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17/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12585

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mai 2001, 12585


Numéro 12585 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2000 Audience publique du 17 mai 2001 Recours formé par Monsieur … MURATOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12585 du rôle, déposée le 8 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Dominique BORNERT, avocat à la Cour, assist

é de Maître Cyrille TONNELET-GIESE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordr...

Numéro 12585 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2000 Audience publique du 17 mai 2001 Recours formé par Monsieur … MURATOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12585 du rôle, déposée le 8 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Dominique BORNERT, avocat à la Cour, assisté de Maître Cyrille TONNELET-GIESE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MURATOVIC, né le … à Trpezi/Bérane (Monténégro), demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 29 juin 2000, notifiée le 18 septembre 2000, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 9 novembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Cyrille TONNELET-GIESE et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 27 avril 1999, Monsieur … MURATOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur MURATOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur MURATOVIC fut entendu en date du 29 juillet 1999 ainsi qu’en date du 22 juin 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur MURATOVIC, par lettre du 29 juin 2000, notifiée en date du 18 septembre 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile à Trpezi/Berane/Monténégro en bus en direction de Sarajevo en date du 2 avril 1999. Après y avoir séjourné jusqu’au 20 avril 1999, vous avez pris le bus pour Kladusa, d’où vous avez continué votre route à l’aide de passeurs jusqu’au Grand-Duché de Luxembourg, en traversant la frontière croate, la frontière slovène, la frontière italienne, l’Autriche et l’Allemagne. Vous affirmez avoir choisi le Luxembourg comme destination parce que vos frères y habitant depuis longtemps vous ont raconté que le Luxembourg est un « très beau pays, où il n’y a pas de crise économique ».

Vous déclarez avoir accompli le service militaire en 1996/1997 en Serbie et avoir été appelé à la réserve en mars 1999. Selon vos dires, la police s’est présentée à votre domicile, mais elle ne vous y a pas trouvé du fait que vous vous cachiez dans votre maison de campagne se trouvant dans les montagnes. Vous précisez qu’en cas de retour dans votre pays vous craignez une peine de prison de 3 à 4 ans en raison de votre insoumission.

Tout en affirmant avoir fui votre pays en raison de la guerre, de la crise économique et de la pauvreté, vous précisez ne plus vouloir y retourner, même après la guerre, du fait que la pauvreté et la crise économique y règneront toujours.

N’ayant pas subi des persécutions personnelles et n’ayant pas eu de problèmes en raison de votre adhésion au parti SDA, vous relevez cependant avoir peur de devoir subir le même sort que les gens du Kosovo. Vous précisez avoir peur de M. Milosévic et des Serbes, peur qui serait d’ailleurs liée à votre confession musulmane.

Concernant la crainte d’une éventuelle sanction pénale en raison de votre insoumission, il y a lieu de relever que des poursuites pénales ne peuvent pas être considérées en tant que telles comme une persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, vous avez basé votre demande en obtention du statut de réfugié politique exclusivement sur des motifs d’ordre personnel sans citer un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Vous avez plus particulièrement déclaré ne pas avoir subi des persécutions personnelles, mais avoir quitté votre pays en raison de la guerre et en raison de la crise économique et de la pauvreté régnant dans votre pays. De tels motifs ne sauraient toutefois fonder une demande d’asile au sens de la Convention de Genève.

Concernant votre peur à l’encontre de M. Milosévic et des Serbes, ces motifs ne constituent pas non plus une crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison 2 d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur MURATOVIC suivant courrier du 18 octobre 2000 dirigé contre la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 9 novembre 2000.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 29 juin et 9 novembre 2000, Monsieur MURATOVIC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation, par requête déposée le 8 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être de religion musulmane et originaire du Monténégro. Il soutient avoir quitté son pays d’origine en raison de sa convocation, au mois de mars 1999, en vue de son enrôlement dans l’armée de réserve yougoslave afin de participer à la guerre « qui déchirait le Kosovo pendant cette même période » et qu’il risquerait en conséquence d’être gravement sanctionné sur base du code pénal yougoslave et de « la loi yougoslave sur l’armée », cette peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison. Il estime que sa persécution en raison de son insoumission serait due à ses opinions politiques dans la mesure où son Etat d’origine lui aurait refusé le libre exercice de son droit à la liberté d’opinion et de conscience, tel qu’il serait réglementé par la déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que par la Convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui lui permettraient de refuser d’être enrôlé dans les rangs de l’armée. Dans ce contexte, il expose que s’il est vrai qu’il existe en droit yougoslave une disposition sur les objecteurs de conscience, il n’en resterait pas moins que cette disposition légale resterait lettre morte dans la mesure où il n’existerait aucun service civil alternatif au service militaire qui lui aurait été accessible.

En deuxième lieu, il fait valoir son appartenance au parti politique SDA et il soutient que même en sa qualité de simple membre dudit parti politique, il risquerait d’être persécuté dans son pays d’origine.

Enfin, il soutient qu’il risquerait d’être persécuté dans son pays d’origine en raison de sa seule croyance religieuse et il invoque encore sa peur « de Monsieur Milosévic et des Serbes » pour justifier sa crainte de persécution qui serait, d’après lui, susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine. Il estime dans ce contexte que l’élection de Monsieur KOSTUNICA en date du 6 octobre 2000 ne serait pas de nature à faire diminuer les dangers de persécution au Monténégro.

Sur ce, il estime qu’il ferait valoir d’une crainte justifiée de persécution en raison des raisons précitées et il demande à se voir reconnaître le statut de réfugié politique.

3 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur MURATOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions en date des 29 juillet 1999 et 22 juin 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre du recours gracieux et au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs 4 années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur MURATOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission, ainsi que des lois d’amnistie votées tant par le parlement du Monténégro que, plus récemment, par le parlement yougoslave visant toutes les deux les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que les condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Quant à l’affirmation du demandeur selon laquelle il serait à qualifier d’« objecteur de conscience » vis-à-vis du service militaire, il y a lieu de relever qu’abstraction faite de ce qu’il a accompli son service militaire régulier en Serbie au cours des années 1996 et 1997 sans qu’il ne ressort du dossier qu’à cette époque il ait fait état de sa prétendue qualité d’objecteur de conscience, il ne fournit aucune indication ou précision de nature à justifier ses objections de conscience vis-à-vis du service militaire.

Quant à sa prétendue appartenance au parti politique SDA, le tribunal relève que lors de son audition précitée du 29 juillet 1999, il avait indiqué qu’il n’était pas un membre actif dudit parti politique mais qu’il en était un simple adhérant en précisant encore qu’il n’a eu aucun problème à cause de cette adhésion. En l’absence d’informations plus précises à ce sujet, le tribunal retient que le demandeur n’établit pas à suffisance de droit une persécution ou un risque de persécution du chef de son adhésion au parti politique SDA.

Enfin, les craintes de persécution en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane et de la situation politique générale dans son pays d’origine, en raison de sa peur du régime politique de Monsieur MILOSEVIC et des Serbes en général, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

5 Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 17 mai 2001 par le vice-président en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12585
Date de la décision : 17/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-17;12585 ?

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