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07/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12546

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mai 2001, 12546


Tribunal administratif N° 12546 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 décembre 2000 Audience publique du 7 mai 2001

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Recours formé par les époux … et … CIKOTIC-… contre deux décisions du ministre de la justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12546 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2000 par Maître Martine SCHAEFFER, avocat à la Cour, assistée de M

aître Gilles DORNSEIFFER, avocat, tous les deux étant inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb...

Tribunal administratif N° 12546 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 décembre 2000 Audience publique du 7 mai 2001

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Recours formé par les époux … et … CIKOTIC-… contre deux décisions du ministre de la justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12546 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2000 par Maître Martine SCHAEFFER, avocat à la Cour, assistée de Maître Gilles DORNSEIFFER, avocat, tous les deux étant inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … et … CIKOTIC-…, nés respectivement les … et … à Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 novembre 2000 et subsidiairement à la réformation d’une décision du même ministre du 11 juillet 2000, par lesquelles il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu la lettre du bâtonnier de l’Ordre des avocats à Luxembourg, dont une copie a été déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2001, dont il ressort que les époux CIKOTIC-… bénéficient de l’assistance judiciaire ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Gilles DORNSEIFFER et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 21 décembre 1998, Monsieur … CIKOTIC et son épouse, Madame … …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux CIKOTIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 23 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 11 juillet 2000, notifiée le 14 septembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux CIKOTIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations qu’en date du 29 mars 1998 vous êtes venus légalement au Luxembourg au moyen d’un Visa Schengen.

Vous relevez avoir voyagé en bus jusqu’à Francfort, où votre frère, respectivement votre beau-frère, habitant au Luxembourg, est venu vous chercher et vous a ensuite conduits jusqu’au Grand-Duché. N’ayant pas demandé d’asile politique au moment de votre arrivée au Luxembourg, vous le demandez cependant en décembre 1998 au motif que la situation dans votre pays s’est aggravée.

Vous, Monsieur, vous déclarez avoir accompli votre service militaire en 1971/1973 en Serbie et avoir eu le grade de sergent. Ayant fait partie de la réserve de la police depuis 1975 et ayant dû assister aux préparatifs de la guerre et aux entraînements physiques y correspondant, vous relevez avoir été appelé à la réserve le 15 septembre 1998, date à laquelle vous étiez déjà au Luxembourg. Vous précisez avoir été persuadé d’être appelé à la réserve et avoir ainsi préféré prendre la fuite avant. En effet, vous ne voulez ni tuer ni être tué, de plus vous vous sentez trop vieux pour aller à la guerre. Vous exposez qu’en cas de retour dans votre pays vous craignez une sanction sévère en raison de votre insoumission et ceci d’autant plus que vous faisiez partie de la réserve de la police. Vous ajoutez que votre femme était malade et que c’est aussi en raison de cette maladie que vous avez demandé un visa pour le Luxembourg. De plus vous avez eu peur de la guerre.

Vous relevez d’autre part avoir peur de la situation actuelle régnant dans votre pays, ainsi que de M. Milosévic, en précisant que cette peur serait liée à votre confession musulmane, ainsi qu’à votre insoumission. Personnellement, vous déclarez avoir subi des mauvais traitements psychiques; ainsi en tant que Musulman on vous aurait souvent demandé de quitter le pays.

De votre côté, Madame, vous affirmez avoir quitté votre pays à cause de la guerre et à cause de votre maladie au dos. Vous précisez que les médicaments manquent dans votre pays et que vous n’avez pas eu les soins nécessaires. Vous faites également état d’une peur générale à l’encontre de M. Milosévic, peur qui serait d’ailleurs liée à votre confession musulmane.

Vous n’alléguez pas d’autres faits.

Concernant votre premier motif, à savoir la crainte d’une éventuelle sanction pénale en raison de l’insoumission, il est nécessaire de relever que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d‘asile une crainte justifiée.

2 Par ailleurs, le fait d’avoir invoqué une peur générale à l’encontre de la situation générale, de M. Milosévic, ainsi qu’une peur de la guerre, n’est pas de nature à justifier une persécution au sens de la Convention de Genève, En effet, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énumérés par la Convention de Genève.

Quant à votre peur en raison de votre confession musulmane, il y a lieu de noter qu’il n’est pas établi que la situation serait telle que tout Musulman du Monténégro, du seul fait de sa confession, aurait raison de craindre des persécutions.

