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16/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12586

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 mai 2001, 12586


Tribunal administratif N° 12586 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2000 Audience publique du 16 mai 2001

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Recours formé par les époux … et … TARE-… et consorts, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12586 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2000 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avoc

at à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … TARE, né le … à...

Tribunal administratif N° 12586 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2000 Audience publique du 16 mai 2001

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Recours formé par les époux … et … TARE-… et consorts, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12586 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2000 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … TARE, né le … à Tirana (Albanie), et … …, née le … à Kovce (Albanie), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants …, né le … à Tirana, et …, née le … à Tirana, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 août 2000, notifiée le 27 septembre 2000, ainsi que d’une décision du 8 novembre 2000 du même ministre, notifiée le 14 novembre 2000 et faisant suite à un recours gracieux du 27 octobre 2000, par lesquelles leur demande en obtention du statut de réfugié politique a été refusée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 15 mars 2001 pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 avril 2001.

Vu la rupture du délibéré prononcée en date du 27 avril 2001 ;

Ouï Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries complémentaires respectives à l’audience publique du 14 mai 2001.

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1 Le 4 avril 2000, les époux … et … TARE-…, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux TARE-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 6 juin 2000 ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 9 août 2000, leur notifiée en date du 27 septembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux TARE-… de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou l’appartenance à un groupe social ne serait pas établie.

Par courrier de leur mandataire daté du 27 octobre 2000, les époux TARE-… formèrent un recours gracieux contre ladite décision ministérielle.

Par lettre du 8 novembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision du 9 août 2000.

Par requête déposée le 8 décembre 2000, les époux TARE-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants … et …, ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 9 août et 8 novembre 2000.

A titre préliminaire, il y a lieu d’écarter des débats le mémoire en réplique déposé pour compte des parties demanderesses au greffe en date du 15 mars 2001 pour avoir été versé en cause après l’écoulement du délai d’un mois à partir de la communication du mémoire en réponse de la partie défenderesse inscrit à l’article 5 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, étant entendu que le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement fut transmis par la voie du greffe au mandataire des demandeurs par courrier datant du 23 janvier 2001 réceptionné le lendemain, 24 janvier 2001, et que les délais prévus aux paragraphes 1er et 5 de l’article 5 de ladite loi, conformément aux dispositions de son article 5 (6), sont prévus à peine de forclusion.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est également recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre 2 administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de leur recours les demandeurs exposent que leur demande reposerait essentiellement sur le fait qu’ils seraient de « sensibilité politique démocratique », étant donné que Monsieur TARE aurait été membre du parti démocratique depuis 1992 jusqu’en avril 2000, date à laquelle il a quitté le pays pour se réfugier avec sa famille au Luxembourg, qu’il aurait dès lors été politiquement actif pour avoir participé à des manifestations ainsi qu’à des meetings politiques organisés par ce parti, que, par ailleurs, la famille TARE aurait déjà eu des problèmes avec les autorités albanaises lorsque le parti socialiste était au pouvoir, qu’elle aurait obtenu à cet égard le « statut de famille politiquement persécutée » dès l’arrivée au pouvoir du parti démocratique et que, lorsque les socialistes ont repris le pouvoir en 1996, des milices et autres forces armées, qui seraient probablement à la solde de certains hauts responsables politiques, militaires ou autres, auraient pourchassé, menacé, voire tué des membres du parti démocratique et inscrit sur une liste noire tous les membres actifs quels qu’ils soient, détenteurs effectifs d’une carte du parti ou non, que tel aurait été le cas de Monsieur TARE, qui, ayant participé à des manifestations et meetings, se serait alors vu poursuivre pour ses opinions et actions politiques, de sorte à l’obliger à quitter avec sa famille l’Albanie. Ils font valoir plus particulièrement que Monsieur TARE aurait été « rançonné, sinon raketté (sic) » et que ces faits témoigneraient d’une volonté de le persécuter, étant donné que les pressions afférentes s’effectueraient également par voie de lettres anonymes avec menaces d’enlever ses enfants. Ils font préciser que les autorités de leur pays d’origine et plus particulièrement la police, auprès de laquelle ils auraient déposé lesdites lettres anonymes, n’auraient pas réagi et n’auraient même pas assuré leur protection la plus élémentaire.

Dans la mesure où la situation actuelle en Albanie serait loin de s’être améliorée et qu’un climat d’insécurité générale reconnue y régnerait, ce serait à tort que le ministre aurait nié dans leur chef l’existence d’une crainte objective d’être persécutés par le pouvoir en place.

