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16/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12711

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 mai 2001, 12711


Tribunal administratif N° 12711 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 décembre 2000 Audience publique du 16 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … BABACIC contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12711 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 décembre 2000 par Maître Christiane HOFFMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l

’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BABACIC, né le … à Ivangrad (ex-Yougoslavie), ...

Tribunal administratif N° 12711 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 décembre 2000 Audience publique du 16 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … BABACIC contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12711 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 décembre 2000 par Maître Christiane HOFFMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BABACIC, né le … à Ivangrad (ex-Yougoslavie), actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Schrassig, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 septembre 2000 lui refusant l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 février 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Katia AÏDARA, en remplacement de Maître Christiane HOFFMANN, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 mai 2001.

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Monsieur … BABACIC, préqualifié, est entré au Grand-Duché de Luxembourg au courant de l’année 1992 afin d’y solliciter le statut de réfugié politique en raison de la situation existant dans son pays d’origine. Après avoir bénéficié à ce titre d’autorisations de séjour successives jusqu’en décembre 1995, le ministre de la Justice, par arrêté du 7 février 1997 lui refusa l’autorisation d’entrée et de séjour aux motifs suivants : « - a été condamné le 5 juin 1996 par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg à une peine d’emprisonnement de 3 ans ainsi qu’à une amende de 100.000.- Luf du chef de coups et blessures volontaires portés à une personne ayant causé une maladie paraissant incurable et de coups et blessures volontaires portés à un compatriote avec endommagement des biens mobiliers de ce dernier et de menaces graves ; - le 22 mars 1996 par ce même tribunal à une amende de 5.000.- Luf du chef de défaut de permis de conduire valable ; - ne s’adonne pas à une occupation salariée depuis presque 3 ans ; - se trouve en séjour irrégulier au pays depuis le 15 décembre 1 1995 ; - par son comportement personnel l’intéressé constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics ».

Par arrêté ministériel du 15 mai 1997, Monsieur BABACIC fut placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg pour une durée d’un mois, étant donné que son rapatriement immédiat n’était pas possible.

Le 26 septembre 2000, le ministre de la Justice prit un nouvel arrêté de refus d’entrée et de séjour à l’encontre de Monsieur BABACIC lequel est motivé comme suit :

« - a été condamné le 2 mars 1998 par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg pour :

- coups et blessures volontaires ayant causé une incapacité de travail ; coups et blessures volontaires , avoir volontairement endommagé les propriétés mobilières d’autrui, destruction de propriétés mobilières d’autrui à l’aide de violences à une peine d’emprisonnement de 24 mois ainsi qu’à une amende de 100.000.- Luf ;

- constitue par son comportement personnel un danger pour l’ordre et la sécurité publics ».

A l’encontre de l’arrêté ministériel précité du 26 septembre 2000, Monsieur BABACIC a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à son annulation et subsidiairement à sa réformation par requête déposée en date du 28 décembre 2000.

A l’appui de son recours, le demandeur expose que ses deux enfants mineurs, Alisa, né le 27 août 1993 à Dudelange et Admin, né le 19 février 1992 à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), vivent au Grand-Duché auprès de leur mère, Munirka AGOVIC-

BABACIC, laquelle disposerait d’un titre de séjour valable. Il conclut à l’annulation de la décision déférée pour violation de la loi, respectivement pour erreur de droit, sinon pour erreur d’appréciation manifeste en faisant valoir que ce serait à tort que le ministre a tiré argument de condamnations pénales dans son chef pour justifier la décision déférée et que la mesure d’expulsion ordonnée à son encontre porterait atteinte à sa situation privée et familiale, de manière à constituer une violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la Convention européenne des droits de l’homme ». Il soutient plus particulièrement à cet égard que face à l’impossibilité dans son chef de s’installer dans un pays quelconque autre que son pays d’origine, à savoir le Monténégro, il se trouverait dans l’impossibilité matérielle d’exercer son droit de visite à l’égard de ses deux enfants, de sorte que l’ingérence dans l’exercice de son droit au respect de la vie familiale opérée par la décision déférée serait disproportionnée.

Par la même requête déposée en date du 28 décembre 2000, le demandeur demande encore à voir conférer à son recours un effet suspensif.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre subsidiaire, au motif qu’un tel recours ne serait pas prévu en la matière. Il conclut encore à l’irrecevabilité de la demande en sursis à exécution formulée à travers la requête introductive d’instance en faisant valoir que cette demande aurait dû être présentée par requête distincte à adresser au président du tribunal.

