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28/06/2001 | LUXEMBOURG | N°12426

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2001, 12426


Tribunal administratif N° 12426 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 octobre 2000 Audience publique du 28 juin 2001

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Recours formé par Monsieur … KRAIEM contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 20 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, assisté de Maître Vincent LINARI-PIERRON, avocat, tous les deux insc

rits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KRAIEM, commerçant, né le...

Tribunal administratif N° 12426 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 octobre 2000 Audience publique du 28 juin 2001

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Recours formé par Monsieur … KRAIEM contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 20 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, assisté de Maître Vincent LINARI-PIERRON, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KRAIEM, commerçant, né le … à Bedoui-

Medenine (Tunisie), de nationalité tunisienne, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 juillet 2000 lui refusant l’octroi d’un permis de séjour au Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2000 ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 15 novembre 2000 déclarant non justifiée une requête tendant à voir ordonner un sursis à exécution concernant la prédite décision du ministre de la Justice du 20 juillet 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif en date du 21 novembre 2000 ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 décembre 2000 ;

Vu le dépôt au greffe du tribunal administratif, en date du 19 janvier 2001, de nouvelles pièces, à la suite de la prise en délibéré de l’affaire en date du 15 janvier 2001, et sur question afférente du tribunal ;

Vu l’information communiquée par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif en date du 2 février 2001, par laquelle il sollicitait, en ordre principal, le rejet des pièces nouvelles et, à titre subsidiaire, la rupture du délibéré afin de permettre à l’Etat de prendre position par rapport à ces pièces nouvelles ;

Vu la rupture du délibéré ordonnée par le tribunal administratif en date du 5 février 2001, à la suite du dépôt des pièces nouvelles, et l’autorisation accordée à chacune des parties à l’instance à prendre position par écrit par rapport à ces pièces nouvelles ;

Vu le mémoire complémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 février 2001 ;

Vu le mémoire, qualifié de « mémoire additif », déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif en date du 14 février 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Vincent LINARI-PIERRON ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Il se dégage d’un rapport établi par l’unité d’… de la police grand-ducale du 25 janvier 2000, que lors d’un contrôle effectué en date du 20 janvier 2000, il a été constaté que Monsieur … KRAIEM, préqualifié, résidant à l’adresse sus-indiquée, ne disposait pas d’une autorisation de séjour. A cette occasion, il a déclaré être « propriétaire » d’une société à responsabilité limitée « … », ayant son siège social à l’adresse précitée.

Par un courrier daté du 24 janvier 2000, adressé au ministère de la Justice, le mandataire de Monsieur KRAIEM entendait « solliciter une autorisation de séjour, en tant qu’indépendant, en nom et pour compte de [son] mandant, afin qu’il puisse régulariser sa situation au plus vite ». Faisant suite à ce courrier, le ministre de la Justice informa le prédit mandataire, par courrier du 26 janvier 2000, que celui-ci était prié de lui renvoyer un certain nombre de documents afin de mettre le ministère en mesure de prendre une décision au sujet de la demande en délivrance d’une autorisation de séjour.

Il ressort d’un procès-verbal dressé par l’unité d’… de la police grand-ducale en date du 27 juin 2000, que Monsieur KRAIEM exploitait depuis sept mois à … un établissement de restauration dénommé « KEBAB IMBISSLADEN « NEW DELICE », sans être en possession ni d’une autorisation de séjour valable ni d’une autorisation de faire le commerce. Il se dégage encore dudit procès-verbal que Monsieur KRAIEM était entré sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg au cours de l’année 1996, en indiquant comme adresse de son domicile un immeuble situé à Luxembourg-Ville, et que jusqu’à la date du procès-verbal en question, aucune autorisation de séjour ne lui a été délivrée et qu’il n’a pas non plus pu établir qu’il était en possession d’une autorisation de faire le commerce et de moyens d’existence légaux.

Par arrêté du ministre de la Justice du 20 juillet 2000, l’autorisation de séjour a été refusée à Monsieur KRAIEM, au motif que celui-ci n’était pas en possession de moyens d’existence suffisants lui permettant d’assurer son séjour au Grand-Duché de Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir. Il ressort encore de la prédite décision ministérielle que le demandeur n’avait donné aucune suite à la lettre ministérielle précitée du 26 janvier 2000.

