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09/05/2001 | LUXEMBOURG | N°13278

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 mai 2001, 13278


Numéro 13278 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2001 Audience publique du 9 mai 2001 Recours formé par Madame … HUKIC-… et consorts, …, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13278 du rôle, déposée le 13 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Joëlle HAUSER, avocat à la Cour,

assistée de Maître Rudi DICKHOFF, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des...

Numéro 13278 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2001 Audience publique du 9 mai 2001 Recours formé par Madame … HUKIC-… et consorts, …, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13278 du rôle, déposée le 13 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Joëlle HAUSER, avocat à la Cour, assistée de Maître Rudi DICKHOFF, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … HUKIC-…, née le … à Bioc (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-4132 Esch-sur-Alzette, 25, Grand-Rue, agissant en son nom propre ainsi qu’en celui de ses enfants mineurs … HUKIC, née le … à Novi Pazar (Monténégro/Yougoslavie), … HUKIC, né le … à Novi Pazar, et … HUKIC, né le … à Novi Pazar, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 novembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 14 mars 2001, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme étant manifestement infondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Rudi DICKHOFF et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 mai 2001.

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En date du 4 mai 1999, Madame … HUKIC-…, préqualifiée, introduisit, en son nom propre et en celui de ses enfants mineurs …, … et …, préqualifiés, une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

En date du 7 septembre 1999, elle fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame HUKIC-… par lettre du 14 novembre 2000, lui notifiée en date du 5 février 2001, que sa demande d’asile avait été rejetée comme étant manifestement infondée au motif qu’elle n’invoquerait aucun élément de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social.

Le recours gracieux introduit par Madame HUKIC-… par l’intermédiaire de son mandataire en date du 2 mars 2001 à l’encontre de la décision ministérielle précitée s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 14 mars 2001, elle a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées des 14 novembre 2000 et 14 mars 2001 par requête déposé en date du 13 avril 2001.

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, dispose expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives. Dans une matière dans laquelle seul un recours en annulation est prévu, le recours introduit sous forme de recours en réformation est néanmoins recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués, à condition d’observer les règles de procédure et les délais sous lesquels le recours en annulation doit être introduit (cf. trib. adm.

26 mai 1997, n° 9370 du rôle, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en annulation, n° 25 et autres références y citées). Le recours en réformation est dès lors recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués pour avoir été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse reproche en premier lieu au ministre d’avoir simplement et purement confirmé par courrier du 14 mars 2001 sa décision initiale du 22 novembre 2000 en se limitant à une réponse standard sans prendre position par rapport aux différents moyens relatifs à sa situation personnelle et à la situation générale dans son pays d’origine, développés dans le recours gracieux introduit en son nom le 2 mars 2001 et n’ayant pas figuré dans son dossier personnel initial.

2 Le délégué du Gouvernement soutient que la décision confirmative déférée du 14 mars 2001 serait motivée en ce qu’il y est retenu que la demanderesse n’aurait pas soumis des éléments nouveaux et pertinents et il ajoute que l’unique sanction d’un éventuel défaut de motivation consisterait uniquement en la suspension du délai de recours.

Le moyen d’annulation invoqué par la demanderesse consistant à soutenir que la décision ministérielle critiquée du 14 mars 2001 serait entachée d’illégalité pour défaut de motivation suffisante n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort des pièces versées au dossier que la décision initiale du 14 novembre 2000 indique de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance de la demanderesse (v. trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 35, page 261, et autres références y citées). Dès lors, le fait par la décision du 14 mars 2001 de confirmer purement et simplement la décision initiale, implique que cette deuxième décision se base sur les mêmes dispositions légales et réglementaires ainsi que sur les mêmes motifs que ceux sur lesquels s’est basée la décision initiale, de manière à rejeter les éléments complémentaires soumis par la demanderesse comme n’étant pas pertinents.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser la justification au fond des deux décisions de refus d’accorder le statut de réfugié politique.

