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11/06/2001 | LUXEMBOURG | N°12473

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juin 2001, 12473


Tribunal administratif N° 12473 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2000 Audience publique du 11 juin 2001 Recours formé par Monsieur … CHRISTNACH contre 1) une décision du ministre de la Force Publique 2) une décision du ministre de l’Intérieur en matière de promotion

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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 12473, déposée le 8 novembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ...

Tribunal administratif N° 12473 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2000 Audience publique du 11 juin 2001 Recours formé par Monsieur … CHRISTNACH contre 1) une décision du ministre de la Force Publique 2) une décision du ministre de l’Intérieur en matière de promotion

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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 12473, déposée le 8 novembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CHRISTNACH, commissaire de police, demeurant à L- … , tendant à la réformation sinon à l’annulation 1) d’une décision du ministre de la Force Publique du 22 mai 1996 le nommant au grade d’adjudant avec effet au 22 juin 1996 et 2) d’une décision du ministre de l’Intérieur du 12 janvier 2000 « ne classant pas le requérant au tableau d’avancement unique dressé pour la carrière de l’inspecteur de police au rang qui lui revient » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 février 2001 par Maître Edmond DAUPHIN au nom du demandeur;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … CHRISTNACH, préqualifié, fut assermenté au sein du corps de la gendarmerie en date du 31 octobre 1977. Il passa son examen de promotion en novembre 1987 et il se classa 11ième au grade de maréchal des logis-chef. A la suite de ce classement, il fut précédé de Monsieur M. et suivi de Monsieur K.. En 1992, il fut promu adjudant.

Le 15 juin 1994, il fut condamné par le tribunal correctionnel à une peine correctionnelle pour infraction au code de la route et une action disciplinaire fut dirigée à son encontre.

Par décision du 22 juin 1995, le ministre de la Force Publique prononça la « peine disciplinaire de la rétrogradation au grade de maréchal des logis-chef de gendarmerie pendant la durée d’une année ».

Le 22 mai 1996, le ministre de la Force Publique le nomma à nouveau au grade d’adjudant avec effet au 22 juin 1996, en le classant au 256ième rang dans la liste d’ancienneté, ses collègues de promotion, Messieurs M. et K., figurant respectivement aux 219ième et 220ième rang.

Suivant le tableau d’avancement unique dressé pour la carrière de l’inspecteur de police en date du 12 janvier 2000 par le ministre de l’Intérieur, Monsieur CHRISTNACH figurait au 169ième rang des commissaires de la police grand-ducale, ses collègues précités étaient classés respectivement au 108ième et 111ième rang.

Par requête déposée en date du 8 novembre 2000, Monsieur CHRISTNACH a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la décision du ministre de la Force Publique du 22 mai 1996 le nommant au grade d’adjudant avec effet au 22 juin 1996 ainsi qu’à l’encontre de la décision du ministre de l’Intérieur du 12 janvier 2000, le classant au 169ième rang des commissaires de la police grand-ducale.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, au motif qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoirait un recours au fond en la matière.

Etant donné que ni la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ni aucune autre disposition légale n’instaurent un recours de pleine juridiction en la présente matière, le tribunal est partant incompétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal à l’encontre des décisions précitées.

Le représentant étatique conclut encore à l’irrecevabilité du recours en annulation dans la mesure où il est dirigé contre la décision du ministre de la Force Publique du 22 mai 1996, au motif que le demandeur n’aurait aucun intérêt à quereller cette décision.

Force est de constater que la décision litigieuse opère la nomination de Monsieur CHRISTNACH au grade d’adjudant et dans la mesure où il s’agit d’une nouvelle nomination à ce grade après avoir subi la sanction de la rétrogradation pour la durée d’une année, cette nomination détermine le rang d’ancienneté, et partant le demandeur possède un intérêt à agir.

Le recours en annulation, non autrement contesté, est recevable pour avoir été introduit dans les délai et formes de la loi.

Le demandeur fait critiquer que la mesure consistant à lui accorder une « nouvelle » nomination dans le grade d’adjudant serait « illogique », étant donné qu’il aurait dû être rétabli dans son ancienne carrière après l’expiration du délai d’un an prononcé à son encontre au titre 2 de la sanction disciplinaire de la rétrogradation. Il estime que la sanction disciplinaire ne l’aurait pas privé de son grade mais lui aurait seulement ôté pour la durée d’une année le droit d’assumer ce grade, de sorte que la sanction aurait simplement consisté « à l’exclure temporairement de ses fonctions avec privation de rémunération ». Il conclut que la décision du ministre de la Force Publique, le privant de son ancienneté et des avantages qu’il avait acquis dans le grade d’adjudant avant sa rétrogradation, serait illégale.

Il relève encore que le mode d’application de la peine tel que préconisé par le ministre, serait inconstitutionnel étant donné qu’il violerait le principe de l’égalité des citoyens devant la loi. A ce titre, il donne à considérer qu’un fonctionnaire qui aurait déjà « plusieurs annuités à son actif est beaucoup plus sévèrement puni que celui qui vient justement d’obtenir son premier avancement en traitement. S’en remettre au hasard pour déterminer le montant d’une peine, même si le procédé est appliqué à tous les fonctionnaires concernés, n’en constitue pas moins une discrimination ».

