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31/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12433

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mai 2001, 12433


Tribunal administratif N° 12433 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2000 Audience publique du 31 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … HIRKIC et son épouse, Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2000 par Maître Lucy DUPONG, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembo

urg, au nom de Monsieur … HIRKIC, né le … à Tuzla (BIH), étudiant, et de son épouse, Madame …, née le … ...

Tribunal administratif N° 12433 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2000 Audience publique du 31 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … HIRKIC et son épouse, Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2000 par Maître Lucy DUPONG, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HIRKIC, né le … à Tuzla (BIH), étudiant, et de son épouse, Madame …, née le … à Lukavac (BIH), sans état particulier, demeurant ensemble à L- … , tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 26 mai 2000 refusant l’autorisation de séjour à Madame …, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre prise en date du 3 octobre 2000 à la suite d’un recours gracieux introduit en date du 14 août 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 janvier 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif au nom des demandeurs en date du 30 janvier 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en ses plaidoiries.

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Par courrier daté du 11 janvier 1990, les services du ministère de la Justice ont octroyé à Monsieur … HIRKIC, préqualifié, originaire de la Bosnie-Herzégovine, l’autorisation de séjourner au Luxembourg auprès de sa mère, Madame ….

Suite à son mariage en date du 20 septembre 1999 à Puracic (BIH) avec Madame …, préqualifiée, il a, par courrier reçu au ministère de la Justice le 28 septembre 1999, introduit une demande en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour en faveur de son épouse se trouvant à l’époque encore en Bosnie-Herzégovine.

1 Par courrier du 29 février 2000, Madame …, mère de Monsieur … HIRKIC, envoya au ministère de la Justice une nouvelle demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Madame … résidant en Bosnie. Elle expose que « mon fils … HIRKIC fréquente encore les études (sic) c’est pour ça que moi sa mère m’engage à prendre à ma charge l’épouse de mon fils. Moi et mon mari … possédant une maison à … . La maison a quatre chambres à coucher. Moi même je travaille 4 heures le soir chez Express Service (…) et mon mari travaille chez Batichimie ».

Cette demande intitulée « d’autorisation de séjour provisoire pour conjoint étranger » fut rejetée par décision du ministre de la Justice du 26 mai 2000 au motif que « [Monsieur HIRKIC] n’est pas en possession de moyens d’existence suffisants pour assurer le séjour de 2 personnes, tels que prévus à l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

Je serai disposé de réexaminer votre dossier une fois que vous m’aurez fait parvenir la preuve de vos propres moyens d’existence ».

Le recours gracieux introduit le 14 août 2000 par le mandataire des époux HIRKIC-… contre la décision du ministre du 26 mai 2000 fut à son tour rejeté par une décision confirmative du 3 octobre 2000.

Par requête déposée le 24 octobre 2000, Monsieur HIRKIC et son épouse, Madame …, ont introduit un recours tendant à l’annulation des décisions prévisées du ministre de la Justice des 26 mai et 3 octobre 2000.

Le recours en annulation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Les demandeurs concluent à l’annulation des décisions attaquées pour violation de la loi et, plus particulièrement, pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée la « Convention européenne des droits de l’homme », et de leur droit au regroupement familial, ainsi que de l’article 12 en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, ces articles garantissant le droit au mariage sans aucune discrimination quant à l’origine nationale.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils habiteraient ensemble avec la mère de Monsieur HIRKIC et son époux, dans une maison sise à …, dont ces derniers seraient les propriétaires, ce qui permettrait à toute la famille de vivre sous le même toit, de sorte que le motif tiré du manque de moyens d’existence suffisants « doit dès lors être considérablement nuancé en fait ».

