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30/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12667

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 mai 2001, 12667


Tribunal administratif N° 12667 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 décembre 2000 Audience publique du 30 mai 2001

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Recours formé par Madame … GUBERINIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12667 et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2000 par Maître Martine MIRKES, avocat à la Cour, assistée de Maître Martine LAUER, avocat, toutes les deux inscrites au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … GUBERINIC, née le … à Pec (Kos...

Tribunal administratif N° 12667 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 décembre 2000 Audience publique du 30 mai 2001

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Recours formé par Madame … GUBERINIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12667 et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2000 par Maître Martine MIRKES, avocat à la Cour, assistée de Maître Martine LAUER, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … GUBERINIC, née le … à Pec (Kosovo), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 25 août 2000, notifiée le 12 septembre 2000, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 22 novembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er février 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Martine LAUER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 septembre 1998, Madame … GUBERINIC, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame GUBERINIC fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 24 février 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

1 Par décision du 25 août 2000, notifiée le 12 septembre 2000, le ministre de la Justice informa Madame GUBERINIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivée au Luxembourg le 23 septembre 1998.

Vous exposez vouloir une autorisation de séjour.

Vous expliquez avoir peur de la guerre, des Albanais du Kosovo et du nationalisme des côtés serbe et albanais.

Force est cependant de constater que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions.

Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de son mandataire daté du 9 octobre 2000, Madame GUBERINIC forma un recours gracieux contre ladite décision ministérielle.

Par lettre du 22 novembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision du 25 août 2000.

2 Par requête déposée en date du 21 décembre 2000, Madame GUBERINIC a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 25 août et 22 novembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle est née à Pec au Kosovo, qu’elle serait musulmane parlant le serbo-croate et qu’elle aurait dû quitter son pays d’origine au motif que la maison où elle aurait demeuré « a été mise à feu et entièrement brûlée par les autorités serbes », que même si les autorités serbes ont aujourd’hui quitté la région du Kosovo, il n’en demeurerait pas moins que la paix resterait fragile et que la communauté internationale serait encore dans l’incertitude quant au devenir politique et social du Kosovo et que le conflit ayant ravagé cette région aurait été sous-jacent depuis de nombreuses années, de sorte qu’on ne pourrait considérer « qu’il soit résolu en quelques mois ».

Elle estime qu’au vu de ces faits, il lui serait impossible de retourner au Kosovo, où elle ne posséderait ni foyer, ni famille pouvant l’accueillir. Elle relève encore qu’il serait extrêmement difficile pour une jeune femme de se retrouver seule dans de telles conditions, surtout en considération du fait que la paix demeurerait très fragile. Elle ajoute encore que son frère ainsi que d’autres membres de sa famille résideraient au Luxembourg.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame GUBERINIC et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n°9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour 3 obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame GUBERINIC lors de son audition du 24 février 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En l’espèce, la demanderesse a déclaré lors de son audition qu’elle aurait peur des Albanais et de la guerre, mais qu’elle n’aurait pas peur des Serbes, étant donné « qu’avec eux, il n’y a pas de problèmes ». Néanmoins, lors de ses recours gracieux et contentieux, elle fait également état de sa peur vis-à-vis des Serbes qui auraient brûlés sa maison.

Néanmoins, une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise du Kosovo voire des Serbes qui y demeurent, ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, la demanderesse fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Enfin, le défaut d’attaches dans le pays d’origine, voire la présence de membre de sa famille au Luxembourg, ne sauraient être considérés comme fondant dans le chef de la demanderesse une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

4 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 30 mai 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12667
Date de la décision : 30/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-30;12667 ?

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