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23/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12188

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 mai 2001, 12188


Tribunal administratif N° 12188 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2000 Audience publique du 23 mai 2001

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Recours formé par la société ARWOOD OVERSEAS contre une décision du ministre de la Justice en matière de commission rogatoire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12188 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 août 2000 par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau d

e l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société de droit des British Virgin Islands ARWO...

Tribunal administratif N° 12188 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2000 Audience publique du 23 mai 2001

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Recours formé par la société ARWOOD OVERSEAS contre une décision du ministre de la Justice en matière de commission rogatoire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12188 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 août 2000 par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société de droit des British Virgin Islands ARWOOD OVERSEAS, avec siège à … (British Virgin Islands), représentée par son directeur actuellement en fonction, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 17 mars 2000 par laquelle il a donné son accord, conformément à l’article 59 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, à l’exécution d’une commission rogatoire au Luxembourg, visant plus particulièrement la perquisition et la saisie de comptes tenus auprès d’un établissement bancaire luxembourgeois ;

Vu le mémoire en réponse déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2000 au nom de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Roger NOTHAR ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 29 février 2000, le procureur général et ministre de la Justice de la République fédérale du Nigeria, Monsieur K. G. A. transmit au ministre luxembourgeois de la Justice, dans le cadre d’une instruction menée à l’encontre de «1) le Général S. A. (décédé), 2) G. I., 3) M. D. B., 4) A. A. A., 5) A. M., 6) A. I. (décédé), 7) A. M. S., 8) A. A., 9) A.-D. Z., épouse D. B., 10) A. A., 11) A. A., 12) D. A., 13) B. A. A., 14) A. Y., 15) Z. Z.

16) Inconnus », du chef de faits qui, tel que cela ressort d’une ordonnance d’un juge d’instruction près le tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 20 mars 2000, seraient susceptibles d’être qualifiés, au cas où ils avaient été commis au Luxembourg, d’infractions aux articles 324bis, 324ter, 194, 195, 196, 197, 246, 247, 252, 470, 491, 496 et 506-1 du code pénal.

Dans un transmis envoyé au procureur général d’Etat en date du 17 mars 2000, le ministre de la Justice marqua son « accord, conformément à l’article 59 de la loi du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, à ce que la commission rogatoire annexée soit exécutée sous les conditions usuelles », en spécifiant qu’«il y a lieu d’appliquer la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale de 1959 par analogie ».

Ledit accord fut réitéré par un transmis adressé au procureur général d’Etat en date du 22 mars 2000.

Le juge d’instruction près le tribunal d’arrondissement de Luxembourg rendit en date du 20 mars 2000 une ordonnance sur base de la commission rogatoire internationale précitée du 29 février 2000, en vue de la perquisition et saisie au siège de la banque M.M.W. & CO L., établie et ayant son siège social à Luxembourg, « aux fins de rechercher tous comptes, coffres, dépôts et autres avoirs généralement quelconques ouverts au nom ou pour compte des personnes [citées ci-avant sous les numéros 1) à 16)] respectivement pour lesquels les mêmes personnes sont titulaires, mandataires, porteur de procuration, signataires ou bénéficiaires économiques et de 1) saisir tous les avoirs figurant sur les comptes, dépôts et / ou autres avoirs généralement quelconques préalablement identifiés ;

2) saisir le contenu des coffres recherchés, procéder à leur ouverture et dresser l’inventaire du contenu ;

3) saisir les avoirs figurant sur les comptes no. (…) de la société C.R. LTD et no. (…) de V.E. LTD. et sur un ou des comptes de la société R.M.D.&T. LTD à identifier ;

4) saisir copie de tous documents bancaires dont notamment mais non exclusivement documents d’ouverture, mandats, procurations, bénéficiaires économiques, cartes de signature, correspondance et les historiques ensemble avec les pièces justificatives des opérations de débit et de crédit, relatifs aux comptes mentionnés ci-dessus, et ce depuis le jour de l’ouverture des comptes jusqu’à solde sinon à ce jour », en se basant sur l’article 59 de la loi précitée du 7 mars 1980.

