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07/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12607

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mai 2001, 12607


Numéro 12607 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 7 mai 2001 Recours formé par Monsieur … SUKURICA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12607 du rôle, déposée le 13 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Jos STOFFEL, avocat à la Cour, assisté

de Maître Sylvain L’HOTE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats...

Numéro 12607 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 7 mai 2001 Recours formé par Monsieur … SUKURICA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12607 du rôle, déposée le 13 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Jos STOFFEL, avocat à la Cour, assisté de Maître Sylvain L’HOTE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SUKURICA, né le … à Novi Pazar (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 août 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 10 novembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sylvain L’HOTE et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 mars 2001.

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Le 8 juillet 1999, Monsieur … SUKURICA, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur SUKURICA fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur SUKURICA fut entendu en date du 9 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur SUKURICA, par lettre du 21 août 2000, notifiée en date du 26 septembre 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« (…) Il résulte de vos déclarations qu'en date du 7 juin 1999 vous êtes parti en autostop de Sarajevo. Vous affirmez être arrivé à Luxembourg en date du 8 juillet 1999, après avoir traversé selon vos dires la Croatie, la Slovénie, l'Autriche et l'Allemagne.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié en date du 8 juillet 1999.

En date du 8 juillet 1999, vous avez déclaré avoir déserté de l’armée yougoslave.

Par contre, lors de l'audition du 9 juillet 1999, vous admettez que tel n'est pas le cas.

Vous dites à présent que vous n'auriez pas suivi un appel en 1992. Un nouvel appel vous aurait été adressé en 1995, appel que vous n'auriez pas non plus suivi. Un autre appel aurait été effectué le 15 mars 1999, et un dernier appel aurait été effectué en votre absence en juin 1999.

Vous tentez d'expliquer votre refus de faire le service militaire en soulevant que vous risqueriez d'être tué, en vous rapportant à des récits de soldats musulmans qui auraient combattu lors du conflit armé en Bosnie.

Vous déclarez ne pas vouloir retourner en Yougoslavie, alors que vous craindriez une sanction pénale en raison de votre insoumission.

Vous dites enfin ne pas vous intéresser à la politique.

Je tiens à préciser que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, à savoir une persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques.

2 Concernant votre crainte d'une éventuelle sanction pénale en raison de l'insoumission, il y a lieu de relever que des poursuites pénales ne peuvent pas être considérées en tant que telles comme une persécution au sens de la prédite Convention.

De même, vous n'avez jamais fait l'objet d'une quelconque persécution du fait d'activités politiques.

Par ailleurs, eu égard à la paix qui règne actuellement dans votre région, vous ne serez pas contraint de participer à des actions militaires dans lesquelles vous risqueriez de perdre votre vie.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (..) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur SUKURICA suivant courrier du 24 octobre 2000 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 10 novembre 2000.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 21 août et 10 novembre 2000, Monsieur SUKURICA a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation par requête déposée le 13 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire de Novi Pazar et faire partie de la population de confession musulmane, laquelle aurait subi « d’atroces exactions de la part des autorités serbes du fait de leur religion ». Il soutient que la situation actuelle en Yougoslavie serait instable et qu’ « aucune certitude quant à un retour définitif à la démocratie et à la paix ne peut être donnée », de même que la coexistence forcée de populations d’origines ethniques, culturelles et religieuses différentes hypothéquerait un retour vers une situation de stabilité. Le demandeur fait ensuite valoir que, si la situation générale ainsi décrite ne justifierait pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié politique, elle devrait néanmoins être rapprochée de sa situation particulière « pour rendre une décision cohérente ». Le demandeur se fonde encore sur son insoumission suite à plusieurs appels pour effectuer le service militaire entre 1992 et 1999 au motif qu’il aurait refusé de prendre les armes contre des populations de même confession et de même origine ethnique et il estime qu’il risquerait de subir une peine de prison de ce chef. Il invoque pareillement son activité politique au sein d’un parti démocratique opposé au régime alors en place, laquelle aurait eu pour conséquence des harcèlements, des intimidations et des menaces de la part des autorités serbes de nature à lui faire légitimement craindre pour sa vie.

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 9 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre du recours gracieux et au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur SUKURICA n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées 4 du chef d’insoumission, ainsi que des lois d’amnistie votées tant par le parlement du Monténégro que, plus récemment, par le parlement yougoslave visant toutes les deux les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que les condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Quant à sa prétendue activité politique, le demandeur a déclaré lors de son audition ne pas avoir été membre d’un parti politique parce que « la politique ne m’intéresse pas », tandis qu’il a fait expliquer à travers le recours gracieux formé en son nom qu’il n’avait pas fait état de son appartenance à un parti politique démocratique « au seul motif qu’il n’était pas en possession de pièces permettant de prouver ce qu’il affirme » tout en versant à titre de preuve un certificat d’affiliation du parti en cause. Abstraction même faite de la contradiction ainsi relevée, le demandeur reste en défaut de faire état, au-delà de son affiliation à ce parti, d’éléments concrets suffisants relatifs à l’envergure de son activité politique réelle et des harcèlements, intimidations et menaces qui en auraient été la conséquence, de sorte qu’il n’établit pas à suffisance de droit une persécution ou un risque de persécution de ce chef.

Enfin, les craintes de persécutions en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane du demandeur et de la situation politique générale dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 mai 2001 par:

M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

5 s. SCHMIT s. CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12607
Date de la décision : 07/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-07;12607 ?

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