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14/05/2001 | LUXEMBOURG | N°13314

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mai 2001, 13314


Numéro 13314 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2001 Audience publique du 14 mai 2001 Recours formé par Madame … OSMANOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13314 du rôle, déposée le 19 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … OSMANOVIC, née le …...

Numéro 13314 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2001 Audience publique du 14 mai 2001 Recours formé par Madame … OSMANOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13314 du rôle, déposée le 19 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … OSMANOVIC, née le … à Kalica (Monténégro), demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 mars 2001 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme étant manifestement infondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 mai 2001.

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En date du 11 janvier 2001, Madame … OSMANOVIC, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

En date du 25 janvier 2001, elle fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame OSMANOVIC par lettre du 8 mars 2001, lui notifiée en date du 21 mars 2001, que sa demande d’asile avait été rejetée comme étant manifestement infondée au motif qu’elle aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son pays qui lui serait accessible et que les persécutions par elle invoquées seraient limitées à une zone géographique déterminée de ce pays.

Madame OSMANOVIC a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du 8 mars 2001 par requête déposée en date du 19 avril 2001.

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, disposant expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal est compétent pour connaître du recours, lequel est également recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose être originaire du Kosovo, de confession musulmane et appartenir à la minorité ethnique des bochniaques. Elle reproche au ministre une appréciation erronée des faits en ce qu’il a retenu que les éléments par elle soumis ne seraient pas de nature à fonder dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution. Elle soutient avoir quitté son pays d’origine, le Kosovo, en raison des menaces pour sa vie ayant émané d’abord des Serbes et ensuite des Albanais, étant donné que ses droits les plus élémentaires auraient été « bafoués » du seul fait de son appartenance religieuse et ethnique. Elle fait état de menaces répétées de la part de policiers serbes suite à la désertion de son frère de la police serbe et d’actes de persécution de la part des Albanais qui se seraient produits même après l’arrivée des forces internationales de la KFOR, consistant plus particulièrement en des vols et une tentative d’enlèvement. Les plaintes qu’elle aurait déposées à ce sujet devant les forces de la KFOR seraient restées sans suites, de manière qu’elle n’aurait pas bénéficié d’une protection suffisante. Tout en ajoutant que « pour les Albanais dès que vous parlez serbo-croate vous êtes un ennemi peu importe d’où vous venez », la demanderesse précise que sa crainte serait aussi liée en partie à sa nationalité et surtout au fait que l’ensemble de sa famille aurait fait l’objet de discriminations de la part des autorités serbes en raison de son appartenance à la minorité bochniaque et qu’elle se serait vue exposée à des agressions pour ne pas avoir obtempéré aux injonctions de partir émises par des personnes d’origine serbe. Au vu des éléments ainsi exposés et des risques auxquels elle s’exposerait en cas de retour au Kosovo compte tenu de la situation y régnant à l’heure actuelle, la demanderesse conclut que le ministre aurait considéré à tort sa demande d’asile comme étant manifestement infondée, de manière que la décision attaquée du 8 mars 2001 devrait encourir l’annulation.

2 Le délégué du Gouvernement rétorque que la décision en cause serait fondée sur l’article 4 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996, que les faits invoqués par la demanderesse se résumeraient à la seule province du Kosovo, donc à une zone géographique déterminée et qu’elle aurait admis avoir pu trouver une protection efficace dans une autre partie de la République Fédérale de Yougoslavie qui lui aurait été accessible, en l’occurrence au Monténégro où elle se serait déjà réfugiée à plusieurs reprises et où ses parents résideraient toujours.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement (…) ».

Au vœu de l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible ».

En l’espèce, la demanderesse fait essentiellement état de persécutions émanant de Serbes et d’Albanais habitant au Kosovo en raison de son appartenance à la minorité bochniaque face aux ethnies majoritaires présentes au Kosovo. Les moyens formulés par la demanderesse quant aux risques encourus en cas de retour visant pareillement le Kosovo, il y a lieu de retenir que les persécutions invoquées en l’espèce se limitent à la zone géographique du Kosovo, sans que la demanderesse ne se prévale d’une persécution s’étendant sur tout le territoire de la République Fédérale de Yougoslavie.