2 A la suite de requêtes déposées les 9 et 10 mai 2000 par le mandataire de « A. S.

M. alias M. A. ou M. S. A., demeurant à …, Nigeria » et de « A. M. S. alias A. S., demeurant à …, Nigeria », tendant à l’annulation non seulement de l’ordonnance précitée du 20 mars 2000 émise par le juge d’instruction près le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, mais encore de « tous devoirs d’instruction accomplis suite à cette ordonnance, notamment le blocage des comptes » et tendant en outre à « dire que les fonds bloqués sont à la libre disposition des bénéficiaires économiques », la chambre du conseil dudit tribunal rendit une ordonnance en date du 29 mai 2000 par laquelle lesdites demandes furent déclarées irrecevables, au motif, d’une part, qu’en ce qui concerne la demande tendant à voir annuler l’ordonnance précitée du juge d’instruction du 20 mars 2000, pour autant que celle-ci visait la saisie des documents bancaires y plus amplement spécifiés au point (4), que suivant les renseignements fournis à ladite chambre du conseil, les perquisitions et saisies sollicitées en vertu de la prédite commission rogatoire avaient été effectuées à la date à laquelle l’affaire a été plaidée devant la prédite chambre du conseil et que plus particulièrement la documentation bancaire saisie avait été transmise au ministre de la Justice en date du 4 mai 2000, et, d’autre part, qu’en ce qui concerne la demande tendant à voir prononcer la nullité des autres dispositions de la prédite ordonnance du juge d’instruction ainsi que du blocage des avoirs opéré sur base de celle-

ci, que les requérants précités n’avaient versé « aucune pièce documentant qu’ils seraient titulaires en nom personnel de comptes auprès de la banque M.M.W. & CO L. ni qu’ils seraient les bénéficiaires économiques des comptes des sociétés indiquées dans l’ordonnance du juge d’instruction ». Ainsi, ladite chambre du conseil a retenu que les requérants n’avaient pas établi qu’ils avaient un intérêt légitime personnel au sens de l’article 126 (1) du code d’instruction criminelle qui leur permettait d’agir en nullité devant la juridiction d’instruction du pays requis.

A la suite d’une requête séparée déposée le 10 mai 2000 par le mandataire de la société ARWOOD OVERSEAS, préqualifiée, tendant à l’annulation non seulement de l’ordonnance précitée du juge d’instruction du 20 mars 2000 mais encore de « tous devoirs d’instruction accomplis suite à cette ordonnance », en vue « de débloquer en conséquence ses comptes saisis auprès de la banque M.M.W. & CO L. », la chambre du conseil près le tribunal d’arrondissement rendit une ordonnance en date du 29 mai 2000 déclarant irrecevable la demande pour autant qu’elle tendait à voir prononcer la nullité, d’une part, de l’ordonnance précitée du juge d’instruction du 20 mars 2000, en ce qu’elle visait, conformément à son point 4) du dispositif, la saisie de documents bancaires et, d’autre part, des actes d’instruction posés en exécution de ce volet de ladite décision, au motif que suivant les renseignements fournis à la chambre du conseil, les perquisitions et saisies sollicitées avaient été exécutées en date du 17 avril 2000 et que la documentation bancaire ainsi saisie avait été transmise au ministre de la Justice en date du 4 mai 2000, de sorte que les autorités judiciaires luxembourgeoises étaient dessaisies, au moment où la partie demanderesse avait déposé sa prédite requête, et déclarant non fondée la demande en nullité formulée pour le surplus, au motif notamment qu’en tant que tiers concerné au sens de l’article 126 (1) du code d’instruction criminelle, en sa qualité de détentrice d’un compte auprès de l’institut bancaire précité ayant été bloqué à la suite de l’ordonnance incriminée, justifiant ainsi d’un intérêt légitime personnel à voir annuler ladite ordonnance sous ce rapport, la requérante n’avait pas contesté ni démenti par un élément soumis à l’appréciation de la juridiction d’instruction que le procureur général et ministre de la Justice de la République fédérale du Nigeria avait compétence pour 3 requérir l’entraide judiciaire en matière pénale selon le droit applicable dans ce pays dans lequel il n’existerait pas de fonction équivalente à celle du juge d’instruction.