2 Encore que le demandeur conclut principalement à l’annulation et subsidiairement seulement à la réformation de la décision déférée, il y a lieu de vérifier en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation en la matière, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit un recours de pleine juridiction à l’encontre d’une décision de refus d’entrée et de séjour, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, il y a lieu de relever qu’une condamnation pénale, sans constituer une cause péremptoire pour refuser l’entrée et le séjour à un étranger, peut cependant de par la teneur et la gravité des faits sanctionnés, dénoter un comportement révélant une atteinte grave et actuelle à l’ordre public dans le chef de la personne concernée et justifier ainsi une décision de refus d’entrée et de séjour sur le territoire luxembourgeois.

En l’espèce, les faits à la base des condamnations pénales invoquées, entres autres, comme motifs de la décision déférée sont d’une gravité certaine, de sorte que le ministre, au vu de l’existence par ailleurs d’un nombre impressionnant d’autres condamnations pénales s’étalant de l’année 1993 à l’année 1998 dans le chef du demandeur, a valablement pu estimer que par son comportement personnel le demandeur constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics.

Il s’ensuit qu’en principe, le ministre a pu se baser sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, pour refuser l’entrée et le séjour au demandeur en se basant sur le fait que par son comportement personnel, il constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics.

Il y a dès lors lieu d’examiner ensuite si le moyen du demandeur tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme est de nature à tenir en échec le motif de refus ci-avant relaté.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

En l’espèce, force est de constater que même en admettant que la décision de refus d’entrée et de séjour déférée s’analyse en une ingérence dans le droit du demandeur au respect 3 de sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 prérelaté, la gravité des atteintes d’ores et déjà portées à l’ordre public luxembourgeois à travers le nombre impressionnant d’infractions pénales commises par le demandeur, dénotant dans son chef la constance d’un état d’esprit peu respectueux des lois du pays, entraîne qu’il y a lieu de retenir à partir de la situation concrète du demandeur que c’est à tort que le demandeur se prévaut du caractère disproportionné d’une éventuelle ingérence dans sa vie privée et familiale opérée à travers la décision déférée.

Il se dégage des développements qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement conclut à l’incompétence du tribunal pour connaître de la demande d’effet suspensif formulée par le demandeur en faisant valoir que conformément aux dispositions de l’article 11 (3) de la loi précitée du 21 juin 1999, une demande en sursis à exécution est à présenter par requête distincte à adresser au président du tribunal.

La demande formulée par le demandeur à travers le dispositif de la requête introductive d’instance et tendant à voir conférer au recours introduit l’effet suspensif, ne saurait s’analyser, en l’absence de spécification afférente, en une demande en sursis à exécution au sens de l’article 11 (3) de la loi précitée du 21 juin 1999 par rapport à laquelle le tribunal siégeant en composition collégiale, ne saurait utilement statuer, mais doit s’entendre comme s’inscrivant plus particulièrement dans le cadre de l’article 35 de la même loi aux termes duquel le tribunal peut, dans un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel si l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif. Le demandeur avait en effet la possibilité de demander le sursis au président du tribunal en plus de la demande en effet suspensif adressée au tribunal, mais n’a en l’espèce pas eu recours à cette possibilité.

Dans la mesure où la décision déférée, tout en revêtant le caractère d’une décision négative, a modifié la situation de fait antérieure du demandeur en ce sens qu’elle contient une invitation de quitter le pays dès sa notification et, en cas de détention, immédiatement après sa mise en liberté, le tribunal est dès lors en principe compétent pour connaître de la demande d’effet suspensif lui adressée.

Dans la mesure où il se dégage cependant de l’ensemble des développements qui précèdent que le tribunal, statuant au fond, a retenu qu’une éventuelle ingérence au droit au respect de la vie familiale et privée du demandeur au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme était justifiée en l’espèce, il y a lieu de retenir que la demande d’effet suspensif, en l’absence d’autres éléments présentés à son appui, n’est a fortiori pas non plus fondée en l’espèce.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;

4 reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit la demande en sursis à exécution en la forme ;

au fond la déclare non justifiée et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 mai 2001 par:

M. Schockweiler, vice-président, Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12711
Date de la décision : 16/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-16;12711 ?

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