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03/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12618

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 mai 2001, 12618


Tribunal administratif N° 12 618 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 décembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … BRALIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12618 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2000 par Maître Luc REDING, avocat à la Cour,

assisté de Maître Marc Harpes, avocat, les deux demeurant à Luxembourg et inscrits au tableau de l’O...

Tribunal administratif N° 12 618 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 décembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … BRALIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12618 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2000 par Maître Luc REDING, avocat à la Cour, assisté de Maître Marc Harpes, avocat, les deux demeurant à Luxembourg et inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BRALIC, né le … , à Rozaje, Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 30 juin 2000, notifiée le 25 septembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux le 10 novembre 2000, notifiée au conseil du requérant le 15 novembre 2000 ; les deux décisions refusant de faire droit à la demande de … BRALIC en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Luc REDING, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 29 juin 1999, Monsieur Monsieur … BRALIC, né le… , à Rozaje, Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , a introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Le 6 décembre 1999, Monsieur BRALIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

1 Par décision du 30 juin 2000, notifiée le 25 septembre 2000, le ministre de la Justice informa le requérant de ce que sa demande avait été rejetée.

Cette décision est motivée comme suit : “ . . . Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Marsala Tita/Rozaje en juin 1999 afin de vous rendre à Ulcinj où vous avez traversé la mer adriatique en bateau.

En Italie vous auriez été accueilli par la police italienne qui vous aurait placé dans un camp de réfugiés. Vous auriez quitté ce camp le 25 juin, date à laquelle un passeur italien vous aurait emmené au Luxembourg. Vous seriez arrivé le 27 juin 1999. Selon vos dires le passeur aurait contacté votre sœur qui réside au Luxembourg et vous aurait ensuite conduit à son appartement. Vous auriez payé 120 DEM pour ce trajet.

Lors de votre audition vous avez exposé que vous avez quitté votre pays parce que vous aviez peur d’être enrôlé de force dans l’armée. Vous affirmez avoir refusé deux convocations pour faire votre service militaire, convocations qui vous auraient été transmises par courrier en décembre 1998. Selon vos déclarations, la police militaire serait ensuite venue vous chercher à la maison en janvier ou en février 1999. Vous auriez cependant réussi à vous enfuir parce que votre oncle qui se trouvait à quelques kilomètres de votre village aurait pu vous prévenir par téléphone mobile de l’arrivée du convoi des policiers militaires serbes. Vous affirmez ensuite que vous avez quitté votre pays deux ou trois jours après cet incident pour venir au Luxembourg. Lorsque l’agent du ministère de la Justice vous a interrogé sur le fait que vous êtes arrivé au Luxembourg fin juin alors que vous affirmez avoir quitté votre pays en janvier ou février, vous déclarez que vous vous êtes trompé et que l’arrivée de la police militaire correspondait plutôt à une date ultérieure, notamment mi-juin.

Vous ajoutez que vous ne vouliez pas être envoyé à la guerre au Kosovo. Lorsque l’agent du ministère de la Justice vous a informé qu’à cette date la guerre du Kosovo était déjà terminée, vous dites que vous auriez quand même dû aller au Kosovo.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, votre récit ainsi que les circonstances exactes de votre départ soulèvent des problèmes sérieux quant à leur crédibilité.

En outre, vous affirmez être venu au Luxembourg pour des raisons essentiellement économiques. Vous déclarez ne pas avoir d’argent, ni de travail au Monténégro et de vouloir rester au Luxembourg pour toujours. Selon vos dires, la situation au Montenégro « n’est pas bonne « étant donné que les magasins et les cafés ferment très tôt à cause des contrôles policiers. Vous précisez que vous êtes venu au Luxembourg parce que beaucoup de Yougoslaves, qui passaient leurs vacances au Monténégro, vous ont raconté que le Luxembourg était « un beau petit pays ».

Vous avez par ailleurs affirmé ne jamais avoir été membre d’un parti politique et vous ne faites pas état de persécutions à l’égard de votre personne.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons invoquées par la Convention de Genève.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par requête déposée le 14 décembre 2000, … BRALIC a introduit un recours tendant à la réformation de la décision précitée du 30 juin 2000 notifiée le 25 septembre 2000 et de la décision confirmative sur recours gracieux rendue le 10 novembre 2000 et notifiée au mandataire du requérant le 15 novembre 2000.

Ce tribunal étant compétent, en vertu des dispositions de l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, pour statuer en tant que juge du fond en la matière, le recours en réformation, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Le demandeur entend diriger son recours principalement contre la décision rendue le 10 novembre 2000 qu’il critique pour absence de motivation.

A titre subsidiaire, il attaque la décision du 30 juin 2000 et fait valoir que sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique serait justifiée en ce qu’il remplirait les conditions prévues par la Convention de Genève.

Il expose à cet effet qu’il aurait quitté son pays d’origine pour se soustraire à l’appel à l’armée yougoslave pour des raisons de conscience, étant de religion musulmane.

Il craint actuellement qu’un rapatriement forcé ne l’expose à des peines disproportionnées pour fait de désertion qui serait susceptible d’être interprété par les autorités yougoslaves comme la manifestation d’une opinion politique.

Il soutient encore que le refus du statut de réfugié politique équivaudrait à une expulsion du Luxembourg qui serait contraire à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950.

Il fait état de liens familiaux au Luxembourg du fait que sa sœur y habite depuis quelques années.