Par requête déposée le 2 août 2000, la société ARWOOD OVERSEAS a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 17 mars 2000.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soutient que les décisions que le ministre de la Justice prend en exécution de l’article 59 de la loi précitée du 7 mars 1980 constituent des actes de gouvernement échappant à la compétence des juridictions administratives, en ce que ces actes auraient trait, d’une part, à « l’appui mutuel des Etats pour la recherche de la vérité judiciaire » et, d’autre part, à « l’indépendance des Etats » ayant pour conséquence l’incompétence du juge administratif pour en connaître, afin de ne pas « entraver l’activité internationale du gouvernement ». Il conclut de ce fait à l’irrecevabilité du recours, en estimant par ailleurs qu’il serait « étrange » que les décisions relatives à l’exécution d’une commission rogatoire émanant d’un Etat auquel le Luxembourg n’est pas lié par un traité international soient soumises à un contrôle juridictionnel, alors que tel ne serait pas le cas pour les demandes d’entraide judiciaire émanant d’un Etat avec lequel le Luxembourg est lié sur base d’une convention internationale.

En vertu de l’article 59 de la loi précitée du 7 mars 1980, « sauf les obligations résultant de traités internationaux les juges ne peuvent obtempérer aux commissions rogatoires émanées de juges étrangers qu’autant qu’ils y sont autorisés par le ministre de la Justice et, dans ce cas, ils sont tenus d’y donner suite ».

C’est à bon droit que la demanderesse rétorque dans son mémoire en réplique que la décision à prendre par le ministre de la Justice sur base de l’article 59 précité ne constitue pas un acte de gouvernement, étant donné qu’il s’agit d’une décision administrative prévue par la loi, par laquelle le ministre de la Justice autorise la justice luxembourgeoise à exécuter sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg des commissions rogatoires d’un juge étranger (cf. C.E. 19 février 1991, n°s 8374 et 8446 du rôle, Wittgreen).

Cette conclusion ne saurait être énervée par une prétendue discrimination qui existerait entre le cas dans lequel un traité ou une convention internationale lie le Luxembourg avec l’Etat dont provient la commission rogatoire internationale et le cas dans lequel un tel instrument juridique n’a pas été conclu entre les deux Etats, étant donné que, comme l'a relevé à juste titre la demanderesse, la conclusion de tels instruments juridiques a justement pour objet de faciliter l’entraide judiciaire internationale et notamment la transmission de commissions rogatoires à un juge étranger en allégeant notamment les procédures de transmission desdites commissions rogatoires afin d’éviter des délais de transmission et de procédure inutiles. Il n’y a par conséquent pas lieu de voir dans la différence existant entre les deux types de procédures qui sont appliquées selon les deux cas d’espèce une discrimination illégale voire illogique, étant donné que l’absence de décision administrative individuelle contre laquelle un recours contentieux peut être dirigé devant les juridictions administratives, dans l’hypothèse dans laquelle le Luxembourg est lié par un instrument juridique international avec l’Etat dont provient la commission rogatoire internationale, ne fait pas obstacle à ce que dans le cas dans lequel il n’existe pas de tel instrument juridique, la décision à prendre par le ministre 4 de la Justice sur base de l’article 59 de la loi précitée du 7 mars 1980 puisse faire l’objet d’un recours contentieux devant les prédites juridictions.

Le délégué du gouvernement soulève encore un moyen d’irrecevabilité tiré de ce que l’acte attaqué ne serait pas de nature à faire grief, c’est-à-dire qu’il ne serait pas susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Ainsi, l’acte en question constituerait simplement un acte préparatoire, permettant aux autorités judiciaires luxembourgeoises de réserver une suite favorable à la demande des juridictions étrangères et seules les décisions émanant des autorités judiciaires luxembourgeoises, à la suite de l’accord ministériel, seraient de nature à faire grief, qui, toutefois, seraient insusceptibles d’un recours devant le juge administratif.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui émet une réclamation. Si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une condition suffisante. Pour être susceptible de faire l’objet d’un recours, la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief (cf. trib.adm. 18 mars 1998, Pas.

adm. 1/2000, V° Actes administratifs, I. Décisions susceptibles d’un recours, n° 3, p. 15 et autres références y citées).