A partir des éléments ainsi dégagés, il y a lieu de conclure que la situation de la demanderesse est en principe susceptible de s’inscrire dans le cas d’ouverture de l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996.

Cette même disposition subordonne néanmoins le rejet d’une demande d’asile comme étant manifestement infondée en raison d’une possibilité de fuite interne au double constat qu’il existe un endroit sur le territoire du même Etat d’origine qui est raisonnablement accessible au demandeur d’asile et que celui-ci pourrait y séjourner tout en bénéficiant d’une protection efficace.

Etant donné que dans le cadre d’un recours en annulation, la mission du juge administratif implique l’examen de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée et la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée (Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C, Commune de Bourscheid, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en annulation, n° 6 et autres décisions y visées), le tribunal est amené à vérifier en l’espèce s’il y a lieu d’admettre à partir des éléments du dossier lui soumis que la demanderesse disposait effectivement d’un accès raisonnable à une autre partie du territoire yougoslave au moment de la prise de la décision déférée et qu’elle y pouvait bénéficier d’une protection efficace.

Il ressort des déclarations de la demanderesse lors de son audition en date du 25 janvier 2001 qu’avant de venir au Luxembourg elle s’était déjà enfuie à plusieurs reprises vers le Monténégro ensemble avec ses parents et que ces derniers y résident encore la plupart du temps. La demanderesse a encore déclaré avoir bénéficié d’une attestation de sa qualité de réfugié au Monténégro. S’il est certes vrai qu’elle a indiqué que l’aide afférente de la part des autorités monténégrines serait insuffisante et qu’elle ne pourrait pas s’y adonner à un 3 travail rémunéré, force est cependant de constater que ces éléments dénotent à suffisance de droit l’existence effective d’une possibilité de fuite interne dans le chef de la demanderesse.

Les considérations essentiellement d’ordre économique par elle alléguées et tirées de conditions de vie plus défavorables que dans la région d’origine ne sont en effet pas de nature à justifier un refus de s’installer au Monténégro si l’on peut y constater l’existence d’une protection efficace (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié, Bruylant, 1998, p. 153).

Il s’ensuit que le ministre a valablement pu se fonder sur l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996 pour rejeter la demande d’asile de la demanderesse comme étant manifestement infondée, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mai 2001 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 4 La charge de prouver l’existence effective d’une possibilité de fuite interne incombe en principe au ministre, hormis l’hypothèse où il résulte à suffisance de droit des éléments du dossier du demandeur d’asile en cause qu’il a déjà pu effectivement bénéficier dans le passé d’une telle possibilité de fuite interne.

Le ministre a fondé la décision attaquée sur le fait que la demanderesse a déclaré lors de son audition s’être enfuie à plusieurs reprises au Monténégro ensemble avec ses parents et que ceux-ci y séjourneraient toujours et retourneraient seulement parfois dans leur maison au Kosovo. Il ajoute qu’ « il est un fait que les musulmans du Kosovo ont la possibilité de trouver refuge dans une autre région de la Yougoslavie, région où ils seraient considérés comme réfugiés et protégés comme tels ».

Or, la seule circonstance que la demanderesse s’est déjà enfuie dans le passé vers le Monténégro n’est pas de nature à établir, au vu de la situation générale régnant en Yougoslavie, l’existence à l’heure actuelle d’un accès raisonnable vers cette partie de la Yougoslavie et d’une protection suffisante en faveur de la minorité dont la demanderesse fait partie. Dans la mesure où le ministre n’a étayé la pétition de principe précitée figurant dans la décision attaquée par aucun élément concret soumis au tribunal, force est de conclure que c’est à tort que le ministre a rejeté la demande d’asile en cause comme étant manifestement infondée en se fondant sur l’existence d’une possibilité de fuite interne non dûment établie en cause.

Il s’ensuit que la décision attaquée du 8 mars 2001 encourt l’annulation.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13314
Date de la décision : 14/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-14;13314 ?

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