Par requête du 20 octobre 2000, inscrite sous le numéro 12426 du rôle, Monsieur KRAIEM a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle précitée. Par requête séparée du 31 octobre 2000, inscrite sous le numéro 2 12460 du rôle, il sollicita un sursis à exécution de la décision de refus de permis de séjour. Cette dernière requête a été déclarée non justifiée par une ordonnance du président du tribunal administratif du 15 novembre 2000, au motif notamment qu’une mesure d’éloignement qui serait exécutée avant la décision à intervenir au fond, ne serait pas de nature à causer au demandeur un préjudice grave et définitif.

Nonobstant le fait qu’à la première page de sa requête introductive d’instance, le demandeur a fait indiquer qu’il entend exercer un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 20 juillet 2000, il se dégage clairement du dispositif de ladite requête que le demandeur entend exercer un recours en réformation sinon en annulation dirigé contre la décision en question, l’intention d’intenter un recours en réformation se dégageant plus particulièrement du fait qu’il entend se voir accorder l’autorisation de séjour litigieuse.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 5, p. 310 et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction contre une décision de refus de délivrance d’une autorisation de séjour, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Le recours subsidiaire en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être le gérant ainsi que l’associé unique de la société à responsabilité limitée « … », établie et ayant son siège social à …, et qu’il se serait vu refuser l’autorisation d’établissement sollicitée en vue de l’exploitation de son établissement de restauration situé à l’adresse précitée « pour des raisons inconnues ». Il soutient dans ce contexte être en attente « de se voir communiquer son diplôme tunisien de cuisinier » et que ladite procédure administrative en vue de la délivrance dudit diplôme serait « extrêmement longue ». Il expose encore avoir fait l’acquisition, en date du 15 juin 1999, du fonds de commerce servant actuellement à l’exploitation de l’établissement précité, pour un montant de 500.000.- francs.

Il soutient que le ministre de la Justice aurait fait une erreur manifeste d’appréciation des faits, en ce qu’il a retenu qu’il ne disposerait pas de moyens d’existence suffisants lui permettant d’assurer son séjour au Grand-Duché de Luxembourg, alors qu’en raison de l’exploitation du prédit fonds de commerce, il ne serait pas à charge de l’Etat luxembourgeois. Il estime partant remplir les conditions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soutient que ce serait à bon droit que le ministre de la Justice a refusé au demandeur l’autorisation de séjour, au motif que la preuve des moyens d’existence n’aurait pas été rapportée, en ajoutant qu’à supposer que le demandeur exploite le fonds de commerce précité, les revenus qu’il serait susceptible d’en tirer ne sauraient être considérés comme constituant des revenus 3 légitimes, alors que l’exploitation dudit fonds de commerce ne ferait pas l’objet d’une autorisation de faire le commerce et elle constituerait partant une activité illégale, les revenus tirés d’une activité illégale ne pouvant être pris en considération afin de justifier des moyens personnels, tels que visés par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait exposer que les revenus qu’il tirerait de l’exploitation du fonds de commerce précité seraient à considérer comme étant légitimes dans la mesure où ils constitueraient « le fruit du travail d’une société légalement constituée, payant ses impôts et taxes, et fonctionnant selon les normes actuellement en vigueur ». Il admet toutefois ne pas être en possession d’une « autorisation d’établissement personnelle afin d’exploiter son fonds de commerce en son nom », en soulignant toutefois qu’un « dossier » aurait été déposé au ministère des Classes moyennes « accompagné de tous les documents nécessaires requis ». Il fait encore valoir que le ministère des Classes moyennes aurait subordonné la délivrance d’une autorisation d’établissement à sa possession d’une autorisation de séjour dont la délivrance serait refusée par le ministre de la Justice, au motif qu’il ne serait pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants. Il se trouverait partant dans une « situation absurde » aboutissant à une « impasse juridique » dont il ferait les frais, en ce que les deux ministres subordonneraient leurs autorisations respectives l’une à l’autre.

En ce qui concerne plus particulièrement le motif de refus de l’autorisation de séjour sollicitée par lui, il soutient avoir établi être en possession de moyens d’existence personnels suffisants du fait de « posséder » une société, dont il est l’actionnaire unique et le gérant.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement rappelle qu’au moment où la décision litigieuse a été prise, le demandeur n’aurait pas justifié de moyens d’existence légitimes, dans la mesure où une autorisation de faire le commerce dans le chef de la société … s.à r.l., au nom de laquelle est exploité le prédit fonds de commerce, et dont le demandeur est l’associé unique, n’aurait pas existé.