En l’espèce, c’est encore à bon droit que la demanderesse estime que l’acte attaqué constitue un acte de nature à faire grief, en ce que, du seul fait de l’accord du ministre de la Justice quant à l’exécution d’une commission rogatoire internationale, le juge luxembourgeois compétent est tenu d’y donner suite, conformément à l’article 59 de la loi précitée du 7 mars 1980 et que, dans ce contexte, le juge en question constitue un simple organe d’exécution de la décision prise antérieurement par le ministre de la Justice. Partant, la décision du ministre de la Justice est de nature à faire grief, dans la mesure où elle produit par elle-même des effets juridiques, en affectant la situation personnelle ou patrimoniale des personnes visées, directement ou indirectement, par la commission rogatoire internationale en question.

C’est encore à tort que le délégué du gouvernement soutient que la décision ministérielle attaquée ne constituerait pas un acte final dans la procédure administrative, en ce qu’elle ne devrait être considérée que comme constituant un préalable nécessaire à l’exécution par les autorités judiciaires luxembourgeoises de la commission rogatoire du Nigeria. En effet, l’acte pris par le ministre de la Justice en exécution de l’article 59 de la loi précitée du 7 mars 1980 constitue une étape finale dans la procédure administrative qui doit être distinguée de la phase judiciaire de la procédure d’exécution des commissions rogatoires internationales au Luxembourg, au cas où celles-ci ne tombent pas sous le champ d’application d’une convention ou d’un traité international rendant inapplicable l’article 59 en question en prévoyant des procédures spécifiques de transmission et d’exécution des commissions rogatoires internationales au Luxembourg, et, par conséquent, cet acte n’est pas destiné à préparer une décision administrative finale future.

5 Les trois moyens d’irrecevabilité invoqués par le délégué du gouvernement sont partant à rejeter et, en l’absence d’un recours au fond prévu en la matière, le recours en annulation non autrement contesté sous ce rapport, est à déclarer recevable, pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

La demanderesse soutient que l’Etat refuserait à tort de déposer au greffe de la juridiction administrative la demande d’entraide judiciaire internationale du Nigeria ainsi que les pièces y annexées, en estimant que dans le cadre du contrôle de la légalité de la décision ministérielle attaquée, le tribunal administratif devrait disposer de la commission rogatoire ainsi que de ses annexes, afin qu’il puisse notamment être en mesure de vérifier si celle-ci émane effectivement d’un « juge » du pays d’origine, et non pas d’une autorité « politico-policière ». Elle rappelle dans ce contexte que l’Etat est obligé de déposer au greffe du tribunal administratif le dossier administratif ayant trait à la décision litigieuse, faisant l’objet du recours sous analyse, et que ce dossier devrait, en l’espèce, contenir les pièces litigieuses à savoir la commission rogatoire et les annexes de celle-ci.

Le délégué du gouvernement estime que l’article 11, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel « tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être », serait incompatible avec la procédure de transmission des commissions rogatoires internationales, dans la mesure où il ne serait pas envisageable de donner accès au dossier administratif tenu par le ministre de la Justice au Luxembourg, contenant la demande d’entraide judiciaire ainsi que les annexes de celle-ci, qui lui ont été transmises par les autorités compétentes de l’Etat requérant, puisqu’il y aurait lieu d’éviter de rendre accessible au Luxembourg des documents auxquels la partie intéressée n’aurait pas accès dans l’Etat requérant dans lequel se déroule la procédure judiciaire ou l’instruction de celle-ci à son encontre. Il y aurait par conséquent lieu de rendre le prédit règlement grand-ducal inapplicable au cas d’espèce.

Au cours de l’audience à laquelle l’affaire a été plaidée, les représentants des parties se sont déclarés d’accord avec la remise au tribunal administratif ayant à statuer sur le présent litige de la demande d’entraide judiciaire ainsi que des annexes de celle-ci, sans que ces pièces et documents ne soient déposés au greffe du tribunal administratif comme faisant partie du dossier administratif de l’Etat, la partie demanderesse renonçant de ce fait à sa demande de voir déposer lesdits documents et pièces au greffe du tribunal administratif afin de les rendre accessibles à toutes les parties à l’instance.

