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02/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12595

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 juillet 2001, 12595


Numéro 12595 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2000 Audience publique du 2 juillet 2001 Recours formé par les époux … IKOVIC et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12595 du rôle et déposée le 12 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par feu Maître Lamber

t H. DUPONG, avocat à la Cour, assisté de Maître Henri DUPONG, avocat, tous les deux inscrits...

Numéro 12595 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2000 Audience publique du 2 juillet 2001 Recours formé par les époux … IKOVIC et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12595 du rôle et déposée le 12 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par feu Maître Lambert H. DUPONG, avocat à la Cour, assisté de Maître Henri DUPONG, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … IKOVIC, né le … à Novi Pazar, (Serbie/Yougoslavie), et … …, née le … à Novi Pazar, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants … et … IKOVIC, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 4 août 2000, notifiée le 15 septembre 2000, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre datant du 10 novembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2001;

Vu la constitution de nouvel avocat du 22 février 2001 de Maître Lucy DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des demandeurs ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 février 2001 au nom des demandeurs ;

Vu la lettre déposée au greffe du tribunal administratif le 22 février 2001 par Maître Henri DUPONG informant le tribunal de ce que les demandeurs bénéficient de l’assistance judiciaire ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2001 par le délégué du Gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Henri DUPONG et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 juin 2001.

En dates respectivement des 14 et 16 avril 1999, les époux … IKOVIC et … …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants … et … IKOVIC, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date des mêmes jours, les époux IKOVIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En dates respectivement des 14, 16 avril 1999 et 27 juillet 2000 les époux IKOVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

Le ministre de la Justice informa les époux IKOVIC-…, par lettre datant du 4 août 2000, notifiée en date du 15 septembre 2000, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou l’appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans leur chef.

A l’encontre de cette décision, les époux IKOVIC-… ont fait introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire datant du 12 octobre 2000. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 10 novembre 2000, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 4 août et 10 novembre 2000 par requête déposée en date du 12 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

2 A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils sont des musulmans ayant vécu en Serbie, que Monsieur IKOVIC aurait pendant de nombreuses années eu des activités politiques au sein d’un parti d’opposition au régime yougoslave appelé MBO, que les nombreux articles qu’il aurait publié dans la revue Sandzak, éditée par ledit parti, témoigneraient de l’importance de son engagement politique qui lui aurait valu d’être persécuté par la police yougoslave. Ils relèvent à cet égard que Monsieur IKOVIC aurait été la victime d’harcèlements de la part de la police d’Etat qui se seraient manifestés par de nombreux appels téléphoniques et des convocations arbitraires au poste de police pour y subir des interrogatoires, que lors de ces interrogatoires Monsieur IKOVIC aurait été maltraité et qu’en août 1998 il aurait été victime de brutalités de la part de la police. Ils exposent que Monsieur IKOVIC aurait exprimé son opposition au régime totalitaire yougoslave en fuyant la Serbie pendant les attaques de l’OTAN liées à l’intervention au Kosovo afin d’éviter d’être enrôlé dans l’armée et que cet acte de résistance aurait eu pour but de soutenir l’effort de guerre de l’OTAN au prix de lui valoir la qualification de réfractaire, sinon de déserteur au yeux de l’Etat yougoslave et de l’exposer à de très graves risques de persécution afférents.

