La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/06/2001 | LUXEMBOURG | N°12676

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juin 2001, 12676


Numéro 12676 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2000 Audience publique du 20 juin 2001 Recours formé par les époux … GAS et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12676 du rôle, déposée le 22 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent LAZARD, avoca

t à la Cour, assisté de Maître Candice WISER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de ...

Numéro 12676 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2000 Audience publique du 20 juin 2001 Recours formé par les époux … GAS et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12676 du rôle, déposée le 22 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent LAZARD, avocat à la Cour, assisté de Maître Candice WISER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … GAS, né le … à Pec (Kosovo), et de son épouse, Madame …, née le … à Pec, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-… , agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mai 2000, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 22 novembre 2000, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu la lettre de Maître Candice WISER du 4 janvier 2001 informant le tribunal administratif de ce que les époux GAS-… bénéficient de l’assistance judiciaire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 février 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Candice WISER et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 avril 2001.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 22 octobre 1998, Monsieur … GAS et son épouse, Madame …, préqualifiés, agissant en leur nom personnel et en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux GAS-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Monsieur GAS fut entendu en date du 12 novembre 1998 par un agent du ministère de la Justice pour fournir des précisions complémentaires quant à son identité et sur son voyage pour venir au Luxembourg, tandis que lui-même et Madame … furent entendus séparément en date du 9 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

Le ministre de la Justice informa les époux GAS-…, par lettre du 31 mai 2000, notifiée en date du 21 juillet 2000, que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils ne pourraient pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à leur race, à leur religion, à leur nationalité, à leur appartenance à un certain groupe social ou à leurs opinions politiques.

Le recours gracieux formé par les époux GAS-… moyennant courrier de leur mandataire daté au 18 août 2000 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 22 novembre 2000.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 31 mai et 22 novembre 2000, les consorts GAS-… ont fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 22 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être originaires du Kosovo et faire partie de la communauté musulmane. Quant à la situation générale dans leur pays d’origine, ils soutiennent que la fin de la guerre n’aurait pas mis fin à l’insécurité régnant au Kosovo et que les musulmans continueraient à quitter ce territoire au vu des dangers auxquels ils seraient exposés.

Quant à leur situation personnelle, les demandeurs se fondent en premier lieu sur des menaces de mort proférées par la police serbe à leur encontre pour provoquer leur fuite. Ils 2 invoquent encore des persécutions de la part de leurs voisins en raison de leur appartenance à la minorité musulmane et de leur défaut de maîtriser la langue albanaise, tout en se prévalant plus particulièrement du fait que leur maison aurait été incendiée après leur départ afin de les dissuader d’un éventuel retour. Ils renvoient par ailleurs aux problèmes de santé dont souffrirait Madame … lesquels nécessiteraient un suivi médical qui ne lui serait pas assuré au Kosovo en cas de retour au vu de son appartenance à la minorité musulmane.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux GAS-… lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Les demandeurs ne peuvent partant plus se prévaloir utilement d’une peur de persécution de la part de la police serbe qui subsisterait à l’heure actuelle dans leur pays d’origine.

3 Quant à la peur des demandeurs de leurs voisins, force est de constater que la persécution ainsi alléguée proviendrait non pas d’autorités étatiques ou locales, mais d’un groupe de la population en place dans la région d’origine des demandeurs. Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le seul fait concret, pour le surplus antérieur au départ des forces serbes du Kosovo, de l’incendie de la maison des demandeurs, aussi dramatique qu’il a pu être pour ces derniers, n’est pas de nature à établir à lui seul un tel défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place et les demandeurs restent en défaut d’étayer concrètement par d’autres éléments liés à leurs personnes un risque réel de persécutions malgré la présence des forces et administration internationales susvisées. Les autres éléments invoqués par les demandeurs et fondés sur leur crainte de persécutions en raison de leur appartenance à la communauté religieuse musulmane ainsi sur leurs craintes résultant de la situation politique générale, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Les problèmes de santé de Madame … et le risque allégué d’un suivi médical inadéquat au Kosovo ne constituent pas des éléments susceptibles d’être pris en considération dans le cadre d’une demande d’asile.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, 4 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, et lu à l’audience publique du 20 juin 2001 par M. CAMPILL en présence de M.

SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12676
Date de la décision : 20/06/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-06-20;12676 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award