audience publique du 2 juillet 2001 Recours formé par les époux … ADZIBULIC et … … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12726 du rôle et déposée le 2 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert RODESCH,

avocat à la Cour, assisté de Maître Ariane KORTÜM, avocat, tous les deux inscrits au table...

Numéro 12726 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2001 Audience publique du 2 juillet 2001 Recours formé par les époux … ADZIBULIC et … … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12726 du rôle et déposée le 2 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Ariane KORTÜM, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … ADZIBULIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), et … …, née le … à Bijelo Polje, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … ADZIBULIC, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 octobre 2000, notifiée le 1er décembre 2000, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 février 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2001 pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ariane KORTÜM, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 mai 2001.

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Le 17 mai 1999, les époux ADZIBULIC-…, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … ADZIBULIC, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux ADZIBULIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En dates des 19 juillet et 17 août 1999, les époux ADZIBULIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux ADZIBULIC-…, par lettre datant du 12 octobre 2000, notifiée en date du 1er décembre 2000, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou l’appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans leur chef.

Par requête déposée en date du 2 janvier 2001, les époux ADZIBULIC-… ont fait introduire un recours contentieux contre la décision ministérielle prévisée du 12 octobre 2000. Par la même requête, ils ont informé le tribunal de ce qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaure un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées sur base de l’article 11 de la même loi, telle celle sous examen.

Le délégué du Gouvernement relève que le recours introduit par les demandeurs serait un recours en annulation et que de ce fait il devrait être déclaré irrecevable, alors que la loi prévoit un recours en réformation en la matière.

S’il est certes vrai que le recours sous examen est intitulé comme étant un recours en annulation, force est cependant de relever qu’à travers le dispositif de la requête introductive d’instance, les demandeurs entendent le tribunal voir dire qu’ils bénéficient du statut de réfugié rétroactivement au jour de leur demande, de sorte qu’au-delà de la formulation initialement retenue il y a lieu de considérer le recours comme étant un recours en réformation tel que prévu par la loi en la matière.

Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est dès lors recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que ce serait à tort que le ministre a refusé de faire droit à leur demande en obtention du statut de réfugié, étant donné que Monsieur ADZIBULIC aurait été enrôlé contre son gré dans l’armée pour se rendre au front du Kosovo, que son refus de participer à cette guerre aurait été motivé par des raisons 2 de conscience valables et qu’actuellement il risquerait plusieurs années de prison en raison de son insoumission. Estimant que la peine ainsi encourue serait manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction commise par Monsieur ADZIBULIC, les demandeurs estiment que de ce seul fait une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève serait vérifiée dans leur chef. Ils relèvent par ailleurs qu’ils seraient de confession musulmane et qu’ils feraient partant partie d’une minorité au Monténégro, laquelle serait menacée par la population serbe. Ils relèvent plus particulièrement que Madame … aurait à plusieurs reprises était menacée par des Serbes qui lui auraient fait comprendre qu’elle serait indésirable au Monténégro, alors qu’il s’agirait d’une terre serbe et ils font valoir qu’aucune mesure ne serait prise par l’Etat yougoslave pour protéger ses ressortissants musulmans.

Le délégué du Gouvernement fait d’abord valoir que la situation générale du pays d’origine, à laquelle se référeraient les demandeurs, ne justifierait pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié, de même que la simple appartenance à une minorité religieuse en tant que telle ne saurait justifier l’octroi dudit statut. Concernant ensuite la situation d’insoumis de Monsieur ADZIBULIC, le représentant étatique relève que l’insoumission ne constituerait pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié et rappelle par ailleurs qu’une loi d’amnistie serait en cours de préparation en République Fédérale Yougoslave.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs insistent sur le fait qu’au Monténégro les musulmans constituent une minorité qui jusqu’alors aurait toujours été menacée par les Serbes et qu’aucune aide afférente ne pourrait être espérée de la part des autorités en place.

Ils estiment dès lors que leur crainte de persécution ne s’analyserait pas en un sentiment général d’insécurité mais reposerait sur des craintes réelles, ceci d’autant plus qu’ils auraient été menacés à maintes reprises par des Serbes.

Après avoir pu prendre inspection d’une traduction de la loi d’amnistie, votée récemment par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, produite en cause par le délégué du Gouvernement, les demandeurs ont encore fait observer lors des plaidoiries à l’audience à travers leur mandataire que Monsieur ADZIBULIC risquerait d’échapper au champ d’application dans le temps de ladite loi d’amnistie, étant donné que la désertion serait constitutive d’un délai continu et que toute personne qui ne se serait pas présenté aux autorités militaires avant la date butoire du 7 octobre 2000 énoncée par la loi serait de nouveau punissable.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en dates des 19 juillet et 17 août 1999, telles que celles-ci ont été 3 relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement, Monsieur ADZIBULIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés dans le cadre de son service militaire, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait encore effectivement exécutée à son encontre. Concernant ce dernier point, il convient en effet de relever que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur ADZIBULIC n’établit pas que les condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci au regard de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave dont également, à travers les articles visés, ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées oralement par les demandeurs tenant au fait que l’insoumission ou la désertion constituent des infractions continues, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par les affirmations du représentant étatique suivant lesquelles cette loi connaîtrait d’ores et déjà une large application.

En outre, les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur appartenance à la minorité ethnique des musulmans slaves et de la situation politique générale dans leur pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire, reçoit le recours en la forme, au fond le dit non justifié et en déboute, 4 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 juillet 2001 par:

M. Schockweiler, vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12726
Date de la décision : 02/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-02;12726 ?

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