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28/06/2001 | LUXEMBOURG | N°12656

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2001, 12656


Tribunal administratif N° 12656 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2000 Audience publique du 28 juin 2001

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Recours formé par Monsieur … KECAP et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12656 et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2000 par Maître Jean-Marie BAULER, avoca

t à la Cour, assisté de Maître Arzu ARKAS, avocat, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxe...

Tribunal administratif N° 12656 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2000 Audience publique du 28 juin 2001

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Recours formé par Monsieur … KECAP et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12656 et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2000 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, assisté de Maître Arzu ARKAS, avocat, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KECAP, né le … à Tutin/Serbie et de son épouse, Madame …, née le … à Konice/Serbie, accompagnés de leur enfant mineur … KECAP, né le … à Tutin/Serbie, tous les trois de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-4132 Esch-sur-Alzette, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 octobre 2000, notifiée le 14 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Kalthoum BOUGHALMI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 6 septembre 1999, Monsieur … KECAP, né le … à Tutin/Serbie et son épouse, Madame …, née le … à Konice/Serbie, accompagnés de leur enfant mineur … KECAP, né le … à Tutin/Serbie, tous les trois de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … ont introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur … KECAP et Madame … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 9 septembre 1999, les époux … KECAP-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 10 octobre 2000, notifiée le 14 novembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux … KECAP-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, qu’en date du 29 avril 1999 vous avez quitté votre domicile pour vous rendre ensemble avec votre épouse et votre fils Semir en Bosnie. Un passeur vous a tous conduits de Sarajevo à Mostar. Vous avez traversé l’Italie. Vous dites ne pas pouvoir donner d’autres indications quant au trajet.

Vous avez déposé deux demandes en obtention du statut de réfugié en date du 6 septembre 1999.

Vous exposez, Monsieur, avoir effectué votre service militaire en 1967 à Pristina. Vous auriez été convoqué plusieurs fois à la réserve, mais vous auriez refusé tous les appels, de peur de devoir participer à des opérations militaires. Depuis sept ans vous n’auriez plus reçu d’appel.

Vous admettez ne pas être membre d’un parti politique. Vous dites que la politique dans votre pays d’origine serait mauvaise. Ce serait pour cette raison que vous vous seriez expatrié. Vous auriez également demandé le statut de réfugié en Bosnie, mais vous n’auriez pas encore eu de réponse avant votre départ pour le Luxembourg.

Vous précisez aussi que la guerre pourrait recommencer à tout moment et que tant que les mêmes autorités resteraient au pouvoir, la situation ne pourrait pas se stabiliser.

Vous admettez ne pas avoir été personnellement persécuté.

Enfin, vous dites avoir peur de la guerre et de la situation politique dans votre pays d’origine. Cette peur serait liée au fait que vous êtes musulmans.

En ce qui vous concerne, Madame, vous exposez que la politique ne vous intéresserait pas.

Vous relevez avoir quitté votre pays en raison du conflit armé. Vous auriez peur à cause dudit conflit et que cette peur tiendrait à votre religion. Vous excluez un retour volontaire dans votre pays, alors que la situation n’y serait pas encore stable.

Enfin, vous admettez ne pas avoir été personnellement persécutée.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, à savoir une persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques.

2 Force est cependant de constater, Monsieur, que vous n’invoquez pas de motif personnel de persécution, ce que vous admettez d’ailleurs vous-même. Vous vous référez simplement à la situation politique générale de votre pays.

A cela s’ajoute qu’une situation de paix s’est établie dans la région.

En ce qui vous concerne, Madame, vous n’invoquez pas non plus un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Vous admettez ne pas avoir personnellement subi de persécutions.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. … ».

Par lettre datée du 6 décembre 2000, les époux … KECAP-… ont fait introduire, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 10 octobre 2000.

Par décision du 13 décembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 20 décembre 2000, les époux … KECAP-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 10 octobre 2000 et 13 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Les demandeurs concluent en premier lieu à voir constater la violation de l’article 5 de la loi précitée du 3 avril 1996 en ce qu’ils n’auraient pas été informés de leur droit de se faire assister par un avocat dans le cadre de la procédure administrative de l’instruction de leur demande.

Au fond, les demandeurs font exposer être de confession musulmane et que ce seul fait, conjugué à leur volonté de fuite serait de nature à constituer pour eux un danger imminent tant pour leur vie que pour celle des membres de leur famille, qui se trouveraient déjà actuellement réfugiés dans divers pays pour échapper aux représailles dont ils étaient susceptibles d’être les cibles.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen tiré de la violation de la loi de 1996 pour n’être pas donné en fait, les procès-verbaux d’audition renseignant clairement que 3 les requérants avaient été informés de leur droit de se faire assister par un avocat de leur choix. Au fond, il conclut au rejet du recours sur base de la considération que la seule appartenance à une minorité religieuse n’était pas à elle seule susceptible de faire aboutir la demande en obtention du statut de réfugié.

Le moyen tiré de la violation de la loi de 1996 doit être écarté pour le motif énoncé par le délégué du gouvernement. La première page de chacun des deux procès-verbaux d’audition renseigne en effet la déclaration suivante : « J’ai été informé que j’ai le droit à l’assistance d’un avocat à titre gratuit pour l’instruction de ma demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ».

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux … KECAP-… lors de leurs auditions respectives en date du 9 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant leurs uniques déclarations quant à leur peur à l’égard d’une partie de la population serbe en raison de leur religion musulmane, il importe de constater qu’elles constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de leurs auditions respectives, ils n’ont fourni aucune indication précise à ce sujet, qu’ils ont indiqué ne pas avoir été accusés d’un crime ou d’un délit, ni incarcérés avec ou sans jugement et qu’ils n’établissent aucun fait d’une gravité suffisante pour constituer un motif justifiant dans leur chef une crainte légitime d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur religion musulmane ou pour un des autres motifs visés par la Convention de Genève.

Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations et récits des demandeurs restent vagues et qu’ils n’ont pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’ils risqueraient personnellement de subir du fait de leur appartenance 4 ethnique et de leurs convictions religieuses, de sorte qu’il convient de conclure qu’ils n’ont pas fait état de persécutions vécues ou d’une crainte qui seraient telles que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2001 par :

M. Ravarani, président M. Hoscheit, juge suppléant Mme Everling, juge suppléant en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12656
Date de la décision : 28/06/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-06-28;12656 ?

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