Il estime que les décisions administratives attaquées porteraient atteinte à son droit à la protection de la vie privée et familiale consacrée par la Convention des droits de l’homme.

… BRALIC demande finalement que son recours soit assorti du bénéfice de l’effet suspensif.

Le délégué du gouvernement rétorque que les décisions administratives attaquées renseignent les motifs du refus du ministre de la Justice d’octroyer à … BRALIC le statut de réfugié politique.

Au fond il soutient que le ministre a fait une saine appréciation de la situation de Monsieur BRALIC et conclut au rejet du recours.

3 En ce qui concerne la motivation de la décision attaquée du 10 novembre 2000, le tribunal constate que, dans sa décision susénoncée du 30 juin 2000, le ministre de la Justice a indiqué de façon détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus.

Le fait que la décision de rejet du recours gracieux du 10 novembre 2000 se limite à confirmer purement et simplement la décision initiale implique que cette deuxième décision se base sur les mêmes dispositions légales et réglementaires ainsi que sur les mêmes motifs que ceux sur lesquels est basée la décision initiale.

Cette dernière décision est partant motivée et il y a lieu d’en analyser le bien-fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen à faire par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il doit apprécier également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par … BRALIC lors de son audition du 6 décembre 2000, telle que celle-ci est relatée dans le rapport figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse, et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le seul argument avancé par … BRALIC est le fait d’avoir quitté son pays d’origine par peur d’être enrôlé de force dans l’armée fédérale yougoslave. Il aurait refusé deux convocations de se présenter au service militaire et se serait enfui à la réception de la nouvelle de l’entrée de la police militaire serbe dans son village.

… BRALIC ne fournit pas de date exacte de son départ. Il est cependant formel que la raison de son départ était bien la peur d’être enrôlé dans l’armée.

Il craindrait actuellement d’être poursuivi et condamné du chef de désertion.

Il avance encore qu’il n’a pas l’intention de retourner dans son pays d’origine, étant donné qu’il n’y dispose ni d’argent, ni de travail.

4 L’insoumission n’est pas, en elle même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève.

Il ne ressort par ailleurs pas à suffisance de droit des éléments du dossier que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent d’être infligés à … BRALIC, ou que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son refus de l’appel à l’armée serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour l’une des causes visées par la Convention de Genève.

S’il est vrai que le requérant verse différents documents de presse et des rapports dressés par des organisations internationales qui décrivent la situation générale des réfractaires et déserteurs en Yougoslavie, il n’en reste pas moins qu’il ne produit aucun élément établissant que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Le requérant n’allègue par ailleurs aucun fait de persécution.

Au vu de ses déclarations faites devant l’agent du ministère de la Justice il a au contraire choisi de partir vers le Luxembourg essentiellement pour des raisons économiques et familiales.

Le demandeur fait encore état de ce que les décisions attaquées violeraient l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce qu’il aurait depuis un an établi son domicile au Luxembourg où sa sœur vivrait depuis quelques années et qu’un départ forcé du Luxembourg aurait pour effet de violer son droit au respect de son domicile et à l’épanouissement de sa famille.

Or, force est de constater qu’il n’appartient pas au tribunal administratif d’analyser une éventuelle atteinte portée par le ministre de la Justice au droit du demandeur d’asile au respect de sa vie privée et familiale, telle que protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans le cadre d’un litige portant sur l’exclusion du demandeur du champ d’application de la Convention de Genève. En effet, le simple fait de tomber dans le champ d’application de la disposition de droit international précitée n’autorise une personne ni à se voir inclure dans le champ d’application de la Convention de Genève, ni surtout à se voir reconnaître le statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève (trib. adm. 25 mai 2000, n° 11 717 du rôle, SULEJMANI, confirmé par arrêt du 9 novembre 2000, n° 12088C du rôle).

Si le refoulement ou l’éloignement d’un étranger d’un pays où vivent des membres proches de sa famille peut porter atteinte à son droit à la vie familiale et constituer une violation de la Convention européenne des droits de l’homme, il n’en reste pas moins que l’article 8 dudit texte garantit seulement l’exercice du droit au respect d’une vie familiale existante et ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de cette vie familiale. (Cour adm. 12 octobre 2000, n° 11959C du rôle, Fonseca MONTEIRO) 5 Les parents, oncles et tantes du requérant vivant, d’après ses indications, au Monténégro, BRALIC ne saurait se prévaloir de son droit au respect de sa vie familiale pour venir s’installer et fonder une nouvelle famille au Luxembourg.

Il découle de ce qui précède que les arguments et déclarations produits par le requérant constituent l’expression d’une peur générale de retourner dans son pays d’origine, peur qui est liée essentiellement à des inconnues politiques et économiques dans le pays d’origine, sans qu’il ne fasse état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Le recours laisse partant d’être fondé.

Le requérant demande finalement au tribunal d’ordonner l’effet suspensif du recours et de l’appel sur base de l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Or, une telle décision serait superfétatoire étant donné que l’article 13 alinéa 2 de la loi du 3 avril 1996, telle que modifiée, dispose que le recours, tout comme l’appel, en matière de demande d’obtention du statut de réfugié politique sont, en tout état de cause suspensifs.

La demande est partant à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte au requérant qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

rejette la demande en déclaration d’effet suspensif du recours et de l’appel ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 mai 2001 par :

M. Ravarani, président Mme Harles, juge-suppléant Mme Didlinger, juge-suppléant en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12618
Date de la décision : 03/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-03;12618 ?

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