Ils estiment ensuite que les décisions attaquées seraient de nature à tenir en échec leur vie familiale, de sorte que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme serait violé. Ils considèrent que le contrôle du tribunal à l’égard d’un refus d’une autorisation de séjour devrait être plus sévère dans la mesure où « les requérants sont mariés et alors que le droit au mariage est un autre droit garanti par la Convention européenne des droits de l’homme, à savoir l’article 12 de celle-ci ». Ils ajoutent que l’article 12 devrait être lu à la 2 lumière de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, étant donné que le droit au mariage ne saurait être dissocié du droit de fonder une famille et les autorités étatiques auraient dès lors une obligation positive de garantir l’effectivité du mariage à la lumière de sa finalité, à savoir celle de fonder une famille. A ceci s’ajouterait que les autorités étatiques ne sauraient remplir cette obligation positive de manière discriminatoire en violant l’article 14 de la prédite Convention.

Le délégué du gouvernement expose que les conditions d’entrée et de séjour d’un étranger sont régies notamment par l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, qui pose la condition des moyens d’existence personnels et suffisants.

Or, il ressortirait clairement du dossier administratif des demandeurs, qu’au moment de la prise de décision, ils n’auraient pas disposé de moyens d’existence personnels, en précisant que la prise en charge signée par un membre de la famille ou une aide financière apportée par un membre de la famille ne sauraient être pris en considération par le ministre de la Justice.

Concernant la violation de l’article 8 alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, le représentant étatique fait valoir que le prédit article ne conférerait pas aux membres de la famille d’un étranger le droit d’être accueillis dans n’importe quel pays, ni à un étranger le droit à ne pas être expulsé d’un pays où résideraient les membres de sa famille.

Il relève que l’article 8 de la Convention garantirait seulement l’exercice du droit au respect d’une vie familiale existante et ne comporterait pas le droit de choisir l’implantation géographique de cette vie familiale. L’Etat ne serait pas tenu de laisser un étranger pénétrer sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux. Il conclut que l’article 8 serait dès lors inapplicable au cas d’espèce, à défaut de l’existence d’une vie familiale effective avant l’immigration au pays de Madame ….

Il conclut également au rejet du moyen tiré de la violation des articles 12 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme pour manquer de pertinence, les décisions litigieuses ne porteraient aucunement atteinte ni au droit au mariage, ni au droit de fonder une famille.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs font soulever que leur mariage aurait eu lieu « avant de se rendre au Luxembourg, donc antérieurement à l’immigration vers le pays d’accueil . Par conséquent, la vie familiale – de par le mariage – préexistait à l’immigration».

Ils relèvent encore que le recours tendrait à interdire à l’Etat luxembourgeois « d’expulser » Monsieur … qui disposerait au Luxembourg de liens familiaux « anciens ». Il s’y ajouterait que les décisions attaquées ne seraient pas humainement justifiées et qu’elles violeraient le principe de la proportionnalité. En effet, il résulterait de la jurisprudence, que le tribunal administratif devrait mettre en balance l’ampleur de l’atteinte à la vie familiale dont il est question avec les intérêts en cause.

Il convient de prime abord de préciser que le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué (cf. trib. adm. 11 juin 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en annulation, n° 9, et autres références y citées). - En outre, la légalité d’une décision 3 administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise (trib. adm. 27 janvier 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en annulation, n° 12, et autres références y citées).

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Il se dégage dudit article 2 qu’une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Etrangers, II Autorisation de séjour - Expulsion, n°81, et autres références y citées).

En l’espèce, le tribunal constate qu’il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, que ni Madame … ni Monsieur HIRKIC ne disposaient de moyens personnels propres au moment où les décisions attaquées ont été prises, étant précisé que Monsieur HIRKIC était encore étudiant et vivait auprès de ses parents.

Il s’ensuit que c’est donc à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 que le ministre a pu refuser l’octroi de l’autorisation de séjour sollicitée en faveur de Madame … en se basant sur l’absence de preuve de moyens personnels dans son chef, étant précisé qu’une prise en charge par une tierce personne, même s’il s’agit d’un membre de la famille, n’est pas à considérer comme constituant des moyens personnels.

Si le refus ministériel se trouve, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par les demandeurs tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où ils estiment qu’il y aurait violation de leur droit au maintien de leur vie familiale, lequel tiendrait la disposition précitée de la loi du 28 mars 1972 en échec.

En droit international, il est de principe que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. Cependant, les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite convention.