Au cours de l’audience à laquelle l’affaire a été plaidée une première fois, le mandataire du demandeur a informé le tribunal qu'il souhaitait lui remettre, en cours de délibéré, des pièces quant à la réalité des rémunérations perçues par son mandant. De l’accord du délégué du gouvernement, le tribunal a décidé de prendre l’affaire en délibéré en autorisant le mandataire du demandeur à déposer, le cas échéant, au greffe du tribunal administratif les pièces précitées, en réservant toutefois au représentant étatique le droit de solliciter la rupture du délibéré au cas où il souhaitait prendre position par rapport à celles-ci.

En annexe à un courrier daté du 17 janvier 2001, déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier de la même année, le mandataire du demandeur a fait parvenir au tribunal une copie du bilan et du compte de pertes et profits au 31 décembre 1999 de la société à responsabilité limitée …, ainsi qu’une copie d’un décompte daté du 5 janvier 2001 adressé à la prédite société, établi par l’administration des Contributions directes à la suite des bulletins d’impôt du même jour. Le prédit mandataire indiquait dans sa lettre d’accompagnement que son mandant aurait perçu des indemnités et des dividendes de cette société, tel que cela ressortirait du bilan pour l’exercice 1999 précité. Enfin, il ressort de la lettre en question que Monsieur KRAIEM aurait été logé et nourri par la société.

4 A la suite d’une demande afférente présentée par le délégué du gouvernement, le tribunal a ordonné la rupture du délibéré, au vu des pièces nouvelles, en autorisant chacune des parties à l’instance à prendre position par écrit par rapport à ces pièces nouvelles.

Dans son mémoire complémentaire, le délégué du gouvernement demande au tribunal de faire application de l’article 8, paragraphe 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, en écartant les pièces nouvelles déposées par le mandataire du demandeur après le rapport présenté par le juge rapporteur.

L’article 8, paragraphe (6) précité, dispose que « toute pièce versée après que le juge-rapporteur a commencé son rapport en audience publique est écartée des débats, sauf si le dépôt en est ordonné par le tribunal ».

En l’espèce, le tribunal avait ordonné, en application de la susdite disposition et de l’accord du délégué du gouvernement présent lors de l’audience du 15 janvier 2001 à laquelle l’affaire a été plaidée une première fois, le dépôt au greffe du tribunal administratif de pièces, au cas où elles se trouveraient à la disposition du demandeur, permettant d’établir la réalité des rémunérations perçues par lui, et dont il a été fait état par le mandataire du demandeur au cours de l’audience en question.

Il s’ensuit que le moyen tendant à voir écarter lesdites pièces nouvelles est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Dans son mémoire complémentaire, le délégué du gouvernement a encore fait état, à titre plus subsidiaire, de ce que le tribunal administratif statue comme juge de l’annulation en la présente matière et qu’il doit se prononcer au regard de la situation de droit et de fait telle qu’elle se présentait au moment où la décision litigieuse a été prise.

Or, en l’espèce, le ministre de la Justice n’aurait eu en sa possession, en date du 20 juillet 2000, aucune pièce relative aux moyens d’existence du demandeur et que de ce fait, il aurait été autorisé à lui refuser l'autorisation de séjour sollicitée. Lesdites pièces nouvelles devraient donc être écartées comme n'ayant aucune pertinence, dans la mesure où elles auraient été établies postérieurement à la date à laquelle la décision de refus a été prise.

A titre tout à fait subsidiaire, le représentant étatique soutient encore que le demandeur tenterait de rapporter la preuve des moyens d’existence personnels en soumettant au tribunal un bilan de la société à responsabilité limitée … qui ne bénéficierait pas d’une autorisation de faire le commerce et ne serait partant pas habilitée à avoir des activités commerciales. En admettant encore qu’une personne puisse rapporter la preuve de ses moyens d’existence en se basant sur des revenus provenant d’une activité non autorisée, le représentant étatique estime que dans la mesure où le bénéfice de la société s’élèverait à seulement 90.584.- francs au titre de l’année 1999, et même en y ajoutant les frais de logement et de nourriture fournis gratuitement à Monsieur KRAIEM par la société en question, ce qui ne résulteraient toutefois pas du compte de profits et pertes et même en prenant en considération que le poste du bilan intitulé « frais de personnel » est susceptible de se référer aux déboursements effectués par ladite société en vue de procurer gratuitement à Monsieur KRAIEM le logement et la nourriture, auquel cas celui-ci bénéficierait d’un revenu annuel d’environ 200.000.- francs, soit 16.500.-

