La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12583

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mai 2001, 12583


Numéro 12583 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2000 Audience publique du 17 mai 2001 Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12583 du rôle, déposée le 8 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles OSSOLA, avocat à la

Cour, assisté de Maître Michel BULACH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Or...

Numéro 12583 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2000 Audience publique du 17 mai 2001 Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12583 du rôle, déposée le 8 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles OSSOLA, avocat à la Cour, assisté de Maître Michel BULACH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, né le … à Bérane (Monténégro), et de son épouse, Madame … …, née le … à Rozaje (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants …, … et …, nés à Bérane respectivement en dates des …, … et …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 juillet 2000, notifiée le 26 septembre 2000, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux prise par ledit ministre en date du 8 novembre 2000;

Vu la lettre du délégué du bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg à l’assistance judiciaire du 9 octobre 2000, déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2000, par laquelle Maître Michel BULACH, préqualifié, a été commis d’office afin d’assister les consorts SKRIJELJ dans le cadre de la présente affaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Michel BULACH et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 8 juillet 1999, Monsieur … SKRIJELJ, et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants …, … et … SKRIJELJ, tous préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux SKRIJELJ-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur SKRIJELJ et Madame … furent en outre entendus séparément en date du 12 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

Le ministre de la Justice informa les époux SKRIJELJ-…, par lettre du 26 juillet 2000, notifiée en date du 26 septembre 2000, que leur demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations qu’environ deux mois avant votre arrivée au Luxembourg, vous avez quitté le Monténégro pour vous rendre à Sarajevo en Bosnie où vous êtes restés deux mois. Vous dites avoir quitté en date du 1er juillet 1999 Sarajevo en bus pour vous rendre, d’abord à Bihac, puis à Kladusa à la frontière croate, que vous avez traversée à pied. Vous avez été ensuite conduits à Lublijana en Slovénie où vous avez séjourné trois jours dans une maison privée. Vous avez ensuite transité par l’Italie et la France pour rejoindre le Luxembourg où vous êtes arrivés le 7 juillet 1999. Vous ne pouvez pas donner de plus amples renseignements quant au trajet emprunté.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le lendemain de votre arrivée.

Vous, Monsieur, vous exposez que trois jours après le commencement des bombardements par l’OTAN, vous avez reçu une convocation pour la réserve que vous n’avez pas acceptée. Par la suite, la police militaire est venue à plusieurs reprises à votre domicile. Vous déclarez qu’une fois vous auriez été présent et qu’un policier vous aurait tiré dessus alors que vous vous échappiez par la fenêtre.

Vous avez refusé de faire la réserve parce que vous ne vouliez pas vous battre pour Milosevic. Vous dites avoir obéi aux ordres de Djukanovic en ne répondant pas à l’appel.

Maintenant vous prétendez avoir peur de retourner parce que vous craignez d’être jugé par le tribunal militaire pour insoumission.

Vous déclarez par ailleurs que vous avez quitté votre pays à cause de la guerre et en raison de la crise économique.

En ce qui vous concerne, Madame, vous confirmez les dires de votre mari auxquels vous vous ralliez.

2 Il résulte de vos déclarations à tous les deux que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas d’opinions politiques.

En ce qui concerne le premier motif de départ invoqué par vous, Monsieur, à savoir la crainte d’une sanction pénale pour insoumission, je souligne que la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Force est également de constater que le conflit armé entre l’ex-Yougoslavie et le Kosovo est terminé et que la paix règne actuellement dans la région. Il n’est pas établi que l’accomplissement de la réserve au sein de l’armée yougoslave imposerait actuellement une participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas non plus conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution conformément à l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

Or, il ne se dégage pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquez d’être persécutés dans votre pays pour un des motifs énumérés par la Convention de Genève.

Je mesure à leur juste valeur les difficultés matérielles auxquelles vous êtes confrontés suite aux retombés de la crise économique qui sévit actuellement dans votre pays, mais je me dois de constater qu’un tel motif ne saurait fonder une demande d’asile politique au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire des époux SKRIJELJ-… suivant courrier du 25 octobre 2000 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 8 novembre 2000.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 26 juillet et 8 novembre 2000, les époux SKRIJELJ-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs ont fait introduire un recours en réformation, par requête déposée le 8 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le 3 tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être de religion musulmane et être originaires du Monténégro. Ils soutiennent encore qu’ils auraient dû quitter leur pays d’origine en raison du défaut par Monsieur SKRIJELJ de répondre à une convocation pour la réserve de l’armée fédérale yougoslave, en relevant qu’au jour où la police militaire se serait présentée à leur domicile en vue de lui remettre la première convocation afin de rejoindre la réserve, un policier lui aurait « tiré dessus », au moment où il aurait pris la fuite « par la fenêtre », en estimant toutefois que ledit policier « n’a pas voulu [le] toucher ».

Ils estiment encore courir un risque de persécution en cas de retour dans leur pays d’origine en raison de leur appartenance « à un groupe social ou ethnique que la majorité des yougoslaves continue à mépriser et violenter », en soutenant encore que la situation actuelle au Monténégro serait telle qu’ils y risqueraient des persécutions, plus particulièrement en raison du climat d’insécurité spécifique existant à Bérane où, au cours des dernières années, il y aurait eu des meurtres de familles musulmanes commis par « leurs voisins serbes ».

Enfin, ils soutiennent justifier leur crainte de persécution sur base de leurs opinions politiques, en insistant sur le fait que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’exigerait nullement une quelconque appartenance à un parti politique ou une quelconque activité politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux SKRIJELJ-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux SKRIJELJ-…. Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

4 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en date du 12 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre du recours gracieux et au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, Monsieur SKRIJELJ risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission, ainsi que des lois d’amnistie votées tant par le parlement du Monténégro que, plus récemment, par le parlement yougoslave visant toutes les deux les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que les condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

En ce qui concerne les tirs de la police militaire lors de la convocation de Monsieur SKRIJELJ afin qu’il rejoigne la réserve de l’armée fédérale yougoslave, à un moment où il a pris la fuite devant les agents de ladite police militaire, il échet de retenir que ces tirs, à eux seuls, et en l’absence de tout autre élément, n’établissent pas une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève.

Quant aux prétendues opinions politiques des demandeurs, non autrement détaillées, il échet de relever que lors de ses déclarations fournies au cours de son audition précitée du 12 juillet 1999, Monsieur SKRIJELJ a déclaré ne pas avoir été membre d’un parti politique ou d’un groupe social défendant les intérêts de personnes et de ne pas avoir d’opinions politiques en spécifiant qu’il était « neutre » et que Madame …, lors de son audition séparée qui a eu lieu également en date du 12 juillet 1999, a fait des déclarations identiques à celles de son mari. En l’absence d’indications plus précises quant à leurs prétendues opinions politiques, le tribunal est dans l’impossibilité de vérifier si elles sont susceptibles de justifier une crainte de persécution ou si les demandeurs ont subi des persécutions en raison de celles-

ci.

Enfin, les craintes de persécution en raison de leur appartenance à la communauté religieuse musulmane et de la situation politique générale dans leur pays d’origine 5 constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 17 mai 2001 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12583
Date de la décision : 17/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-17;12583 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award