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28/06/2001 | LUXEMBOURG | N°12651

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2001, 12651


Tribunal administratif N° 12651 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 décembre 2000 Audience publique du 28 juin 2001

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Recours formé par Monsieur … ADROVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12651 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2000 par Maître Martine SCHAEFFER, avocat à la Co

ur, assistée de Maître Gilles DORNSEIFFER, avocat, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem...

Tribunal administratif N° 12651 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 décembre 2000 Audience publique du 28 juin 2001

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Recours formé par Monsieur … ADROVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12651 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2000 par Maître Martine SCHAEFFER, avocat à la Cour, assistée de Maître Gilles DORNSEIFFER, avocat, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … à Bérane/Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 septembre 2000, notifiée le 7 juillet 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative, rendue sur recours gracieux, du 1ier décembre 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Gilles DORNSEIFFER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 29 avril 1999, Monsieur … ADROVIC, né le … à Bérane/Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , a introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Monsieur … ADROVIC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 29 juillet 1999, Monsieur … ADROVIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 12 septembre 2000, notifiée le 7 novembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur … ADROVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez transité la Bosnie, la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France pour arriver au Luxembourg.

Vous exposez avoir reçu une première convocation pour faire le service militaire avant votre départ pour le Luxembourg et une seconde après votre arrivée au Luxembourg.

Vous expliquez ne pas avoir voulu aller à la guerre au Kosovo. La police militaire serait venue vous chercher le 20 mars 1999.

Selon vos opinions, vous risqueriez une peine d’emprisonnement de 15 à 20 ans à cause de votre refus de faire le service militaire.

Vous déclarez avoir été membre du DPS. Vous auriez été provoqué à cause de votre adhésion à ce parti. Vous ne précisez pas qui vous aurait provoqué.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, le conflit armé au Kosovo s’est terminé en mai 1999 avec le retrait des troupes fédérales yougoslaves de sorte que la crainte d’y être envoyé au combat n’est plus justifiée.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité.

Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. … ».

Par lettre datée du 23 novembre 2000, Monsieur … ADROVIC a fait introduire, par son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 septembre 2000.

Par décision du 1ier décembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 19 décembre 2000, Monsieur … ADROVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 1ier décembre 2000, sinon de celle du 12 septembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, Monsieur … ADROVIC fait valoir d’une part qu’il risquerait d’être incarcéré en prison pour avoir refusé de suivre une convocation qu’il avait reçue pour rejoindre les rangs de l’armée, ce refus ayant été motivé par ses convictions pacifistes et par le refus de prêter son concours à une guerre dont il ne comprenait pas le motif et les buts. Il expose par ailleurs être membre du parti politique du président actuellement au pouvoir au Monténégro, mais que ce parti s’opposait au pouvoir central de Belgrade. Or, dans la mesure où il habitait un quartier à majorité orthodoxe, il risquerait des persécutions de ce fait.

Le délégué du gouvernement a répliqué à cette argumentation qu’il fallait prendre en considération non seulement la situation générale du pays dont provenait le demandeur, mais également sa situation particulière, et que ni la situation d’insoumis à elle seule, ni la simple appartenance à un parti, qui au surplus était celui au pouvoir dans la partie du pays où habitait le requérant, n’étaient des motifs suffisants pour voir reconnaître le statut de réfugié politique.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … ADROVIC lors de son audition du 29 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.En effet, le ministre a légitimement pu motiver sa décision par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et le demandeur reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Dans ce contexte, au-delà du fait que le demandeur n’établit pas avoir déserté l’armée fédérale yougoslave pour des raisons de conscience valables susceptibles de justifier, en application de la Convention de Genève, la reconnaissance du statut de réfugié politique, il y a lieu de relever qu’une loi d’amnistie bénéficiant aux insoumis et aux déserteurs est entrée en vigueur le 3 mars 2001. Il est pour le surplus indéniable que la République fédérale de Yougoslavie déploie actuellement des efforts concrets pour réintégrer la communauté internationale, ces efforts se matérialisant, entre autres, par le retour aux principes de l’Etat de droit.

Le demandeur, en substance, n’a fait état que d’un sentiment général de peur de devoir faire son service militaire et de devoir aller à la guerre, sans cependant avoir fait état d’un état de persécution vécu ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de son audition, il a précisé qu’il n’a pas été persécuté personnellement, qu’il n’a pas été accusé d’un crime ou d’un délit, ni incarcéré avec ou sans jugement et qu’il n’établit aucunement des raisons personnelles suffisamment précises de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine, notamment lors de l’accomplissement de son service militaire, du fait de sa religion musulmane.

En ce qui concerne ses opinions politiques relatives à sa volonté de soutenir l’indépendance du Monténégro, le tribunal est amené à constater que cette simple affirmation par le demandeur reste vague dans la mesure où il n’a pas apporté une quelconque précision ni quant aux circonstances dans lesquelles il a ainsi exprimé ses convictions politiques ni quant aux persécutions qu’il risquerait personnellement de subir de ce fait, de sorte qu’il n’a pas établi, à suffisance de droit, que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine en raison de ses opinions politiques.

Enfin, il ne ressort pas des éléments du dossier que Monsieur … ADROVIC risque de subir des traitements discriminatoires en raison de sa religion musulmane ou que de tels traitements lui ont été infligés dans le passé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2001 par :

M. Ravarani, président M. Hoscheit, juge suppléant Mme Everling, juge suppléant en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12651
Date de la décision : 28/06/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-06-28;12651 ?

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