Dans ces circonstances je considère que vous ne faites pas état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre pays d’origine.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre du 13 octobre 2000, réceptionnée le 16 octobre 2000 par le ministère de la Justice, les époux CIKOTIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 11 juillet 2000.

Par décision du 8 novembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 5 décembre 2000, les époux CIKOTIC-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 8 novembre 2000 et subsidiairement à la réformation de la décision du même ministre, également précitée, du 11 juillet 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable en ce qu’il a été dirigé contre les deux décisions ministérielles précitées des 11 juillet et 8 novembre 2000, étant donné qu’il est indifférent de savoir que le recours a été dirigé à titre principal contre la décision précitée du 8 novembre 2000 et à titre subsidiaire contre celle du 11 juillet 2000, puisqu’il ne s’agit en réalité que d’une seule décision, en ce que celle du 8 novembre 2000 n’a fait que confirmer purement et simplement celle antérieure du 11 juillet 2000.

A l’appui de leur recours, les époux CIKOTIC-… exposent être de confession musulmane et être originaire du Monténégro, et plus particulièrement de Rozaje se 3 trouvant « immédiatement à la frontière avec le Kosovo », où la situation ne serait pas encore « revenue à la normale », et où il existerait beaucoup de personnes d’origine albanaise souhaitant rentrer au Kosovo.

Ils soutiennent avoir quitté leur pays d’origine en raison de la situation générale existant dans la région dont ils seraient originaires, où des groupes de personnes et des milices, qui se seraient formés « des restes de l’armée yougoslave » terroriseraient quotidiennement la population locale en commettant des vols et en s’attaquant aux maisons et en persécutant les personnes qui n’auraient pas répondu à l’appel d’enrôlement, ces dernières étant considérées comme constituant des traîtres et de ce que « les forces armées internationales déployées au Kosovo » n’auraient pas encore réussi à faire cesser ces actes de violence et de persécutions. Cette situation politique tendue serait encore accentuée du fait de la cohabitation d’une « forte minorité d’habitants albanais » avec la population monténégrine.

Ils font encore valoir qu’ils auraient quitté le Monténégro afin d’échapper à l’enrôlement forcé de Monsieur CIKOTIC à la réserve de l’armée fédérale yougoslave, à la suite d’une convocation qui lui aurait été envoyée pour rejoindre l’infanterie. Ils soutiennent par ailleurs, dans ce contexte, que Monsieur CIKOTIC risquerait des poursuites judiciaires en raison de ladite insoumission, d’autant plus qu’une convocation lui aurait été envoyée par « un certain Juge D. Dasic » en date du 15 septembre 1998 afin de se présenter au tribunal de Bérane le 25 septembre de la même année, dans le cadre d’une affaire pénale dirigée contre lui du chef de « non réponse à l’appel militaire en vertu de l’article 214 de la loi pénale yougoslave ».

Enfin, Madame … expose vouloir rester au Luxembourg, en invoquant deux hospitalisations dans un délai de huit mois, motivées par des opérations au dos qu’elle aurait dû subir d’urgence, en exposant qu’elle se trouverait actuellement en rééducation.

Sur ce, ils estiment qu’ils feraient valoir des craintes justifiées de persécution en raison des trois raisons précitées et ils demandent à se voir reconnaître le statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux CIKOTIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. -

4 Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm.

1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux CIKOTIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux CIKOTIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 23 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécuté dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur CIKOTIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur CIKOTIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Ensuite, concernant la crainte générale des demandeurs, non autrement circonstanciée, de voir commettre des actes de violence à leur encontre, du fait de l’existence de groupes de personnes et de milices qui se seraient formés à partir de l’armée fédérale yougoslave, qui terroriseraient la population locale, du fait de vols commis par des ressortissants albanais du Kosovo et du fait de la situation tendue existant entre la population monténégrine et une minorité d’habitants albanais dans le village de 5 Rozaje, il échet de constater que les allégations très vagues des demandeurs y afférentes, auxquelles s’ajoute l’information suivant laquelle les « forces armées internationales déployées au Kosovo » n’auraient pas réussi à faire cesser lesdits actes de violence « et de persécution », constituent, en substance, l’expression d’un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, en ce qui concerne les problèmes de santé de Madame …, aussi tragiques qu’ils puissent être, ils ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, étant donné que ni les problèmes de santé en question ni encore la qualité des soins que peuvent assurer les médecins dans son pays d’origine ne sont de nature à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire ;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation ;

le déclare également recevable en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 7 mai 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12546
Date de la décision : 07/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-07;12546 ?

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