Quant au fond, la demanderesse fait valoir que les membres de sa famille, ayant résidé tout comme elle-même dans la ville de Novi Pazar, auraient déjà fait à plusieurs reprises l’objet d’une « persécution psychique », ainsi qualifiée, émanant de Serbes « nationalistes » en raison de leur appartenance à la religion musulmane. Elle ajoute que son mari, Monsieur Faik HUKIC, aurait été enlevé dans la nuit du 15 au 16 mars 1999 par des réservistes serbes pour servir dans l’armée et pour participer au conflit du Kosovo et qu’elle resterait sans nouvelles de sa part depuis son enlèvement. Elle affirme avoir pris la fuite avec ses enfants suite à ces événements, étant donné qu’elle aurait eu des craintes justifiées d’atteintes à sa propre vie et à celles de ses enfants.

La demanderesse expose encore qu’une demande d’asile devrait être appréciée en tenant compte non seulement de la situation au jour de la fuite du pays d’origine, mais également du danger sérieux pour sa personne et celle de ses enfants en cas d’un retour éventuel à l’heure actuelle. Etant donné que la population musulmane à Novi Pazar continuerait de subir des discriminations de la part des Serbes et que la récente évolution politique ne résoudrait pas du jour au lendemain le conflit interethnique secouant les Balkans depuis une décennie, elle conclut avoir établi des craintes justifiées de persécutions en raison de sa religion ainsi que du climat d’insécurité en cas de retour dans son pays d’origine.

Le délégué du Gouvernement rétorque que la demanderesse aurait confirmé ne pas avoir été membre d’un parti politique, qu’elle aurait admis s’être enfuie à cause de la guerre et en raison des problèmes économiques au Monténégro et ne pas avoir subi personnellement des persécutions. Le représentant étatique ajoute que la peur des Serbes et la référence à la situation générale existant en Yougoslavie ne sauraient suffire pour obliger le ministre à entreprendre un examen au fond de la demande d’asile en cause.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement (…) ».

3 En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

En l’espèce, il est certes constant à partir des déclarations de la demanderesse telles que renseignées au procès-verbal d’audition du 7 septembre 1999 qu’elle ne poursuivait personnellement aucune activité politique dans son pays d’origine, qu’elle a déclaré ne pas avoir subi de persécutions personnelles et qu’elle a justifié sa fuite par les préoccupations suivantes : « J’ai dû sauver mes enfants devant la guerre. Maintenant je ne peux plus nourrir mes enfants vu qu’il y a des problèmes économiques au Monténégro. En plus j’ignore où est mon mari ». Force est cependant de relever qu’elle a également précisé lors de son audition avoir peur « des Serbes » en indiquant qu’ « ils m’ont enlevé mon mari », et qu’à travers son recours gracieux introduit par courrier de son mandataire du 2 mars 2001, elle a apporté des précisions complémentaires à cet égard en indiquant au ministre que son mari aurait été enlevé par des réservistes serbes et que depuis elle serait restée sans nouvelles de sa part.

Il appert de l’examen de l’ensemble des faits et motifs ainsi invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande d’asile que celle-ci fait état avant tout d’une crainte de persécution du fait de son appartenance à la minorité musulmane et de l’enlèvement de son mari, ayant provoqué une crainte pour sa propre vie et celle de ses enfants, et qu’elle allègue partant des faits et raisons personnelles suffisamment précis pour tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Il se dégage des considérations qui précèdent que c’est à tort que le ministre de la Justice a déclaré la demande introduite par Madame HUKIC-… comme étant manifestement infondée. Il y a partant lieu d’annuler les décisions ministérielles déférées et de renvoyer le dossier au ministre de la Justice afin qu’il puisse procéder à une instruction de la demande de Madame HUKIC-… quant au fond.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme dans la mesure des moyens d’annulation présentés, au fond le déclare justifié, partant annule les décisions ministérielles critiquées des 14 novembre 2000 et 14 mars 2001, condamne l’Etat aux frais.

4 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 mai 2001 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13278
Date de la décision : 09/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-09;13278 ?

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