5 francs par mois, cette somme ne saurait être considérée comme constituant des moyens d’existence personnels suffisants afin d’assurer le financement de ses frais de voyage et de séjour au Luxembourg. Il signale encore dans ce contexte qu’aucune pièce quant au logement du demandeur et à son affiliation à la sécurité sociale n’aurait été produite.

Il y a lieu de relever de prime abord que le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué (cf. trib. adm. 11 juin 1997, Pas. adm.

1/2000, V° Recours en annulation, n° 9 et autres références y citées). En outre, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise (trib. adm. 27 janvier 1997, op. cit. n° 12 et autres références y citées).

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que : « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : - qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis, (…) ».

Une autorisation de séjour peut donc être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour.

Il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute, sans qu’il ne puisse se livrer, dans le cadre d’un recours en annulation, à une appréciation de l’opportunité de la décision attaquée.

Le ministre de la Justice, en refusant une autorisation de séjour pour défaut de moyens personnels suffisants, ne commet pas une erreur manifeste d’appréciation des faits au cas où il fonde sa décision sur le fait que des revenus provenant de l’exercice d’une activité illégale ne sont pas à considérer comme constituant des moyens personnels suffisants au sens de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972.

En l’espèce, le demandeur entend justifier ses moyens personnels en invoquant sa qualité de gérant et d’associé unique de la société à responsabilité limitée … exploitant un fonds de commerce d’établissement de restauration à …. Dans ce contexte, il invoque le fait qu’il a acquis ledit fonds de commerce, en date du 15 juin 1999, pour un montant de 500.000.- francs. En outre, le fait qu’il exploite ledit fonds de commerce en sa qualité de gérant d’une société valablement constituée devrait justifier, à lui seul, l’existence de tels moyens personnels suffisants.

Il estime encore que les revenus qu’il tirerait ainsi de l’exploitation de ce fonds de commerce seraient à considérer comme constituant des revenus légitimes, alors qu’il constitueraient le « fruit du travail d’une société légalement constituée, payant ses impôts et taxes, et fonctionnant selon les normes actuellement en vigueur ».

Il soutient encore qu’il percevrait des indemnités et des dividendes de la part de la société précitée, tel que cela ressortirait du bilan établi au 31 décembre 1999 dont une copie a été déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 janvier 2001.

6 Il se base encore sur le fait que l’administration des Contributions directes lui a fait parvenir un décompte quant aux impôts sur le revenu, l’impôt commercial communal et l’impôt sur la fortune pour les années 1999 et 2000, pour établir que l’exploitation du fonds de commerce par la société dont il est non seulement l’associé unique mais également le gérant lui procurerait des moyens d’existence légaux. Par ailleurs, ladite société mettrait gratuitement à sa disposition un appartement en vue de son logement.

Le délégué du gouvernement conteste que le ministre de la Justice aurait commis une erreur manifeste d’appréciation des faits ainsi qu’une violation de la loi, au motif qu’il aurait valablement pu se fonder sur le fait que les revenus que le demandeur serait susceptible de tirer de l’exploitation du fonds de commerce précité, à travers la société dont il est non seulement l’associé unique mais également le gérant, seraient à considérer comme des revenus provenant d’une activité illégale ne pouvant être pris en considération pour justifier les moyens d’existence personnels suffisants tels qu’exigés par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, dans la mesure où la société ainsi exploitée ne disposerait pas d’une autorisation de faire le commerce. Il soutient dans ce contexte que c’est à tort que le demandeur entend se baser sur une autorisation de faire le commerce délivrée à une autre société au nom de laquelle serait exploitée le prédit fonds de commerce, alors qu’il résulterait clairement des faits de l’espèce, ainsi que des renseignements obtenus de la part du ministère des Classes moyennes et du Tourisme que cette affirmation ne correspondrait à aucune réalité concrète.

