La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12609

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mai 2001, 12609


Numéro 12609 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 14 mai 2001 Recours formé par Monsieur … RASTODER, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12609 du rôle, déposée le 13 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Caroline BADEN, avocat à la Cour, inscr

it au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RASTODER, né le …...

Numéro 12609 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 14 mai 2001 Recours formé par Monsieur … RASTODER, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12609 du rôle, déposée le 13 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Caroline BADEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RASTODER, né le … à Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 11 août 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier TOTH et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 mars 2001.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 3 avril 2000, Monsieur … RASTODER, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur RASTODER fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur RASTODER fut entendu en date du 22 juin 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande, une audition complémentaire ayant eu lieu le 3 août 2000.

Le ministre de la Justice informa Monsieur RASTODER, par lettre du 11 août 2000, notifiée en date du 13 novembre 2000, de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Berane au Monténégro pour Sarajevo en Bosnie. Là vous avez fait la connaissance d'un passeur qui vous a proposé de vous amener au Luxembourg. En route vous avez dû changer plusieurs fois de voiture et vous dites avoir fait une partie du trajet à pied. Vous ne pouvez pas donner de plus amples renseignements quant au chemin emprunté. Vous êtes arrivé au Luxembourg le dimanche 2 avril 2000 et vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le lendemain.

Vous exposez que vous n'avez pas encore fait le service militaire. Vous dites avoir reçu un appel un jour où vous n'étiez pas à la maison. Un ou deux jours avant votre arrivée au Luxembourg, la police militaire s'est présentée à votre domicile, et selon vous, voulait vous emmener à l'armée. Comme vous l'aviez vu venir, vous vous êtes sauvé. Vous ne voulez pas faire le service militaire parce que vous avez peur d'être maltraité par les Serbes en raison de votre confession musulmane. Vous avez également peur qu'une guerre n'éclate dans votre région. Finalement vous dites vous être soustrait au service militaire, parce que votre mère vous a supplié de ne pas aller à l'armée. Maintenant vous n'envisagez pas de retourner dans votre pays parce que vous avez peur d'être emprisonné et maltraité pour insoumission. Vous dites également avoir peur de l'armée et de la police.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que votre père était membre du parti SDA et que vous êtes sympathisant du même parti, sans avoir des opinions politiques pour autant.

Du fait de l'adhésion de votre père au parti et du fait que vous avez participé aux manifestations organisées par le parti avant les élections, vous affirmez avoir eu des problèmes. Ainsi vous prétendez qu'un jour les policiers vous auraient emmené au poste de police pour une histoire de pistolet que vous affirmez n'avoir pas eu. Vous soulignez que vous n'avez pas été battu lors de l'interrogatoire.

Finalement vous déclarez que vous avez quitté votre pays parce que vous ne pouviez plus supporter les conditions de vie là-bas.

Concernant le premier motif invoqué à l'appui de votre demande d'asile, à savoir la crainte d'une sanction pénale pour insoumission, je souligne que la crainte de peines du chef d'insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu'elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d'asile une crainte justifiée d'être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. J'ajoute que le conflit armé entre l'ex-Yougoslavie et le Kosovo est terminé et que la paix règne dans la région. Il n'est pas établi que l'accomplissement du service militaire au sein de l'armée yougoslave imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Finalement, des milliers de musulmans ont ou vont faire leur service militaire au sein de l'armée fédérale yougoslave et il n'est pas 2 établi que des mauvais traitements soient infligés de façon systématique aux soldats de confession musulmane.

La reconnaissance du statut de réfugié n'est pas non plus uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En l'espèce, si les activités dans un parti d'opposition peuvent, le cas échéant, justifier des craintes légitimes de persécution, je me dois de constater que d'une part, vous ne faites pas état d'activités personnelles voire de mauvais traitements subis en raison de celles-ci et, d'autre part, vos allégations quant au rôle actif joué par votre père au sein du parti SDA et des problèmes qui en auraient résulté pour vous, restent non seulement vagues et imprécises mais, pour le surplus, elles ne sont pas corroborées par le moindre élément de preuve les concernant. Force est également de constater que votre père est resté au Monténégro et que jusqu'à ce jour il ne semble pas avoir (..) subi de persécutions du fait de son adhésion parti SDA.

Concernant les mauvaises conditions de vie dans votre pays d'origine, je mesure certes à leur juste valeur les difficultés matérielles que vous devez affronter à votre retour en raison des retombées de la crise économique qui sévit dans votre pays d'origine, mais je me dois également de constater que vous n'êtes pas exposé à un risque de persécution pour un des motifs énumérés par la Convention de Genève.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (..) ».

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet de sa demande d’asile, Monsieur RASTODER a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation par requête déposée le 13 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire de la ville de Bérane au Monténégro et faire partie de la population de confession musulmane. Il reproche au ministre d’avoir mal interprété ses déclarations lors de son audition alors qu’en indiquant ne pas supporter les conditions de vie dans son pays d’origine, il n’aurait pas visé les conditions de vie matérielles, mais plutôt « les dangers auxquels il se sentait exposé dans la vie de tous les jours ». Il fait valoir qu’il a refusé d’accomplir son service militaire « pour des raisons qui lui sont propres » et aurait pris la fuite alors qu’il risquerait de ce fait des mauvais 3 traitements et l’emprisonnement pour insoumission. Il expose avoir peur de persécutions à l’intérieur de l’armée en raison de sa religion musulmane et, plus particulièrement, en raison de « l’aversion » des Serbes contre la religion musulmane. Le demandeur ajoute qu’il serait faux de conclure à partir de la fin du conflit entre l’ex-Yougoslavie et le Kosovo à un retour à la paix dans cette région, au motif que l’actualité renseignerait que la situation en ex-

Yougoslavie serait loin d’être calme et paisible et des conflits naîtraient spontanément « et quasiment à un rythme quotidien », de sorte que l’affirmation ministérielle qu’il ne serait pas établi que l’accomplissement du service militaire imposerait actuellement la participation à des actions militaires ne correspondrait pas à la réalité des faits.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions en dates des 22 juin et 3 août 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la 4 Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi, au-delà des affirmations afférentes du demandeur, qu’actuellement, il risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission, ainsi que des lois d’amnistie votées tant par le parlement du Monténégro que, plus récemment, par le parlement yougoslave visant toutes les deux les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que les condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

En outre, les craintes de persécutions en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane du demandeur et de la situation politique générale dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mai 2001 par:

M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, 5 en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12609
Date de la décision : 14/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-14;12609 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award