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16/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12619

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 mai 2001, 12619


Numéro 12619 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 décembre 2000 Audience publique du 16 mai 2001 Recours formé par les époux … GREDIC et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12619 du rôle, déposée le 14 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel PRIESTER, av

ocat à la Cour, assisté de Maître Linda FUNCK, avocat, tous les deux inscrits au tableau de...

Numéro 12619 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 décembre 2000 Audience publique du 16 mai 2001 Recours formé par les époux … GREDIC et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12619 du rôle, déposée le 14 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel PRIESTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Linda FUNCK, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … GREDIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Bijelo Polje, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-6852 Manternach, Cité Syrdal, agissant en leur nom personnel et en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 septembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 10 novembre 2000, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2001 par Maître PRIESTER pour compte des époux GREDIC-…;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Linda FUNCK et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 mars 2001.

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Le 5 mai 1999, Monsieur … GREDIC et son épouse, Madame …, préqualifiés, agissant en leur nom personnel et en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux GREDIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux GREDIC-… furent entendus séparément en date du 7 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande, tandis qu’une audition complémentaire de Monsieur GREDIC eut lieu le 9 août 1999.

Le ministre de la Justice informa les époux GREDIC-…, par lettre du 6 septembre 2000, notifiée en date du 26 septembre 2000, que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de manière qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par les époux GREDIC-… moyennant courrier daté au 25 octobre 2000 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 10 novembre 2000.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 6 septembre et 10 novembre 2000, les époux GREDIC-… ont fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 14 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être originaires du Monténégro et faire partie de la communauté musulmane. Ils fondent leur demande d’asile sur le fait que Monsieur GREDIC aurait reçu le 29 mars 1999 une convocation pour se présenter auprès de son unité militaire, mais n’y aurait pas donné suite, alors qu’il aurait risqué de devoir participer aux opérations militaires au Kosovo contre les Albanais du Kosovo, ces opérations ayant été contraires à ses convictions intimes et notamment à son refus de tuer des civilistes.

Ils affirment qu’après que Monsieur GREDIC se serait caché pour échapper au service militaire, Madame …, qui aurait alors résidé auprès de ses parents, et le reste de la famille de son mari auraient fait l’objet de visites domiciliaires de la part de la police militaire à la 2 recherche de ce dernier. Ils estiment que Monsieur GREDIC risquerait, même après la fin de la guerre au Kosovo, d’être condamné à une peine d’emprisonnement disproportionnée d’au moins deux ans en raison de son insoumission, d’autant plus que son droit à un procès équitable et ses droits de la défense ne seraient pas garantis dans le cadre de la procédure instaurée par la législation yougoslave en matière d’infractions militaires et que les opérations militaires de l’armée yougoslave au Kosovo auraient été condamnées par tous les pays membres de l’OTAN. Ils relèvent à cet égard que le Monténégro serait soumis à la loi fédérale en ce qui concerne le service militaire obligatoire et les sanctions pour son non-

accomplissement, de manière que la loi d’amnistie votée en novembre 1999 par le parlement monténégrin et d’autres mesures prises par le pouvoir monténégrin pour préserver les jeunes monténégrins d’une participation à des opérations militaires seraient restées dépourvues de tout effet contraignant face aux actions des autorités militaires fédérales lesquelles auraient notamment entamé systématiquement des procès pénaux contre les insoumis monténégrins.

Les demandeurs font encore valoir qu’ils auraient fait l’objet de propos racistes et discriminatoires sur base de leur religion musulmane, que toute la famille devrait subir des pressions et des mauvais traitements de la part des autorités serbes en cas de retour et qu’ils ne disposeraient plus d’aucune attache au Monténégro pour conclure que les décisions ministérielles critiquées devraient être réformées, étant donné qu’ils auraient établi une crainte objective et subjective de persécution dans leur chef et que leur Etat d’origine manquerait à son obligation de protection de ses citoyens consacrée par la déclaration universelle des droits de l’homme.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux GREDIC-… lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus 3 figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des consorts GREDIC-… une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leur opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, Monsieur GREDIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur GREDIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission, ainsi que des lois d’amnistie votées tant par le parlement du Monténégro que, plus récemment, par le parlement yougoslave visant toutes les deux les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que les condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

En outre, le moyen des demandeurs tiré de craintes de persécutions en raison de leur appartenance à la communauté religieuse musulmane constitue en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine. Lors de leurs auditions respectives, les demandeurs, tout en fondant leur peur sur leur religion, ont déclaré avoir peur essentiellement de la situation politique en général et ont confirmé ne pas avoir personnellement subi de persécutions et ne pas avoir été accusés ou incarcérés sans jugement.

Enfin, le défaut d’attaches dans leur pays d’origine ne saurait être considéré comme fondant dans le chef des demandeurs une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

4 PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 mai 2001 par:

Mme LENERT, premier juge, Mme LAMESCH, juge M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12619
Date de la décision : 16/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-16;12619 ?

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