Il est constant qu’en date du 22 juin 1995, le ministre de la Force Publique prononça « la peine disciplinaire de la rétrogradation au grade de maréchal des logis-chef de gendarmerie pendant la durée d’une année » à l’encontre du demandeur. La décision d’infliger la sanction disciplinaire de la rétrogradation au demandeur n’est pas attaquée par le présent recours, mais l’application qui en a été faite par le ministre de la Force Publique lors de la promotion du demandeur au grade d’adjudant après l’écoulement du délai d’un an retenu par la prédite sanction est critiquée.

En effet, à l’expiration dudit délai d’un an, il fut à nouveau nommé au grade d’adjudant de gendarmerie avec effet au 22 juin 1996, cette nomination étant considérée comme une nouvelle nomination dans ce grade et en conséquence, il fut classé en dernière position sur la liste d’avancement des adjudants.

Il convient dès lors d’analyser si cette interprétation donnée à la peine disciplinaire de la rétrogradation lors de sa promotion avec effet à la date du 22 juin 1996 est conforme aux textes de loi applicables en la matière.

L’article 19 de la loi modifiée du 16 avril 1979 concernant la discipline dans la force publique définit les différentes peines disciplinaires pour les membres de la force publique. Le point 9) de l’article précité prévoit la sanction disciplinaire de la rétrogradation en disposant ce qui suit : « Le temps passé dans les grades supérieurs n’est pas compté pour la fixation du nouveau traitement. Le droit à l’avancement en traitement est maintenu. A partir de la date de la rétrogradation aucune promotion ne peut intervenir pendant un délai à fixer par l’autorité disciplinaire. Ce délai ne peut être ni inférieur à une année ni supérieur à 5 années ».

Force est de constater qu’aux termes de la disposition légale précitée, la formulation « pendant la durée d’une année », employée dans la décision du ministre de la Force Publique, doit s’entendre comme fixant le délai pendant lequel aucune nouvelle promotion ne peut intervenir (CE 26 juin 1996, n°9343 du rôle, Richard BRANDENBURGER c/ le ministre de la Force Publique) et non pas le délai qui « l’exclut temporairement de ses fonctions ».

La rétrogradation se définit comme la nomination d’un fonctionnaire à une fonction de sa carrière qui est classée à un grade hiérarchiquement inférieur à celui auquel la fonction qu’il occupait est classée.

3 Le demandeur, pour accéder à un grade supérieur, après l’écoulement du délai fixé par le ministre, doit donc bénéficier d’une promotion, qui se définit comme la nomination du fonctionnaire à une fonction hiérarchiquement supérieure.

A ce sujet, il y a lieu de relever que l’article 15, dernier alinéa du règlement grand-ducal modifié du 10 août 1972 concernant les conditions de recrutement, d’instruction et d’avancement des sous-officiers de la gendarmerie et des gendarmes dispose que « l’avancement au grade d’adjudant et d’adjudant-chef a lieu à l’ancienneté. Celle-ci est déterminée par la date de la dernière nomination et, si cette date est la même, par la date de l’examen de promotion et le classement y obtenu ». En l’espèce, la dernière nomination du demandeur au grade d’adjudant est intervenue avec effet au 22 juin 1996 et c’est donc cette date qui constitue le point de départ pour fixer le rang d’ancienneté du demandeur dans le grade d’adjudant.

Le ministre de la Force Publique a dès lors correctement appliqué la loi en considérant la nomination du demandeur comme une promotion normale calculée suivant les principes inscrits à l’article 15 du règlement grand-ducal précité du 10 août 1972, de sorte qu’il y a lieu d’écarter les différentes prétentions du demandeur comme se fondant sur des prémisses erronées.

Le moyen tendant à soutenir que le mode d’application de la peine serait inconstitutionnel pour violer le principe de l’égalité des citoyens devant la loi est à rejeter, étant donné que la teneur de l’article 19 de la loi précitée du 16 avril 1979 a un caractère général, applicable à tous les fonctionnaires qui se voient frapper par la sanction disciplinaire de la rétrogradation, de sorte qu’aucune discrimination à l’égard du demandeur ne saurait en résulter.

Par contre, le fait que le demandeur bénéficiait d’une certaine ancienneté avant d’être rétrogradé est pris en considération par les autorités disciplinaires lorsqu’elles fixent la peine disciplinaire. Il s’agit d’une appréciation à laquelle se livrent ces autorités lors du prononcé de la peine et on ne saurait donc retenir que la peine prononcée correspondrait « au hasard ».

Le demandeur attaque en deuxième lieu la décision du ministre de l’Intérieur du 12 janvier 2000 le classant au 169ième rang des commissaires de police.

