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03/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12615

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 mai 2001, 12615


Tribunal administratif N° 12 615 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, in

scrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, né le …...

Tribunal administratif N° 12 615 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 12615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, né le … , à Berane, Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 juillet 2000, notifiée le 25 septembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux le 8 novembre 2000, notifiée au conseil du requérant le 15 novembre 2000 ;

les deux décisions refusant de faire droit à la demande de … SKRIJELJ en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 24 août 1998, Monsieur … SKRIJELJ, né le 6 septembre 1977, à Bérane, Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , a introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Le 30 avril 1999, Monsieur SKRIJELJ fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 26 juillet 2000, notifiée le 25 septembre 2000, le ministre de la Justice informa le requérant de ce que sa demande avait été rejetée.

1 Cette décision est motivée comme suit : “ . . . Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Yougoslavie le 1er août 1998, pour arriver au Luxembourg le 24 août 1998, vers 3.00 heures.

Vous exposez avoir commencé votre service militaire le 23 juin 1998. Vous auriez déserté le 29 juillet 1998, alors que vous auriez été stationné à Pristina.

Vous auriez dû participer à des combats entre l’armée fédérale yougoslave et les Albanais du Kosovo.

Vous expliquez ne pas vouloir faire la guerre. Vous risqueriez d’être arrêté et jugé devant le tribunal militaire. La police militaire serait venue vous chercher chez vos parents.

La guerre du Kosovo aurait été le seul motif de votre fuite.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre le conflit armé au Kosovo s’est terminé en mai 1999, de sorte que la crainte d’être obligé de participer à une guerre n’est plus justifiée.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par requête déposée le 13 décembre 2000, Rezad SKRIJELJ a introduit un recours tendant à la réformation de la décision précitée du 26 juillet 2000 notifiée le 25 septembre 2000 et confirmée sur recours gracieux le 8 novembre 2000.

Ce tribunal étant compétent, en vertu des dispositions de l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, pour statuer en tant que juge du fond en la matière, le recours en réformation, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique serait justifiée en ce qu’il remplirait les conditions prévues par la Convention de Genève.

2 Il expose à cet effet qu’il aurait quitté son pays d’origine en désertant de l’armée yougoslave pour des raisons de conscience.

Il craint actuellement qu’un rapatriement forcé ne l’expose à des peines disproportionnées pour fait de désertion qui serait susceptible d’être interprété pas les autorités yougoslaves comme la manifestation d’une opinion politique.

Cette crainte serait justifiée par le fait que la police militaire yougoslave aurait procédé à une perquisition au domicile de ses parents en vue de récupérer son arme et que son frère aurait été déporté par cette même police militaire.

Il soutient qu’une condamnation pénale militaire existerait déjà à son encontre et que de ce fait il s’exposerait à un traitement discriminatoire en raison non seulement de son attitude consistant à refuser de participer à la guerre, mais également de sa confession musulmane.

Le requérant expose encore que du point de vue politique il se serait exprimé pour l’indépendance du Monténégro et que cette attitude, ensemble avec les faits développés ci-

dessus, serait susceptible de mettre en danger son existence.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation de Monsieur SKRIJELJ et conclut au rejet du recours.

… SKRIJELJ sollicite à titre subsidiaire et pour autant que de besoin, l’institution d’une expertise par la nomination d’une organisation non-gouvernementale aux fins d’examiner et de dresser un rapport détaillé sur le traitement réservé aux déserteurs respectivement aux insoumis ayant quitté le pays pendant la proclamation de l’état de guerre.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen à faire par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il doit apprécier également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par … SKRIJELJ lors de son audition du 30 avril 1999, telle que celle-ci est relatée dans le rapport figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse, et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son 3 appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le seul argument avancé par … SKRIJELJ est le fait d’avoir déserté de l’armée yougoslave de sorte qu’il craint, en cas de retour dans son pays d’origine, d’être poursuivi et condamné du chef de désertion.

Or, l’insoumission n’est pas, en elle même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève.

Il ne ressort par ailleurs pas à suffisance de droit des éléments du dossier que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent d’être infligés à … SKRIJELJ, ou que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour l’une des causes visées par la Convention de Genève.

Le requérant soutient qu’il existerait actuellement déjà une condamnation à son encontre du chef de désertion, mais il ne verse aucune pièce permettant au tribunal d’apprécier la réalité de ses affirmations de sorte que l’argument avancé reste à l’état de pure allégation.

S’il est vrai que le requérant verse différents documents de presse et des extraits du journal « Vesti » de nature à décrire la situation générale des réfractaires et déserteurs en Yougoslavie, il n’en reste pas moins qu’il ne produit aucun élément établissant que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie, et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission ou de désertion, et de la loi d’amnistie votée par le parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, il reste notamment en défaut d’établir qu’une condamnation pour insoumission, le cas échéant encourue serait effectivement exécutée à son encontre.

Le demandeur fait finalement état du fait qu’il se serait exprimé pour l’indépendance du Monténégro pour étayer sa crainte d’être persécuté en raison de ses opinions politiques.

Or, dans son audition du 30 avril 1999, … SKRIJELJ a déclaré que la politique ne l’intéressait pas. Il a également indiqué qu’il n’était pas membre d’un parti politique de sorte que l’argumentation actuellement développée au sujet de ses opinions politiques n’est pas fondée.

Par ailleurs, la simple qualité de membre d’un parti politique ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié. (TA 20 mai 1999, 10924 Ademi) 4 Il faut encore souligner la nouvelle situation politique qui règne en République Fédérale de Yougoslavie en ce qu’un nouveau président y a été élu et un nouveau gouvernement y a été formé.

Il découle de ce qui précède que les arguments et déclarations produits par le requérant constituent l’expression d’une peur générale, sans qu’il ne fasse état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

L’offre de preuve par voie d’expertise présentée à titre subsidiaire doit, au vu de ce qui précède, être rejetée pour défaut de pertinence.

Il ne suffit en effet pas de rapporter la preuve de la situation générale des insoumis et déserteurs en Yougoslavie, sans fournir par ailleurs d’élément concernant la situation subjective spécifique du demandeur d’asile.

Le recours laisse partant d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

rejette l’offre de preuve par voie d’expertise ;

au fond déclare le recours non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 mai 2001 par :

M. Ravarani, président Mme Harles, juge-suppléant Mme Didlinger, juge-suppléant en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12615
Date de la décision : 03/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-03;12615 ?

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