En vertu de l’article 8, paragraphe (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « l’autorité qui a posé l’acte visé par le recours dépose le dossier au greffe sans autre demande, dans le délai de trois mois à partir de la communication du recours (…) ».

Le dossier ainsi visé constitue le dossier administratif détenu par l’auteur de l’acte visé par la requête introductive d’instance et il contient tous les documents et pièces portant sur la situation administrative de l’administré qui constitue le destinataire de l’acte en question, dans la mesure où lesdits documents et pièces concernent ledit acte.

Ledit dossier administratif est partant identique à celui visé par l’article 11 du règlement 6 grand-ducal précité du 8 juin 1979 auquel l’administré peut avoir accès sous les conditions y énumérées.

Comme toutefois le droit d’accès et de communication du dossier administratif n’est pas un droit absolu, mais qu’il peut être refusé dans les hypothèses visées par l’article 13 du prédit règlement grand-ducal, il y a également lieu d’appliquer les mêmes restrictions que celles prévues par le prédit article 13 en ce qui concerne le dépôt au greffe du tribunal administratif par l’autorité ayant pris l’acte litigieux de l’intégralité du dossier administratif. En effet, il serait illogique de permettre à une partie d’obtenir communication ou accès à des pièces figurant dans un dossier administratif à la suite de l’introduction d’un recours contentieux introduit devant les juridictions administratives, alors qu’en l’absence d’une telle procédure contentieuse, elle n’aurait pas pu y avoir accès dans la mesure où l’une des trois conditions prévues par le prédit article 13 seraient remplies en l’espèce.

En l’espèce, le délégué du gouvernement soutient à bon droit que l’Etat n’était pas obligé, conformément à l’article 8 de la loi précitée du 21 juin 1999 à déposer au greffe du tribunal administratif la demande d’entraide judiciaire provenant du Nigeria ainsi que les annexes de celle-ci, étant donné que l’accès à ces pièces et documents qui serait ainsi garanti à la partie demanderesse est incompatible avec les règles applicables en matière d’exécution à l’étranger de commissions rogatoires internationales, en ce que le ministre de la Justice devrait ainsi rendre accessibles les pièces du dossier sous-jacent à la commission rogatoire internationale à une partie intéressée, alors qu’il y a lieu d’éviter que par le biais de l’exécution de la commission rogatoire internationale dans l’Etat requis une partie pourrait, d’une part, avoir accès aux pièces du dossier afférent qu’elle n’est pas en droit de consulter dans l’Etat requérant, et, d’autre part, avoir connaissance de la commission rogatoire elle-même, ce qui risque de faire échouer l’enquête entamée ou le procès pénal en cours dans l’Etat requérant (cf. trib. adm. 15 novembre 2000, n° 11951 du rôle, Maphorn Holdings Ltd, non encore publié). Ainsi, une telle procédure d’accès au dossier administratif est inconciliable avec les objectifs poursuivis en matière d’exécution de commissions rogatoires, dans la mesure notamment où le principe du secret de l’instruction fait obstacle à ce que le contenu de la demande d’entraide judiciaire soit communiqué ou rendu accessible à des personnes autres que celles qui sont chargées, de par leur fonction, à assurer son exécution, et partant il est indispensable que la demande d’entraide judiciaire ainsi que ses annexes soient gardées secrètes. Il existe partant en l’espèce « des intérêts publics importants [exigeant] que le secret soit gardé » justifiant, conformément à l’article 13 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, le refus de la communication desdites pièces.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que l’Etat n’a pas déposé au greffe du tribunal administratif, parmi les pièces figurant au dossier administratif relatif à l’acte litigieux, la demande d’entraide judiciaire provenant du Nigeria ainsi que les pièces se trouvant en annexe à celle-ci. Le tribunal n’a partant pas à examiner s’il y a lieu de demander l’accord de l’Etat du Nigeria par la voie d’une mise en intervention forcée en vue du dépôt de ces pièces au greffe du tribunal administratif, tel que sollicité par la partie demanderesse.

