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27/06/2001 | LUXEMBOURG | N°12703

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juin 2001, 12703


Tribunal administratif N° 12703 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 décembre 2000 Audience publique du 27 juin 2001

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Recours formé par Monsieur … KASTRATI, … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12703 et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoca

ts à Luxembourg, au nom de Monsieur … KASTRATI, né le 2 décembre 1975, de nationalité yougoslave, demeu...

Tribunal administratif N° 12703 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 décembre 2000 Audience publique du 27 juin 2001

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Recours formé par Monsieur … KASTRATI, … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12703 et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KASTRATI, né le 2 décembre 1975, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-

… , tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 22 septembre 2000 portant refus dans le chef du demandeur d’un permis de travail de type B par lui sollicité;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 mars 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Par déclaration datée du 22 juin 2000, entrée le 29 juin 2000 à l’administration de l’Emploi, la société anonyme CEODEUX ULTRA PURE EQUIPMENT TECHNOLOGY S.A., avec siège social à L-7440 Lintgen, 24, rue de Diekirch, introduisit une demande en obtention d’un permis de travail, pour un poste d’« opérateur » non autrement spécifié, en faveur de Monsieur … KASTRATI, préqualifié.

Sur avis de la commission d’avis spéciale instituée par le règlement grand-ducal du 17 juin 1994 modifiant le règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, le ministre du Travail et de l’Emploi autorisa, par arrêté du 21 juillet 2000, Monsieur KASTRATI à prendre le prédit emploi auprès de la société CEODEUX ULTRA 1 PURE EQUIPMENT TECHNOLOGY S.A.. Ledit permis précisait qu’il était valable jusqu’au 20 juillet 2001.

Par lettre du 9 septembre 2000, le mandataire de Monsieur KASTRATI adressa au ministre du Travail et de l’Emploi un « recours gracieux » contre le prédit arrêté ministériel.

Dans ledit courrier, Monsieur KASTRATI se plaignit de ce qu’il ne s’était vu attribuer qu’un permis de travail de type A, c’est-à-dire un permis d’une durée de validité maximale d’un an, valable pour une seule profession et pour un employeur déterminé et non pas un permis de travail de type B, c’est-à-dire un permis d’une durée de quatre ans, valable pour une profession, mais pour tout employeur, alors qu’il estima remplir les conditions légales afférentes. Dans ce contexte, il fit valoir que depuis le mois d’avril 1997, il travaillerait à Luxembourg auprès de la société CEODEUX et que son contrat de travail aurait été renouvelé à trois reprises.

Par décision datée du 22 septembre 2000, le ministre du Travail et de l’Emploi refusa la délivrance d’un permis de travail de type B.

Par requête déposée le 27 décembre 2000, Monsieur KASTRATI a introduit un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 22 septembre 2000.

Le délégué du gouvernement soulève en premier lieu l’irrecevabilité du recours pour avoir été déposé tardivement. Il relève, dans cet ordre d’idées, que le recours a été déposé le 27 décembre 2000 et que la décision querellée date du 22 septembre 2000, de sorte que le délai de trois mois pour agir en justice n’aurait pas été respecté. Il ajoute encore que la décision du 22 septembre 2000 aurait été expédiée le jour même de sa signature et qu’« on voit mal pourquoi [elle] (…) soit seulement parvenue à son destinataire une semaine plus tard ».

Le demandeur a exposé dans sa requête introductive d’instance que la décision ministérielle n’aurait été notifiée à son mandataire qu’en date du 28 septembre 2000.

Le moyen d’irrecevabilité soulevé par le représentant étatique doit être écarté étant donné que, même abstraction faite de ce que la décision litigieuse ne contient aucune information sur les voie et délai de recours, le point de départ du délai contentieux, en l’espèce trois mois à partir de la date de notification de la décision litigieuse, n’a pas été établi à suffisance de droit. Dans ce contexte, l’allégation du délégué du gouvernement relativement à l’expédition de la décision le jour de sa signature, même à l’admettre, ne renseigne ni sur la question de savoir si la décision a été signée le jour dont elle porte la date, ni surtout quant à la date de notification qui reste incertaine.

Le délégué du gouvernement conteste en second lieu l’intérêt personnel et direct à agir du demandeur au motif que ce dernier ferait état d’un besoin d’un permis de travail de type B afin d’obtenir une carte d’identité alors que « la délivrance ou non d’une carte d’identité d’étranger [n’a] (…) absolument rien à voir avec la délivrance d’un permis de travail [et qu’] (…) il ne résulte d’aucune pièce (…) [du] dossier que le requérant ait demandé une carte d’identité d’étranger et que celle-ci lui ait été refusée ».

Ledit moyen d’irrecevabilité laisse également d’être fondé, étant donné que le demandeur en tant que destinataire direct d’une décision administrative refusant de faire droit à 2 une demande qu’il a introduite devant l’administration a un intérêt personnel et direct suffisant pour introduire un recours contentieux tendant à en faire vérifier la légalité.

Le recours en annulation est partant recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes de la loi.

Au fond, le demandeur soutient en premier lieu que le droit communautaire et, plus précisément, l’article 39 (ex 48) du traité instituant les Communautés Européennes instaurerait un droit pour tout ressortissant d’un Etat membre d’accéder à un emploi stable dans un Etat membre autre que celui dont il est ressortissant et que l’article 11 du règlement communautaire n° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté étendrait ce droit aux membres de la famille dudit travailleur.