Le délégué du Gouvernement relève que les explications données par les demandeurs relatives aux activités politiques de Monsieur IKOVIC seraient extrêmement confuses et il soutient qu’en tout état de cause, même au-delà des problèmes de crédibilité et de cohérence du récit des demandeurs, leurs explications ne sauraient en aucun cas suffire pour leur accorder le bénéfice du statut de réfugié politique. Relativement à la situation des musulmans en République Fédérale Yougoslave, le représentant étatique estime que la situation générale du pays d’origine ne justifierait pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié de même que la simple appartenance à une minorité religieuse en tant que telle ne saurait suffire pour se voir accorder le bénéfice du statut de réfugié politique. Relativement à l’insoumission de Monsieur IKOVIC, il signale qu’une loi d’amnistie serait en cours de préparation et devrait être votée sous peu, de sorte que ce moyen laisserait encore d’être fondé.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs insistent sur l’importance des activités politiques de Monsieur IKOVIC au sein du parti d’opposition MBO en Serbie et ils renvoient aux différentes pièces versées au dossier à cet égard. Ils signalent que Monsieur IKOVIC aurait été et serait actuellement encore persécuté par les autorités étatiques yougoslaves en raison de son activité politique et que celle-ci lui aurait valu une inculpation pour violation de l’article 133 paragraphe 1 du code criminel yougoslave lequel punirait de la réclusion de trois mois à cinq ans toute personne portant atteinte au système constitutionnel de la République Fédérale de Yougoslavie ou qui essayerait de renverser les plus hautes autorités gouvernantes. Les demandeurs font valoir que ces accusations seraient infondées et constitueraient la réponse répressive à l’engagement politique de Monsieur IKOVIC de manière à prouver les persécutions auxquelles il serait exposé. Ils considèrent encore lesdites accusations comme constitutives d’une violation de l’article 9, paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit la liberté de penser, de conscience et de religion de même que de l'article 10, paragraphe 1er de la même Convention qui garantit la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’une autorité publique, ainsi que de l’article 11 de la même Convention relatif à la liberté d’association.

Concernant ensuite l’insoumission ou la désertion dont Monsieur IKOVIC se serait rendu coupable, les demandeurs estiment qu’il conviendrait de prendre en compte lesdits actes non pas isolément, mais en rapport avec les persécutions dont il aurait été victime en raison de son engagement politique et de sa religion.

3 Dans son mémoire en duplique, le délégué du Gouvernement relève l’existence de contradictions au niveau des déclarations des demandeurs au sujet de son activité politique et il émet des doutes quant à l’authenticité des pièces présentées. Il relève en outre que le parlement de la République Fédérale Yougoslave a adopté une loi d’amnistie en début de mars 2001 et que conformément à l’article 1er de ladite loi, l’article 133 du code pénal yougoslave serait couvert par cette loi d'amnistie.

Après avoir pu prendre inspection d’une traduction de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave produite en cause par le délégué du Gouvernement, les demandeurs ont fait observer lors des plaidoiries à l’audience à travers leur mandataire que l’application de cette loi serait encore incertaine à ce stade de manière à ne pas être garantie en l’espèce et ils estiment que le doute afférent devrait leur profiter.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en date des 14, 16 avril 1999 et 27 juillet 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission ou la désertion de Monsieur IKOVIC, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur IKOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience 4 valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés dans le cadre de son service militaire, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait encore effectivement exécutée à son encontre. Concernant ce dernier point, il convient en effet de relever que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur IKOVIC n’établit pas, au vu de la situation actuelle en Yougoslavie, que les condamnations prononcées seraient encore effectivement exécutées, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et plus particulièrement, à travers les articles visés, également ceux qui, à l’instar de Monsieur IKOVIC, ont quitté le pays en vue de se soustraire à leurs obligations militaires.

La même conclusion s’impose au regard du libellé de la loi d’amnistie en ce qui concerne la condamnation encourue le cas échéant sur base de l’accusation portée contre Monsieur IKOVIC sur base de l’article 133 du code pénal de la République Fédérale de Yougoslavie, étant donné que ledit article est expressément visé par l’article 1er de la loi d’amnistie et est partant en principe couvert par cette dernière.

Concernant ensuite les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur confession musulmane et des activités politiques de Monsieur IKOVIC, force est de constater qu’elles constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi qu’à l’heure actuelle ils seraient encore exposés à un risque de persécution tel que leur vie serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

C’est par ailleurs à juste titre que le représentant étatique a relevé l’existence de contradictions au niveau des déclarations des demandeurs au sujet des activités politiques de Monsieur IKOVIC. En effet, lors de son audition en date du 14 juillet 1999 celui-ci, interrogé plus particulièrement sur les problèmes qu’il aurait eus à cause de son adhésion au parti politique MBO, a indiqué que personnellement il n’avait pas subi de persécutions, de même lors de son audition complémentaire en date du 27 juillet 2000, il a précisé au sujet de son travail au sein du parti après son retour en Serbie qu’il n’avait été que très peu actif.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

5 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 juillet 2001 par:

M. Schockweiler, vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. Schmit s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12595
Date de la décision : 02/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-02;12595 ?

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