Le moyen invoqué encore par la demanderesse et tendant à obtenir le dépôt par l’Etat du dossier administratif intégral au greffe du tribunal administratif, comprenant notamment la demande d’entraide judiciaire ainsi que les annexes de celle-ci, tiré d’une 7 prétendue violation de l’article 6 de la Convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales, doit être rejeté en ce que ledit article 6, qui garantit notamment le droit à un procès équitable, n’est pas applicable en l’espèce, étant donné que la décision sous analyse, rendue par le ministre de la Justice, n’a trait ni à une contestation sur des droits et obligations de caractère civil ni à une accusation en matière pénale et que dans la mesure où cette décision ne tombe pas sous le champ d’application de l’article 6 précité, il doit en être de même pour le dépôt du dossier administratif au greffe de la juridiction compétente pour analyser la légalité de ladite décision.

En ce qui concerne l’accord marqué par les parties à l’instance quant à la remise de la demande d’entraide judiciaire et de ses annexes aux seuls membres de la formation collégiale du tribunal administratif ayant à statuer dans le cadre de la présente instance, sans dépôt au greffe, il y a lieu de rejeter cette demande dans la mesure où elle a été formulée afin de permettre au tribunal administratif de vérifier la réalité des deux signatures qui devraient se trouver, d’après elles, sur la demande d’entraide judiciaire, à savoir celle d’un dénommé P. G., exerçant les fonctions de « policier » au Nigeria et celle de Monsieur K. G. A., ministre et procureur général de l’Etat du Nigeria, étant donné que les parties à l’instance ne contestent ni l’existence de ces deux signatures sur la demande d’entraide judiciaire ni le fait que l’une des deux signatures a été apposée par une autorité compétente en vertu du droit du Nigeria ayant compétence en vertu de ses lois nationales pour transmettre une commission rogatoire aux autorités compétentes dans l’Etat requis.

Dans la mesure où les faits ci-avant exposés n’ont pas été contestés par les parties à l’instance, il appartient au tribunal d’analyser exclusivement, au fond, si la commission rogatoire émane d’une autorité compétente au sens de l’article 59 de la loi précitée du 7 mars 1980.

Au fond, la partie demanderesse reproche au ministre de la Justice d’avoir fait droit à une demande d’entraide judiciaire émanant du Nigeria, en ce que celle-ci n’émanerait pas d’un « juge » étranger ou d’une autorité judiciaire étrangère. Dans ce contexte, la demanderesse estime que ni Monsieur K. G. A., en sa qualité de procureur général et ministre de la Justice de la République Fédérale du Nigeria, ni Monsieur P. G., en sa qualité de commissaire de police, ne sauraient être considérés comme constituant des juges au sens de l’article 59 de la loi précitée du 7 mars 1980. Elle estime encore que dans le cadre de son analyse ayant pour objet de vérifier la qualité des signataires de la commission rogatoire, le ministre de la Justice devrait exclusivement prendre en considération la loi luxembourgeoise, en faisant abstraction des « considérations éventuelles » qui seraient susceptibles d’être tirées de la loi nigériane.

D’après la demanderesse, ni Monsieur A. ni Monsieur G. ne sauraient être considérés comme constituant un « magistrat indépendant et impartial », en ce que Monsieur A. serait, d’une part, en sa qualité de ministre de la Justice, « une autorité politique agissant sous les directives du président du Nigeria », et, d’autre, part, en sa qualité de procureur général de la République Fédérale du Nigeria, « une autorité de poursuite qui collabore avec la police du Nigeria et qui décide sur base de l’enquête policière, de poursuivre des personnes devant les juridictions nigérianes respectivement de classer l’affaire » et que Monsieur G. serait un « policier agissant sous les ordres de Monsieur A. ». Partant, la demande d’entraide judiciaire n’émanerait que d’une « autorité politico-policière », qui opérerait en dehors de tout contrôle judiciaire.