A cet effet, il fait critiquer l’article 93 de la loi du 31 mai 1999 portant création d’un corps de police grand-ducale et d’une inspection générale de la police disposant que « un tableau d’avancement unique est dressé à l’entrée en vigueur de la présente loi pour chaque carrière des fonctions existantes dans la Gendarmerie et la Police. Pour les carrières de l’inspecteur et du brigadier de police » – carrière dont relève le demandeur – « le tableau d’avancement se constitue sur base du mois de l’examen de promotion et, si le mois est le même, par le classement y obtenu à l’exception du personnel ayant fait l’objet d’une rétrogradation », en estimant qu’il « s’agit là d’une mesure discriminatoire fondée uniquement sur la peine disciplinaire à caractère pénal que le requérant a encourue le 22 juin 1995 ».

Il fait valoir que cette mesure décrétée ex-post et appliquée par le législateur à des fonctionnaires qui auraient purgé leur peine et qui se retrouveraient ainsi sur un pied d’égalité avec leurs collègues de travail, violerait le principe fondamental en vertu duquel la loi pénale ne dispose que pour l’avenir et ne peut pas avoir un effet rétroactif.

4 Il souligne que la sanction disciplinaire de la rétrogradation lui aurait été infligée en corrélation avec une peine lui infligée par le tribunal correctionnel, de sorte que la peine disciplinaire présenterait un caractère pénal, surtout en considération du fait qu’il s’agirait d’une sanction grave figurant au rang 10 des peines disciplinaires énoncées à l’article 19 de la loi précitée du 16 avril 1979. Il considère dès lors que par l’effet de la loi précitée du 31 mai 1999, il encourrait pour la même infraction une nouvelle sanction. Il affirme que cette nouvelle peine violerait « pour le moins l’esprit » de la Convention européenne des droits de l’homme, et notamment l’article 4 du protocole 7. Il conclut également à la violation de l’article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il fait finalement valoir que la disposition de l’article 93 de la loi précitée du 31 mai 1999 serait contraire aux articles 11 (3) et 14 de la Constitution, de sorte qu’il y aurait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour Constitutionnelle.

Il échet tout d’abord de relever que l’autonomie du droit disciplinaire et les caractères propres à la faute disciplinaire font que celle-ci est déterminée selon des critères qui sont différents de ceux qui permettent de définir l’infraction pénale. Cette indépendance se manifeste notamment du point de vue qu’un même fait peut s’analyser à la fois en une faute pénale et en une faute disciplinaire, entraînant les deux formes de poursuite, ce qui revient à dire que la règle « non bis in idem » ne s’applique pas dans les rapports du droit pénal et du droit disciplinaire. En effet, le but de ces deux procédures est distinct, puisque, d’une part, dans la répression pénale, l’intérêt de la société est en jeu, alors que, d’autre part, dans la répression disciplinaire, seul l’intérêt de la fonction publique est à considérer.

Il ressort du dossier administratif à la disposition du tribunal administratif, notamment de l’avis du directeur général de la police, que le classement du demandeur, tel que retenu par la liste commune d’avancement des inspecteurs et des brigadiers, n’encourt aucun reproche pour avoir été dressé en conformité avec les lois et règlements en vigueur. En effet, le classement du demandeur résulte de la prise en considération de la date du 23 juin 1996 comme point de départ de sa carrière d’adjudant. Son classement actuel est lié au fait que vingt-cinq membres de l’ancien corps de police le devancent aujourd’hui sur le tableau d’avancement commun. Les anciens collègues de gendarmerie précédant le demandeur ont également été dépassés par ces mêmes policiers, de sorte qu’on ne saurait retenir qu’il s’agirait d’une nouvelle sanction disciplinaire ou d’une mesure discriminatoire à son égard. Par ailleurs, tous ces anciens collègues qui étaient classés devant lui suite à sa rétrogradation le sont encore.

En effet, toute autre décision de classement plus avantageuse aurait eu pour conséquence un dépassement par le demandeur des anciens adjudants de gendarmerie classés devant lui suite à sa rétrogradation. Or, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a soutenu que le législateur, en adoptant l’article 93 de la loi précitée du 31 mai 1999, a expressément voulu empêcher qu’un fonctionnaire rétrogradé puisse tirer profit de la réorganisation des forces de l’ordre pour regagner son rang d’ancienneté qu’il occupa avant la peine encourue.

C’est donc à tort que le demandeur soutient que le nouveau classement intervenu par l’effet de la loi précitée du 31 mai 1999 constituerait une nouvelle sanction pour lui, étant donné que ce classement n’est qu’une conséquence directe de la sanction disciplinaire encourue en 1995 et dont les effets se répercuteront tout à long de sa carrière.

Les développements du demandeur tendant à voir constater une violation de la Convention européenne des droits de l’homme, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Constitution sont à écarter, étant donné que la décision du ministre de 5 l’Intérieur du 12 janvier 2000 déterminant la liste commune d’avancement des inspecteurs et des brigadiers de police n’est pas constitutive d’une nouvelle sanction disciplinaire à son égard.

Les moyens du demandeur laissent en conséquence d’être fondés, de sorte que le recours est à rejeter.

Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu d’allouer une indemnité de procédure au demandeur.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 11 juin 2001 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12473
Date de la décision : 11/06/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-06-11;12473 ?

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