Partant, le demandeur n’aurait pas justifié de moyens d’existence personnels provenant de l’exercice d’une activité légale au moment où la décision litigieuse a été prise par le ministre de la Justice.

Le délégué du gouvernement expose encore qu’au moment où le ministre de la Justice a pris la décision incriminée, il était dans l’impossibilité de tenir compte des pièces déposées au greffe du tribunal administratif en date du 19 janvier 2001, dans la mesure où non seulement le bilan et le compte des pertes et profits au 31 décembre 1999 mais également le décompte précité de l’administration des Contributions directes, établi en date du 5 janvier 2001, n’étaient pas en sa possession. Partant, ces pièces ne sauraient mettre en doute la légalité de la décision prise.

A titre subsidiaire, il soutient que les sommes indiquées le cas échéant au budget ainsi qu’au compte de pertes et profits ne seraient pas d’un montant assez élevé pour établir le caractère suffisant des moyens d’existence.

Il est constant en cause que la société à responsabilité limitée … dont le demandeur constitue non seulement l’associé unique mais également le gérant exploitant le fonds de commerce d’un établissement de restauration à …, ne possédait pas, au jour de la prise de la décision ministérielle, une autorisation de faire le commerce. Il s’ensuit que dans la mesure où le demandeur entend justifier l’existence de moyens personnels, tels que requis par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, par les sommes qui lui seraient versées non seulement au titre d’une rémunération mais également au titre des dividendes à percevoir sur les bénéfices de ladite société, ayant comme seule activité l’exploitation d’un fonds de commerce ne bénéficiant pas d’une autorisation de faire le commerce, ladite preuve n’est pas rapportée, étant donné que les prédites sommes sont à considérer comme des revenus provenant de l’exercice d’une activité illégale. Partant, le ministre de la Justice n’a pas commis une erreur d’appréciation manifeste des faits en 7 décidant que de tels revenus ne sauraient être pris en compte pour évaluer l’existence des moyens personnels exigés par le prédit article 2. Il s’ensuit que le ministre de la Justice n’avait pas à apprécier le montant des revenus que le demandeur prétend tirer de l’exploitation dudit fonds de commerce, d’autant plus que les pièces sur lesquelles le demandeur se base actuellement, à savoir le bilan et le compte de pertes et profits au 31 décembre 1999 ainsi que le décompte précité de l’administration des Contributions directes daté au 5 janvier 2001, n’étaient pas à sa disposition au moment où la décision incriminée a été prise.

Il est encore constant qu’au moment où la décision critiquée a été prise, le demandeur n’a pas rapporté la preuve d’autres moyens personnels propres lui permettant de supporter les frais de voyage et de séjour, une telle preuve n’ayant d’ailleurs pas non plus été rapportée en cours d’instance.

Il suit des considérations qui précèdent que le ministre de la Justice a valablement pu rejeter la demande en octroi d’une autorisation de séjour sollicitée par le demandeur et que le recours laisse partant d’être fondé.

Cette conclusion ne saurait être énervée par le moyen invoqué par le demandeur tiré d’une éventuelle violation de l’article 111 de la Constitution, en ce que du fait de la décision incriminée, il se verrait déposséder de ses biens, alors qu’abstraction faite de toutes autres considérations, le refus de délivrance d’une autorisation de séjour ne saurait avoir une quelconque influence sur la propriété privée.

Cette conclusion ne saurait pas non plus être énervée par l’argumentation du demandeur suivant laquelle « les ministères [du Travail et de l’Emploi et de la Justice] subordonnent leur autorisation l’une à l’autre », en ce que, contrairement à l’opinion émise par le demandeur, chacun des ministres agit dans son domaine de compétence propre et qu’il n’a pas à prendre en considération, dans le cadre de la préparation d’une décision relevant de son domaine de compétence, d’éventuelles autres autorisations relevant du domaine de compétence d’autres ministres et qu’en l’espèce, il résulte des faits et éléments du dossier que le ministre de la Justice est resté dans son domaine de compétence en refusant au demandeur l’autorisation de séjour sollicitée pour défaut de moyens d’existence personnels.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

écarte la demande tendant au rejet des pièces déposées au greffe du tribunal administratif en date du 19 janvier 2001 ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

8 Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 28 juin 2001 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12426
Date de la décision : 28/06/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-06-28;12426 ?

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