A ce sujet, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, l’article 8 implique que 4 l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

L’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit de l’Etat à contrôler l’immigration.

A cet effet, il y a lieu de relever que l’application de l’article 8 présente deux aspects différents selon qu’il a pour objet une demande d’admission sous le couvert d’un projet de regroupement familial ou la rupture de liens qui se sont formés ou consolidés sur le territoire de l’Etat.

En principe, en matière d’immigration, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît le droit au regroupement familial s’il existe des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le couple entend s’installer, consistant en des obstacles rendant difficile de quitter ledit Etat ou s’il existe des obstacles rendant difficile de s’installer dans leur Etat d’origine. Cependant, l’article 8 ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant l’obligation générale de respecter le choix par des couples mariés, de leur domicile commun et d’accepter l’installation de conjoints non nationaux dans le pays ( CEDH, 28 mai 1985, ABDULAZIS, CABALES et BALKANDALI ;, CEDH, 19 février 1996, GÜL ; CEDH, 28 novembre 1996, AHMUT). Il se dégage encore de la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l’homme et de l’analyse qui en a été faite, que l’article 8 ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et qu’il faut « des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition » (cf. Bull.dr.h. n°1998, p.161).

Ainsi, s’il est vrai que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme tend pour l’essentiel à prémunir les individus contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics dans leur vie privée et familiale et qu’il peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie familiale, néanmoins, dans la matière sous examen, l’étendue de l’obligation pour un Etat d’admettre sur son territoire la famille d’un immigré dépend de la situation concrète des personnes en cause.

Il y a dès lors lieu d’examiner, en l’espèce, si la vie privée et familiale dont font état les demandeurs pour conclure dans leur chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 prérelaté de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

En l’espèce, il y a lieu de relever que les demandeurs sont originaires de la Bosnie-

Herzégovine, qu’ils possèdent tous les deux la nationalité bosniaque et qu’ils se sont mariés en date du 20 septembre 1999 à Puracic (BIH). Il est encore constant que Monsieur HIRKIC, qui est régulièrement établi au Luxembourg depuis 1990, s’est rendu en Bosnie pour se marier avec Madame …. Après son mariage en date du 20 septembre 1999, il est retourné au Luxembourg pour reprendre ses études au Lycée Technique du Centre, où il était inscrit en 9e classe. Il s’adressa en date du 28 septembre de cette même année aux autorités luxembourgeoises pour obtenir une autorisation de séjour en faveur de son épouse, qui était restée en Bosnie.

5 Il est donc constant que le présent recours ne concerne pas un immigrant qui, déjà doté d’une famille, l’aurait laissée derrière lui, dans son pays d’origine ou dans un autre pays, jusqu’à sa reconnaissance du droit de séjour au Luxembourg, mais il s’agit d’un immigrant qui, une fois régulièrement installé au Luxembourg, s’est rendu dans son pays d’origine pour s’y marier.

Force est de constater que les demandeurs entendent maintenant exercer les droits et devoirs découlant de leur mariage, à savoir notamment habiter ensemble, à savoir en l’espèce, dans le pays où est légalement domicilié Monsieur HIRKIC et partant les demandeurs peuvent en l’espèce se prévaloir d’une vie familiale et privée au sens de l’article 8 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, étant entendu que le délégué du gouvernement n’a ni allégué, ni a fortiori établi qu’il s’agirait d’un mariage de complaisance ou qu’il n’existerait aucune vie familiale effective sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, où, à l’heure actuelle, les demandeurs déclarent habiter ensemble, étant précisé que la considération qu’ils ne vivaient pas ensemble avant l’immigration de Madame … au Luxembourg n’est pas de nature à mettre en doute toute vie familiale effective ayant pu exister au moment où la décision a été prise voire toute intention de mener une telle vie.

A partir du constat qu’une vie familiale et privée existait effectivement entre les époux HIRKIC-… au moment où les décisions litigieuses ont été prises, il y a dès lors lieud’examiner plus en avant si les décisions déférées constituent une ingérence justifiée au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dans ladite vie familiale.