8 C’est à bon droit que le délégué du gouvernement soutient que la référence faite à l’article 59 de la loi précitée du 7 mars 1980 au « juge » étranger, dont seul pourraient émaner les commissions rogatoires que le ministre luxembourgeois de la Justice est susceptible d’autoriser, se rapporte d’une manière générale à toute autorité judiciaire compétente en vertu de la législation nationale de l’Etat requérant en vue de transmettre une demande d’entraide judiciaire aux autorités compétentes de l’Etat requis.

S’il est vrai que la qualification d’ « autorité judiciaire » se fait sur base du droit luxembourgeois, en application de l’article 59 précité, il n’en reste pas moins que les pouvoirs et compétences de la prétendue autorité judiciaire de l’Etat requérant s’analysent d’après les lois de cet Etat. Ainsi, il échet au tribunal d’analyser si l’autorité judiciaire ainsi qualifiée dans l’Etat requérant serait susceptible de délivrer, sur base des pouvoirs et compétences lui attribués par les lois de cet Etat, des commissions rogatoires telles que visées par l’article 59 précité.

Le délégué du gouvernement soutient que le procureur général du Nigeria serait à qualifier d’autorité judiciaire, en ce qu’il disposerait des pouvoirs d’engager et de conduire des poursuites pénales, du pouvoir de bloquer des avoirs bancaires et de saisir les documents y afférents et du pouvoir d’émettre des demandes d’entraide judiciaire en matière pénale. Cette autorité disposerait donc de pouvoirs comparables à ceux de l’autorité luxembourgeoise compétente pour obtenir des renseignements bancaires et le blocage des fonds, conformément aux exigences de l’article 59 précité.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse, tout en ne contestant pas qu’un procureur général du Nigeria soit compétent en vue de la poursuite et de l’instruction d’affaires pénales devant les juridictions compétentes au même titre qu’un procureur général luxembourgeois, conteste toutefois que ce procureur général puisse être considéré comme constituant un « juge étranger » au sens de l’article 59 de la loi précitée du 7 mars 1980.

Ce raisonnement devra toutefois être écarté, étant donné que, comme il a été retenu ci-avant, le terme « juge » étranger, au sens de l’article 59 précité, vise d’une manière générale toute autorité judiciaire étrangère, partant non seulement les magistrats du siège mais également les magistrats du parquet ayant compétence pour poursuivre et instruire des affaires pénales devant les juridictions compétentes. Comme la demanderesse ne conteste pas que le procureur général du Nigeria possède les pouvoirs ci-avant spécifiés, au même titre qu’un procureur général exerçant ses fonctions au Luxembourg, et comme ce dernier est compétent, en vertu des pouvoirs lui dévolus par la loi luxembourgeoise en vue de former des demandes d’entraide judiciaire, non seulement nationales mais également internationales, dans le cadre de l’instruction des affaires qui relèvent de son champ de compétence, il y a lieu d’en conclure que le procureur général du Nigeria est à considérer comme constituant un « juge étranger » au sens de l’article 59 de la loi précitée du 7 mars 1980.

Dans la mesure où il n’est pas contesté que Monsieur A., en sa qualité de procureur général du Nigeria, a signé la commission rogatoire internationale sous examen, et abstraction faite de ce que par ailleurs il exerce les fonctions de ministre de la Justice de la République du Nigeria, ce fait n’étant pas de nature, à lui seul, à lui enlever la qualité d’autorité judiciaire compétente en vue de transmettre une commission rogatoire internationale, au sens de l’article 59 de la loi précitée du 7 mars 1980, le 9 ministre luxembourgeois de la Justice a valablement pu autoriser l’exécution de ladite commission rogatoire en vertu de la disposition légale précitée et aucun reproche ne saurait lui être fait sous ce rapport. La circonstance que par ailleurs ladite commission rogatoire internationale a été signée par un commissaire de police du Nigeria, qui n’est pas à considérer comme constituant une autorité judiciaire au sens de l’article 59 précité, n’est pas de nature à invalider ladite commission rogatoire, en ce que celle-ci a été signée par ailleurs par une autorité compétente.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à déclarer non fondé, aucun autre moyen n’ayant été soulevé à l’encontre de la décision incriminée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 23 mai 2001 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12188
Date de la décision : 23/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-23;12188 ?

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