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07/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12590

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mai 2001, 12590


Tribunal administratif N° 12590 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2000 Audience publique du 7 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12590 et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoc

ats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationali...

Tribunal administratif N° 12590 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2000 Audience publique du 7 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12590 et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 18 août 2000, notifiée le 27 septembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 8 novembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 26 février 2001 au nom du demandeur;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 1er septembre 1999, Monsieur … SABOTIC, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur SABOTIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 7 septembre 1999, Monsieur SABOTIC fut en outre entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 18 août 2000, notifiée le 27 septembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur SABOTIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez transité à travers la Bosnie, la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France pour arriver au Luxembourg le 1er septembre 1999 vers 7.00 heures.

Vous exposez ne pas avoir fait votre service militaire. Vous seriez parti avant la réception d’une convocation. Vous auriez reçu une convocation après votre départ. Votre mère aurait été informée que vous seriez considéré comme déserteur et traduit devant le tribunal militaire au cas où vous ne vous présenteriez pas dans les 24 heures.

Vous expliquez que beaucoup de membres de minorités, faisant leur service militaire, ne reviendraient jamais. Milosevic préparerait l’armée yougoslave pour combattre la police monténégrine.

Vous auriez entendu que vous risqueriez une peine d’emprisonnement de deux ou trois ans, en raison de votre refus de vous présenter à l’armée.

Vous invoquez que votre peur serait liée à votre religion, ainsi qu’à votre groupe national.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de votre religion et de votre groupe national. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. ».

2 Par lettre datée du 26 octobre 2000, Monsieur SABOTIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 18 août 2000.

Par décision du 8 novembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 11 décembre 2000, Monsieur SABOTIC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 18 août et 8 novembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et, plus particulièrement de la ville de Bérane, qu’il est de religion musulmane, qu’au mois d’août 1999, il a quitté son pays d’origine par crainte des autorités yougoslaves en place, qui discrimineraient les personnes d’origine musulmane. Il ajoute que, pour des raisons de conscience, il aurait refusé de participer à la guerre au Kosovo et, de ce fait, il serait considéré comme insoumis et risquerait une condamnation pénale disproportionnée - pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison - par rapport à la gravité de son infraction. Le demandeur expose encore qu’il existerait toujours des tensions entre les autorités serbes et monténégrines et qu’il risquerait toujours d’être enrôlé à l’armée yougoslave et de devoir participer à un conflit imminent entre les Serbes et les Monténégrins.

En droit, il conclut à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits, en reprochant, en substance, au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits et circonstances prérelatés qui justifieraient une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur, tout en développant plus amplement ses moyens et arguments, demande au tribunal « si par impossible le Tribunal estime qu’il ne dispose pas des éléments nécessaires pour toiser la demande d’asile du requérant » d’ordonner « une expertise par la nomination d’une organisation non-gouvernementale ayant pour objet d’examiner et de dresser un rapport détaillé quant aux traitements réservés aux déserteurs respectivement aux insoumis ayant quitté le pays pendant la proclamation de l’état de guerre ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur SABOTIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social 3 ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur SABOTIC.

En l’espèce, sur base des éléments du dossier et sans qu’il soit nécessaire de recourir à des vérifications ou mesures d’instructions supplémentaires - telle que celle suggérée par le demandeur -, l’examen des déclarations faites par Monsieur SABOTIC lors de son audition en date du 7 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le tribunal constate que le demandeur invoque en premier lieu une crainte de persécution en raison de son appartenance ethnique et de sa religion musulmane, au motif que les musulmans seraient discriminés par les autorités en place en Yougoslavie.

Or, une telle crainte s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, car insuffisant pour démontrer que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de sa religion musulmane ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé.

Concernant le deuxième motif de persécution allégué, à savoir l’insoumission de Monsieur SABOTIC, il convient de relever que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur SABOTIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des 4 raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas à suffisance de droit, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 7 mai 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12590
Date de la décision : 07/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-07;12590 ?

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