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07/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12373

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mai 2001, 12373


Tribunal administratif N° 12373 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 octobre 2000 Audience publique du 7 mai 2001

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Recours formé par les époux …- MOUATOVIC et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12373 et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2000 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour,

assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à ...

Tribunal administratif N° 12373 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 octobre 2000 Audience publique du 7 mai 2001

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Recours formé par les époux …- MOUATOVIC et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12373 et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2000 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom des époux … MURATOVIC, né le … à Trpezi (Monténégro/Yougoslavie), et …, née le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), tous les deux de nationalité yougoslave, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … , né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement ensemble à L-… , tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 7 juillet 2000, notifiée en date du 7 août 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 décembre pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport ainsi que Maître Frank WIES et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 mars 2001.

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Le 18 mai 1998, les époux … , agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … , tous préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Les époux MURATOVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 2 février 1999 les époux MURATOVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 7 juillet 2000, notifiée le 7 août 2000, le ministre de la Justice informa les époux MURATOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans leur chef.

Le recours gracieux que les époux MURATOVIC-… ont fait introduire par courrier de leur mandataire datant du 6 septembre 2000 à l’encontre de la décision ministérielle précitée s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 8 septembre 2000, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 7 juillet 2000 par requête déposée en date du 9 octobre 2000.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Monténégro et de religion musulmane, qu’ils auraient quitté leur pays d’origine, à savoir le Monténégro, pour se réfugier d’abord au Kosovo et que cette fuite aurait été motivée par le fait que Monsieur MURATOVIC aurait fait l’objet de harcèlements, de chicaneries et d’arrestations de la part de la police en raison de ses activités politiques au sein du parti SDA, que son oncle Hakia MURATOVIC aurait été président dudit parti jusqu’à son 2 interdiction et que Monsieur MURATOVIC aurait été arrêté à plusieurs reprises et interrogé pendant de longues heures, interrogatoires au cours desquels il aurait également été maltraité.

Ils relèvent plus particulièrement qu’immédiatement après leur fuite, Monsieur MURATOVIC aurait été activement recherché par la police au Monténégro et qu’au moment de l’accroissement des activités et exactions des forces policières et de l'armée serbe au Kosovo au début de l'année 1998, ils auraient été forcés de s’enfuire de la Yougoslavie de manière à arriver au Luxembourg en date du 18 mai 1998.

Les demandeurs soutiennent plus particulièrement qu’en cas de retour au Monténégro, ils risqueraient d’être sujet à de nombreuses discriminations par les autorités serbes, tant fédérales que monténégrines, qui y feraient régner un régime de ségrégation à l’encontre de la minorité ethnique des bochniaques à laquelle ils appartiendraient et qui présente la particularité d’être de confession musulmane tout en parlant le serbo-croate. Ils relèvent par ailleurs que les anciens dirigeants du parti SDA auraient pratiquement tous quitté le Monténégro en raison des persécutions systématiques dont ils auraient fait l’objet.

Ils font valoir que leur crainte de persécution en cas de retour dans leur pays d’origine serait encore accrue du fait que Monsieur MURATOVIC aurait été convoqué à deux reprises à la réserve de l’armée yougoslave et que dès lors, en cas de retour, il serait considéré comme déserteur ce qui l’exposerait à un risque imminent d’une arrestation et d’une lourde condamnation de ce chef.

Les demandeurs reprochent d’abord à la décision ministérielle déférée d’être intervenue en violation de leurs droits de la défense en faisant valoir que le procès verbal de leur audition datant du 2 février 1999 contiendrait des indications inexactes, voire incomplètes au sujet des activités politiques de Monsieur MURATOVIC en ce que d’abord il n’y serait pas précisé que Monsieur MURATOVIC aurait rectifié une erreur matérielle au niveau de l’attestation par lui versée au dossier et établie par le parti SDA aux termes de laquelle il serait devenu membre dudit parti en 1996, alors qu’en réalité le mois de mai 1996 représenterait la fin de son affiliation audit parti. Ensuite, ce serait à tort que ledit procès verbal indiquerait que Monsieur MURATOVIC aurait revêtu la qualité d’un simple membre au sein du parti SDA, étant donné qu’il aurait été vice-président et secrétaire de la section Trpezi/Bérane et qu’il se serait occupé plus particulièrement de la section des jeunes membres du parti, de manière à y avoir joué un rôle actif.

Les demandeurs en déduisent que le ministre de la Justice n’aurait pas été en possession de l’ensemble des éléments pertinents du dossier au moment de la prise de la décision déférée du 7 juillet 2000 et que, rendu attentif aux erreurs et imperfections contenues dans le rapport d’audition ainsi qu’à la survenance de faits nouveaux depuis son audition à travers le recours gracieux par eux introduit en date du 6 septembre 2000, ce serait encore à tort que le ministre aurait confirmé purement et simplement sa décision de refus initiale en date du 8 septembre 2000, soit le lendemain de la réception dudit recours gracieux, étant donné que la célérité de cette décision confirmative démontrerait que l’instruction du dossier aurait été faite en violation de leurs droits de la défense.

Il est constant à partir des pièces versées au dossier que le caractère erroné, voire incomplet du procès verbal d’audition invoqué par les demandeurs à l’appui de leur 3 recours a été relevé et complété de manière exhaustive dans le cadre du recours gracieux des demandeurs, introduit par courrier de leur mandataire datant du 6 septembre 2000, de sorte que le moyen des demandeurs tenant au fait que le ministre aurait statué sur un dossier incomplet est à écarter comme n’étant pas fondé. En effet, même si le ministre a confirmé sa décision initiale du 7 juillet 2000 un jour seulement après avoir reçu ledit recours gracieux, il est clairement précisé dans la décision confirmative datant du 8 septembre 2000 qu’elle est intervenue après réexamen du dossier et par référence audit recours gracieux, de sorte qu’aucune violation des droits de la défense des demandeurs ne saurait être retenue à cet égard.

Quant au fond, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice qu’il aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que les faits par eux exposés ne seraient pas de nature à justifier une crainte avec raison de faire l’objet de persécutions dans leur pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux MURATOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux MURATOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 2 février 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus respectifs figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur 4 nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant d’abord le moyen du demandeur basé sur son appartenance et son activité au sein du parti SDA, force est de constater que même si les activités dans un parti d’opposition ayant poursuivi l’autonomie du Monténégro étaient le cas échéant susceptibles de justifier des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, il n’en reste pas moins que les demandeurs restent en l’espèce en défaut, au-delà de la simple affirmation que Monsieur MURATOVIC avait joué un rôle actif au sein dudit parti politique, d’établir avec toute la précision requise en quoi consistait cette activité et dans quelle mesure une crainte de persécution actuelle afférente subsisterait encore dans leur chef, de sorte que ce moyen des demandeurs laisse d’être fondé.

Concernant ensuite l’insoumission invoquée de Monsieur MURATOVIC, force est encore de constater qu’elle n’est pas, en elle même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef de Monsieur MURATOVIC, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur MURATOVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe.

Il ressort de l’ensemble des développements qui précèdent que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

5 au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 mai 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12373
Date de la décision : 07/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-07;12373 ?

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