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28/06/2001 | LUXEMBOURG | N°12645

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2001, 12645


Tribunal administratif N° 12645 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 décembre 2000 Audience publique du 28 juin 2001

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Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12645 et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2000 par Maître Stéphane JACOBY, avocat à la Cour, assisté de Maître Tine A. LARSEN, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxe

mbourg, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, né le … à Podgorica (Monténégro, de nationalité yougoslave,...

Tribunal administratif N° 12645 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 décembre 2000 Audience publique du 28 juin 2001

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Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12645 et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2000 par Maître Stéphane JACOBY, avocat à la Cour, assisté de Maître Tine A. LARSEN, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, né le … à Podgorica (Monténégro, de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L- … , tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 septembre 2000, notifiée le 21 novembre 2000 par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2001 ;

Vu le mémoire en réplique de Monsieur … SKRIJELJ déposé le 6 mars 2001 au greffe du tribunal administratif ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Férdérique LERCH, en remplacement de Maître Stéphane JACOBY, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 22 septembre 1998, Monsieur … SKRIJELJ, né le … à Podgorica (Monténégro), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L- … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de 1 réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Monsieur … SKRIJELJ fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 1er décembre 1998, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 22 septembre 2000, notifiée le 21 novembre 2000, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande d’asile avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Podgorica le 18 septembre 1998. Vous avez pris un premier bateau jusqu’en Albanie et un second jusqu’en Italie. Là vous avez pris place dans une camionnette avec laquelle un passeur vous a amené au Luxembourg. Vous avez déclaré n’avoir pas de famille au Luxembourg.

Vous exposez que vous avez été appelé, en avril/mai 1998, à l’inspection préalable au service militaire. Vous avez été affecté comme conducteur de char. Quand vous avez quitté votre pays, en septembre 1998, vous reconnaissez que vous n’aviez pas encore reçu votre convocation pour accomplir votre service militaire. Vous n’avez été appelé qu’après votre départ, d’après les dires de vos parents restés sur place. Vous ajoutez que ces derniers n’ont pas accepté vos deux convocations. Vous prétendez que vous ne vouliez pas aller à l’armée.

Vous dites que le refus de se présenter aux convocations militaires vous vaudrait trois à cinq ans de prison. Vous ajoutez que vous seriez aussi sans doute mal vu par vos amis parce que vous avez quitté le pays. Vous pensez de même que votre départ pourrait attirer des ennuis à votre famille.

Vous ajoutez que vous n’étiez membre d’aucun parti politique mais sympathisant du SDA. Vous prétendez que les musulmans subissent des discriminations dans votre pays mais vous ne donnez aucun exemple de ces discriminations. Vous ne faites état, en ce qui vous concerne, d’aucune discrimination ni persécution.

Cependant, je vous informe que la seule crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne fonde pas, à elle seule, une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 18 décembre 2000, Monsieur … SKRIJELJ a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 22 septembre 2000.

2 Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, au motif que les dispositions légales applicables en la matière prévoiraient un recours au fond.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, Monsieur SKRIJELJ fait exposer qu’il a quitté son pays d'origine pour se soustraire à l'appel à l'armée fédérale yougoslave et qu'en cas d'un rapatriement forcé dans son pays d'origine, il risquerait d'être persécuté et de surcroît condamné à une peine d'emprisonnement lourde et disproportionnée en raison de son insoumission.

A cet égard, il souligne que « selon le Comité de Helsinki pour les Droits de l'Homme, la sentence minimale pour un refus de reporter pour le service militaire serait de deux ans, que les personnes jugées par défaut encourraient des peines beaucoup plus longues et que les droits au procès équitable, ainsi qu'au respect des droits de la défense, ancrés dans la constitution de la République Fédérale Yougoslave en ses articles 26 et 29, ne seraient pas garantis par le Décret du 25 mars 1999 sur l'Application de la Procédure Criminelle en temps de Guerre, qui autoriserait des procès extrêmement courts et le prononcé de peines particulièrement longues pour le refus de reporter pour le service militaire, l'évasion au recrutement et des offenses criminelles similaires ». Il relève également que « malgré la fin de la guerre, les tribunaux militaires appliqueraient à toutes les offenses qu'ils sont amenés à juger, la réglementation sur l'état de guerre de sorte que les peines infligées seraient le double ou le triple des peines normalement encourues et qu'il risquerait dès lors d'être condamné à une peine manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de l'infraction commise ».

En dernier lieu, il prétend qu'en vertu de la loi d'amnistie des appelés votée par le parlement du Monténégro que l'Etat fédéral refuserait de reconnaître, la presse locale du Monténégro aurait dénoncé la guerre non déclarée de l'armée yougoslave contre les citoyens du Monténégro et que la police militaire aurait entrepris ces derniers mois une nouvelle action d'arrestation de présumés déserteurs ou fugitifs du service militaire.

… SKRIJELJ estime dès lors avoir établi des craintes justifiées de persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou en raison de ses opinions politiques, conformément aux exigences de la Convention de Genève.

3 Le délégué du gouvernement conclut au débouté du recours exercé par le demandeur au motif que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … SKRIJELJ.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève dispose que le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … SKRIJELJ lors de son audition du 1 décembre 1998, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, l'insoumission, principal motif de persécution allégué, ne constitue pas, en elle-

même, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié, alors qu'elle ne saurait à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d'asile une crainte justifiée de persécution dans son pays d'origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève (v. en ce sens, TA, 7 juillet 1999, n°10861, Ajdarpasic, confirmé par arrêt du 11 novembre 1999, n° 11454C).

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … SKRIJELJ risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience ou religieuses valables ou que la condamnation qu'il risque d'encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d'une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d'ajouter que si des condamnations à des peines d'emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l'égard de déserteurs et d'insoumis, le demandeur n'établit pas, au vu de l'évolution de la 4 situation actuelle en Yougoslavie étant donné qu’une loi d’amnistie bénéficiant aux insoumis et aux déserteurs est entrée en vigueur le 3 mars 2001, et qu’il est pour le surplus indéniable que la République fédérale de Yougoslavie déploie actuellement des efforts concrets pour réintégrer la communauté internationale, ces efforts se matérialisant, entre autres, par le retour aux principes de l’Etat de droit.

Le recours en réformation de … SKRIJELJ est dès lors à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président M. Hoscheit, juge suppléant Mme Everling, juge suppléant et lu à l’audience publique du 28 juin 2001 par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12645
Date de la décision : 28/06/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-06-28;12645 ?

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