Concernant plus particulièrement l’ordre de quitter le territoire leur adressé à travers les décisions déférées, les demandeurs estiment que cette mesure ne serait en aucune façon proportionnée dans ses conséquences à la gravité de l’atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale, étant donné que leurs deux enfants sont encore très jeunes et qu’en cas de retour forcé en Albanie il ne serait pas sûr que leur vie n’y serait plus menacée.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la famille TARE-… et conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux TARE-… lors de leurs auditions respectives en date du 6 juin 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit de raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la simple qualité de membre du parti démocratique et la participation non autrement précisée à des manifestations politiques invoquées dans le chef de Monsieur TARE ne suffisent pas pour constituer un motif de reconnaissance du statut de réfugié. Il en va de même, a fortiori, de Madame … qui ne fait que confirmer les déclarations de son mari.

Dans ce contexte, les menaces par voie de lettres anonymes à l’égard des demandeurs, même à les supposer établies, ne sauraient être qualifiées d’actes de persécution à connotation politique au sens de la Convention de Genève. Il ne se dégage en effet pas à suffisance du récit fourni par les demandeurs que ces lettres soient des actes d’intimidation politique plutôt que des infractions de droit commun et il n’en ressort pas non plus qu’elles aient émané du pouvoir en place, voir que ce dernier les aurait cautionnées.

Le tribunal constate que les demandeurs basent leur craintes de persécution en substance sur la situation d’insécurité générale existant dans leur pays d’origine, sans apporter davantage de précisions quant aux persécutions qu’ils risqueraient personnellement de subir du fait de cette situation. Ainsi, ils ne précisent pas en quoi leur situation particulière ait été telle qu’ils pouvaient avec raison craindre qu’ils feraient l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance.

Par ailleurs les demandeurs n’expliquent ni établissent à suffisance les raisons pour lesquelles ils ne pourraient pas rechercher, pour le cas où ils devraient subir de tels actes de persécution, la protection des autorités en place dans leur pays d’origine, ni encore les éléments de fait permettant d’établir que ces autorités ne seraient pas en mesure ou n’auraient pas la volonté de poursuivre de tels actes.

Quant à l’invitation de quitter le territoire national insérée dans la décision critiquée du 9 août 2000 et confirmée dans toute sa teneur par celle également déférée du 8 novembre 2000, l’article 14 de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose que « si le statut de réfugié est refusé, soit au titre de l’article 10, soit au titre de l’article 12, le demandeur d’asile sera éloigné du territoire, en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

4 Un éloignement ne peut avoir lieu ni au cours de la procédure d’examen de la demande, ni pendant le délai d’introduction du recours prévu à l’article 13 ».

Dans la mesure où la décision précise expressément que l’obligation de quitter le territoire national dans le mois prend effet le jour où la décision, soit celle initiale émanant du ministre soit la décision confirmative ultime des juridictions administratives, aura acquis un caractère inattaquable et où le présent jugement confirme le caractère non fondé de la demande d’asile présentée par les demandeurs, le ministre pouvait prendre cette mesure sans se heurter aux dispositions dudit article 14.

L’éloignement d’un étranger du territoire luxembourgeois peut être ordonné par le ministre sur base de l’article 12 alinéa 1er de la loi prévisée du 28 mars 1972 disposant que « peuvent être éloignés du territoire par la force publique, sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal à adresser au ministre de la Justice les étrangers non autorisés à résidence : (..) 2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ; 3) aux quels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la présente loi ; 4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis (..) ».

En l’espèce, l’ordre de quitter le territoire a été motivé par la considération que les demandeurs n’ont pas pu obtenir la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, le présent jugement confirmant par ailleurs cette analyse ministérielle de leur dossier.

Par ailleurs, les demandeurs n’invoquent pas avoir, à un quelconque autre titre, un droit de séjourner au Grand-Duché, l’ensemble de leurs moyens au fond ayant trait à leur demande en octroi du statut de réfugié politique.

Quant au risque pour leur vie allégué par les demandeurs en cas de refoulement vers l’Albanie, force est de constater qu’il se dégage des considérations qui précèdent que la réalité des dangers allégués laisse d’être vérifiée, de sorte qu’en l’absence d’une autre cause – alléguée et établie – d’une mise en danger de leurs vie ou sécurité c’est en vain que les demandeurs opposent à la mesure de refoulement le principe du non-refoulement dans un territoire où leur vie ou leur liberté seraient menacées.

Le ministre a partant valablement pu ordonner aux demandeurs de quitter le territoire luxembourgeois en se basant sur son refus de reconnaissance du statut de réfugié politique et l’absence d’un autre motif ayant légalement pu justifier la présence des demandeurs sur le territoire luxembourgeois.

Il résulte de l’ensemble des développements ci-avant que le recours doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

5 au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 mai 2001 par:

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge suppléant en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Campill 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12586
Date de la décision : 16/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-16;12586 ?

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