Le délégué du gouvernement conteste en premier lieu que les dispositions communautaires invoquées trouveraient application dans le présent cas de figure, au motif que le droit communautaire n’aurait pas vocation à s’appliquer à une situation purement interne à un Etat. Il soutient dans ce contexte qu’en l’espèce, il n’y aurait pas de situation de circulation entre Etats membres. Lors des plaidoiries, le délégué du gouvernement a précisé cette argumentation en soutenant qu’il n’y aurait pas eu circulation entre Etats membres postérieurement au mariage du demandeur avec une ressortissante de la république française, cette dernière ayant, au moment du mariage, d’ores et déjà résidé au Luxembourg et ceci depuis une dizaine d’années.

En second lieu, le délégué estime que, même à supposer que l’article 11 du règlement communautaire précité n° 1612/68 du Conseil trouverait application, il ne s’opposerait pas à ce que la procédure du permis du travail soit appliquée au conjoint non-communautaire d’un ressortissant communautaire, « cette disposition ayant pour seule conséquence que le conjoint non-communautaire dispose d’un droit au permis de travail et au changement de profession tant que l’époux/l’épouse communautaire exerce effectivement une activité salariée sur le territoire luxembourgeois ».

Le représentant étatique ajoute encore que le ministre du Travail et de l’Emploi n’aurait pas imposé unilatéralement la procédure du permis de travail, mais que le demandeur et son employeur auraient sollicité pareille autorisation.

Abstraction faite de la question de connaître les motifs qui ont amené le demandeur à introduire une demande tendant à obtenir un permis de travail si, tel que cela se dégage du moyen d’annulation actuellement sous analyse, il s’estime libéré de l’obligation y afférente par le jeu des dispositions de droit communautaire, la réponse à ladite question n’étant pas pertinente dans le cadre de la présente affaire, il convient de relever que l’article 11 du règlement communautaire n° 1612/68 précité du Conseil dispose que « le conjoint et les enfants de moins de vingt-et-un ans ou à charge d’un ressortissant d’un Etat membre exerçant sur le territoire d’un Etat membre une activité salariée ou non salariée ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même Etat, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un Etat membre ».

Cette disposition institue un droit au profit du conjoint du travailleur bénéficiaire de la libre circulation d’accéder à toute activité salariée dans l’Etat membre où ledit travailleur 3 communautaire exerce sa propre activité salariée ou non salariée et ledit droit dérivé confère ainsi un droit à un traitement national pour l’accès à l’activité salariée.

L’existence du droit dérivé du conjoint est cependant conditionné par la nécessité d’un facteur de rattachement avec une situation envisagée par le droit communautaire, en l’occurrence une circulation intra-communautaire d’un travailleur ressortissant d’un autre Etat membre des communautés.

Or, force est de constater que cette condition est remplie en l’espèce, étant donné qu’il est constant en cause que le demandeur est marié (depuis 1996) avec une ressortissante de la république française qui s’est installée et qui travaille (en tant que serveuse) au Grand-Duché depuis le milieu des années 80 (« depuis le 1er septembre 1986 au moins » aux termes du mémoire en réponse du délégué du gouvernement). - Dans ce contexte, c’est à tort que le délégué du gouvernement entend ajouter l’exigence supplémentaire que le droit du ressortissant communautaire à la libre circulation ait été exercé postérieurement au mariage, c’est-à-dire d’introduire l’exigence d’un mariage antérieur à l’installation du travailleur communautaire sur le territoire d’un autre Etat membre. En effet, pareille exigence ne figure pas dans la disposition communautaire et l’admettre aurait pour conséquence de vider l’article 11 du règlement communautaire précité n° 1612/68 d’une partie de sa substance et la liberté de circulation des travailleurs communautaires connaîtrait une restriction évidente, incompatible avec l’article 39 du traité CE.

C’est encore à tort que le délégué du gouvernement soutient que même en cas d’application de l’article 11 du règlement communautaire précité n° 1612/68, ledit article ne s’opposerait pas à ce que la procédure du permis de travail soit appliquée au conjoint non-

communautaire, cette argumentation étant contraire au fait que ledit article 11 confère au ressortissant d’un Etat tiers un droit au même traitement pour l’accès à l’activité salariée que celui dont bénéficie son conjoint, ressortissant CE en circulation, et non pas un droit à l’obtention d’une autorisation pour ce faire.

Il s’ensuit que le demandeur n’avait pas besoin d’un permis de travail pour l’exercice de l’activité salariée d’« opérateur » auprès de la société anonyme CEODEUX ULTRA PURE EQUIPMENT TECHNOLOGY S.A. et que sa soumission, par le ministre du Travail et de l’Emploi, aux dispositions nationales relatives aux étrangers ne disposant pas de droit assimilé aux droits des ressortissants nationaux, était illégale, car contraire au droit communautaire. Il s’ensuit que la décision ministérielle encourt l’annulation en ce qu’elle tend à restreindre le droit dérivé du demandeur d’accéder à toute activité salariée dans l’Etat membre où son conjoint exerce sa liberté de circulation.

La décision ministérielle litigieuse encourant l’annulation sur base des considérations qui précèdent, il n’y a pas lieu d’examiner les autres moyens et arguments développés par le demandeur, cet examen devenant surabondant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

4 reçoit le recours en la forme;

au fond le dit justifié;

partant annule la décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 22 septembre 2000;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 27 juin 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12703
Date de la décision : 27/06/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-06-27;12703 ?

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