L’article 8 prérelaté ne comporte pas pour les Etats l’obligation générale de respecter le choix par des couples mariés de leur domicile commun et d’accepter l’installation d’un conjoint non national dans le pays, mais un droit à l’exercice de la vie familiale et privée au pays ne peut être dégagé à partir de ladite disposition qu’en cas d’existence vérifiée d’obstacles rendant difficile à l’un ou l’autre des époux de s’installer et de mener leur vie familiale et privée dans un autre pays que le Luxembourg, sous réserve de l’incidence de l’alinéa 2 de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En l’espèce, il est constant que le demandeur, de nationalité bosniaque, a été autorisé, par décision du ministre de la Justice du 11 janvier 1990, à séjourner au Luxembourg auprès de sa mère, que depuis lors, il y réside régulièrement auprès de sa mère et du mari de celle-ci et qu’il y poursuit depuis cette date sa scolarité, étant entendu qu’au moment de la prise de décision, il était inscrit comme élève au Lycée Technique du Centre. Eu égard à la situation concrète du demandeur, par rapport à laquelle l’exercice de la vie familiale est revendiqué, en ce qu’il a ses attaches familiales les plus directes au Grand-Duché de Luxembourg et y a accompli la quasi intégralité de sa scolarité, il existe dans son chef des liens très étroits avec le Grand-Duché de Luxembourg constitutifs dans son chef d’un obstacle majeur de quitter le pays et de mener une vie familiale avec la demanderesse dans un autre pays, de sorte que les décisions déférées constituent en l’espèce une ingérence dans le droit du demandeur au respect de sa vie privée et familiale.

Aux termes de l’alinéa 2 de l’article 8 précité de la Convention européenne des droits de l’homme, il peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit pour autant que cette ingérence est prescrite par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être 6 économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou la protection des droits et libertés d’autrui.

S’il est certes vrai que l’absence de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour est prévue comme motif de refus de l’autorisation de séjour par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 et que le défaut d’existence de moyens personnels suffisants dans le chef d’un étranger candidat au séjour peut en principe être retenu à la base d’une mesure nécessaire au bien-être économique du pays au sens de la disposition internationale prévisée, en refusant à l’étranger ne bénéficiant pas de tels moyens l’autorisation de séjour sollicitée, l’autorité nationale est cependant tenue de ménager un juste équilibre entre les considérations d’ordre public qui sous-tendent la réglementation de l’immigration et celles non moins importantes relatives à la protection de la vie familiale.

En l’espèce, force est de constater que la nécessité à la base de cette ingérence de la part de l’autorité publique laisse d’être établie à suffisance, de sorte que les décisions déférées ne répondent pas au critère de proportionnalité à appliquer en la matière.

En effet, même si au moment de la prise des décisions sous analyse, les demandeurs n’étaient pas en mesure d’établir l’existence de revenus dans leur chef, il n’était cependant pas moins constant à cette époque que les besoins financiers du couple se trouvaient considérablement réduits du fait qu’ils étaient logés gratuitement auprès de la mère de Monsieur HIRKIC et du mari de celle-ci, sa mère s’étant engagé par ailleurs, par déclarations des 29 février et 7 mars 2000, à prendre en charge l’épouse de son fils, Madame ….

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’ingérence dans la vie familiale et privée du demandeur opérée à travers les décisions déférées n’est pas justifiée à suffisance de droit au regard de l’ensemble des intérêts en cause, de sorte qu’il y a violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le recours est dès lors fondé et les décisions ministérielles déférées des 26 mai et 3 octobre 2000 encourent l’annulation pour erreur manifeste d’appréciation des faits, sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués en cause.

Malgré le fait que les demandeurs ne se sont pas fait représenter à l’audience à laquelle l’affaire a été plaidée, le jugement est néanmoins rendu contradictoirement, étant donné que la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare justifié et partant annule les décisions ministérielles déférées des 26 mai et 3 octobre 2000 par lesquelles Madame … s’est vue refuser une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg ;

renvoie le dossier pour prosécution de cause au ministre de la Justice;

7 condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 31 mai 2001 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12433
Date de la décision : 31/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-31;12433 ?

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