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18/06/2001 | LUXEMBOURG | N°12723

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juin 2001, 12723


Tribunal administratif N° 12723 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2001 Audience publique du 18 juin 2001

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Recours formé par les époux … KADRIC et … et consorts, Differdange contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12723 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ€

™Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … KADRIC, né le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie),...

Tribunal administratif N° 12723 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2001 Audience publique du 18 juin 2001

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Recours formé par les époux … KADRIC et … et consorts, Differdange contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12723 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … KADRIC, né le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), et …, née le … à Tutin (Serbie/Yougoslavie), agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants …, …et …, respectivement nés les … , … et … à Novi Pazar, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 août 2000, notifiée le 13 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 18 décembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Louis TINTI ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 20 août 1999, les époux … KADRIC et …, préqualifiés, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants …, …et …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement 1 grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … KADRIC et … furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 23 août 1999, les époux KADRIC-… furent en outre entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 29 août 2000, notifiée le 13 novembre 2000, le ministre de la Justice informa les consorts KADRIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, qu’un passeur vous a conduit ensemble avec votre épouse et vos trois enfants mineurs de Novi Pazar à Sarajevo. Vous dites avoir traversé la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France. Vous dites être tous arrivés à Luxembourg en date du 20 août 2000.

Vous avez déposé deux demandes en obtention du statut de réfugié le jour même de votre arrivée au Luxembourg.

Vous relevez d’abord, Monsieur, qu’après avoir travaillé dans une fabrique militaire pendant 19 ans, vous avez été licencié en 1993 au motif que vous seriez musulman. De peur des bombardements lors du conflit au Kosovo, vous auriez refusé d’y retourner lorsque les responsables vous auraient proposé un emploi.

Vous dites avoir effectué votre service militaire en 1988/89 en Croatie. Vous ajoutez que vous auriez été appelé à la réserve pendant trois mois lors de la guerre de Croatie.

De plus, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique. Vous dites cependant contester la politique du régime de Milosevic.

Vous expliquez que vous auriez quitté votre pays d’origine en raison de la situation politique. Vous ajoutez que les musulmans n’auraient pas de droits dans votre pays. En outre, vous affirmez ne pas pouvoir y retourner alors que des militaires vous auraient expulsé de votre domicile. De même, vous seriez puni en cas de retour et vous ne trouveriez plus d’emploi.

Par ailleurs, vous exposez avoir entendu dire que vous auriez été condamné.

Vous relevez également avoir peur de la loi et de l’armée. Vous craindriez d’être soupçonné d’avoir volé des plans d’armes automatiques à votre ancien employeur.

Enfin, vous dites que votre peur serait liée à votre religion et à vos opinions politiques. Mais vous admettez n’avoir été maltraité ni physiquement ni verbalement.

En ce qui vous concerne, Madame, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous admettez ne pas avoir d’opinions politiques.

2 Vous exposez avoir quitté votre pays en raison de vos enfants, en raison de la situation politique et en raison de la réserve.

Vous relevez par ailleurs que le danger existerait aussi longtemps que Milosevic serait au pouvoir et que personne ne saurait garantir la fin du conflit armé. Vous dites avoir peur de la situation politique et du conflit armé. Cette peur serait liée au fait que vous êtes musulmane.

Enfin, vous estimez avoir personnellement subi des persécutions du fait que les réservistes vous auraient expulsée de votre domicile.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, à savoir une persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques.

Monsieur, les événements dénoncés (licenciement, expulsion du domicile, condamnation, voire chômage en cas de retour), même à les supposer établis, ne dénotent pas une persécution de nature à justifier une crainte pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève.

A cela s’ajoute qu’une situation de paix s’est établie dans votre pays d’origine.

Quant à vous, Madame, vous n’invoquez que des motifs d’ordre personnel sans citer un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre datée du 12 décembre 2000, les consorts KADRIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 29 août 2000.

Par décision du 18 décembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

3 Par requête déposée en date du 2 janvier 2001, les consorts KADRIC-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 29 août et 18 décembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires de Serbie et de religion musulmane, qu’ils ont quitté leur pays d’origine au courant du mois d’août 1999, au motif que les musulmans n’auraient pas de droits dans leur pays d’origine, qu’ils auraient peur « de la loi » et de l’armée et que Monsieur KADRIC aurait récemment appris d’un ami, qui aurait travaillé avec lui dans une fabrique d’armes, que des plans de constructions d’armes automatiques auraient été volés. Relativement à ce dernier point, Monsieur KADRIC soutient qu’il aurait peur d’être soupçonné d’être à l’origine de ce vol. Dans ce contexte, il expose encore avoir travaillé dans ladite fabrique pendant 19 ans - lors de son audition du 23 août 1999, il avait précisé à ce sujet qu’il avait été licencié en 1993, en raison de sa religion musulmane et que par la suite, on lui aurait proposé de revenir travailler, ce qu’il aurait refusé de faire en raison du risque de bombardement -, qu’il y aurait exercé des fonctions de responsabilité dans ladite fabrique, de sorte qu’il serait particulièrement exposé d’être soupçonné de traîtrise et de collaboration avec les puissances ennemies. Il estime encore que la peine qu’il risquerait d’encourir risquerait d’être disproportionnée en raison de sa religion musulmane.

Les demandeurs exposent encore qu’il leur serait impossible de se réfugier à l’intérieur de leur pays, notamment au Kosovo, au motif qu’ils y risqueraient d’être persécutés par la population albanaise qui interpréterait le travail de Monsieur KADRIC dans une fabrique d’armes comme une participation à la politique d’épuration ethnique menée au Kosovo contre les Albanais par les Serbes.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits, en reprochant, en substance, au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits et circonstances prérelatés qui justifieraient une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts KADRIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a 4 pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux KADRIC-….

En l’espèce, sur base des éléments du dossier, l’examen des déclarations faites par Monsieur KADRIC et son épouse, Madame …, lors de leurs auditions respectives en date du 23 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le tribunal constate que les demandeurs basent leurs craintes de persécution essentiellement sur le fait que les musulmans seraient discriminés par les Serbes dans leur pays d’origine en raison de leur religion.

Or, ces craintes s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans ce contexte, les allégations non autrement circonstanciées des demandeurs quant à la perte d’emploi de Monsieur KADRIC, l’occupation de la maison des demandeurs par des réservistes et la condamnation ou le risque de condamnation de Monsieur KADRIC en raison de sa prétendue implication dans un vol de documents dans la fabrique où il a été engagé, ne sont pas, à les supposer établies, d’une nature suffisamment grave pour justifier un risque de persécution au sens de la Convention de Genève et de rendre à raison la vie des demandeurs intolérable dans leur pays d’origine. Il convient encore d’ajouter que, concernant le risque de persécution fondé sur un danger de condamnation en raison des « soupçons » relatifs à une implication de la part de Monsieur KADRIC dans un vol de documents, les demandeurs restent en défaut d’établir que l’éventuelle accusation ou condamnation de Monsieur KADRIC serait liée à un des motifs prévus par la Convention de Genève.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la 5 reconnaissance du statut de réfugié politique. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 18 juin 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12723
Date de la décision : 18/06/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-06-18;12723 ?

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