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03/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12610

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 mai 2001, 12610


Tribunal administratif N° 12 610 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12610 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2000 par Maître Yann BADEN, avocat à la C

our, assisté de Maître Olivier TOTH, avocat, les deux demeurant à Luxembourg et inscrits au tableau d...

Tribunal administratif N° 12 610 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12610 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2000 par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Olivier TOTH, avocat, les deux demeurant à Luxembourg et inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AGOVIC, né le … , à Orahovo, Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation, subsidiairement à l’annulation, d’une décision du ministre de la Justice du 4 août 2000, notifiée le 15 septembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux le 22 novembre 2000; les deux décisions refusant de faire droit à la demande de … AGOVIC en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001 et le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 février 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Olivier TOTH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 12 avril 1999, Monsieur … AGOVIC, né le 17 novembre 1958, à Orahovo, Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , a introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Le 15 septembre 1999, Monsieur AGOVIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

1 Par décision du 4 août 2000, notifiée le 15 septembre 2000, le ministre de la Justice informa le requérant de ce que sa demande avait été rejetée.

Cette décision est motivée comme suit : “ . . . Vous exposez que vous êtes instituteur.

Quand vous avez été appelé à l’armée en 1993 au début de la guerre de Bosnie, vous avez déserté et vous vous êtes enfui avec votre famille en Allemagne. En 1996, vous êtes rentré en Yougoslavie, mais, en tant que déserteur, vous n’étiez plus embauché comme instituteur.

Début avril 1999, vous avez de nouveau quitté votre pays en raison de la mobilisation générale et de la mauvaise situation générale des musulmans.

Vous indiquez que vous ne voulez pas rentrer chez vous en raison de la peine que vous estimez encourir pour ne pas avoir répondu à l’appel général. L’autre raison est que la situation générale n’est pas bonne.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

En outre, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir concrètement que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention.

Il ne se dégage pas de votre récit des raisons personnelles, de nature à justifier dans votre chef, une telle crainte. Vous déclarez par contre que vous n’avez jamais été persécuté personnellement.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par requête déposée le 13 décembre 2000, … AGOVIC a introduit un recours tendant à la réformation, subsidiairement à l’annulation, de la décision précitée du 4 août 2000 notifiée le 15 septembre 2000 et contre la décision confirmative rendue sur recours gracieux le 22 novembre 2000.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées de sorte que seul un recours en réformation a pu être formé 2 contre les décisions déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, dans les formes et délais de la loi, est partant recevable.

Il résulte par ailleurs de l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision, rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre cette même décision. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Au fond, le demandeur fait valoir à l’appui de son recours que sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique serait justifiée en ce qu’il remplirait les conditions prévues par la Convention de Genève.

Il expose à cet effet qu’il serait bosniaque - musulman et qu’avant de quitter son pays d’origine, il aurait vécu dans la région du Sandzak. Il aurait été instituteur d’école primaire et il aurait fui son pays une première fois en 1994 étant donné qu’avec « l’avènement des problèmes politiques, il lui devenait impossible de continuer son travail à cause de sa nationalité et de sa religion ».

Il soutient encore qu’à son retour dans son pays d’origine en 1996, les pouvoirs publics n’étaient pas capables de garantir les droits les plus fondamentaux de chaque individu, de sorte qu’il est reparti en avril 1999, suite à un appel général à l’armée diffusé par les médias.

Il estime que les problèmes essentiellement économiques rencontrés en Yougoslavie avant son premier départ en 1994 et lors de son retour en 1996 ne sont pas liés à la situation générale du pays, mais à une persécution subtile et cachée des musulmans.

Lors de son retour dans son pays d’origine en 1996 il aurait par ailleurs subi des menaces du fait d’avoir déserté l’armée fédérale en 1993 de sorte qu’il craindrait actuellement pour son avenir en cas de retour en Yougoslavie.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation de Monsieur AGOVIC et conclut au rejet du recours.

Dans son mémoire en réplique, … AGOVIC insiste sur le fait qu’il est originaire de la région du Sandzak, où la situation des musulmans est actuellement très précaire.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen à faire par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il doit apprécier également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par … AGOVIC lors de son audition du 15 septembre 1999, telle que celle-ci est relatée dans le rapport figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse, et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le principal argument avancé par … AGOVIC est le fait d’avoir déserté de l’armée yougoslave et de s’être enfui en Allemagne, où il est resté pendant trois ans.

Il expose qu’à son retour en Yougoslavie, il n’aurait plus eu de travail et ce notamment en raison de sa religion musulmane et du fait d’avoir déserté.

Il craint actuellement, en cas de retour dans son pays d’origine, être poursuivi et condamné du chef de désertion et d’être dans l’impossibilité d’assurer l’avenir économique de sa famille.

Or, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève.

Il ne ressort par ailleurs pas à suffisance de droit des éléments du dossier que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent d’être infligés à … AGOVIC, ou que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour l’une des causes visées par la Convention de Genève.

Au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie, et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission ou de désertion, et de la loi d’amnistie votée par le parlement du Monténégro visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, il reste en défaut d’établir qu’une condamnation pour insoumission, le cas échéant encourue serait effectivement exécutée à son encontre.

Le demandeur fait encore état du fait qu’il est de religion musulmane, que la situation des musulmans serait particulièrement précaire au Sandzak et que son pays d’origine serait incapable d’assurer sa protection contre des actes de discrimination.

4 S’il est vrai que le requérant verse différents extraits de presse et des rapports dressés par des organisations internationales au sujet de la situation difficile de la population musulmane du Sandzak, il n’en reste pas moins qu’il ne produit aucun élément établissant que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Par ailleurs, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par un tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73 et suivants).

S’il est vrai que la situation des musulmans est difficile au Monténégro, elle n’est cependant pas telle que tout musulman du Monténégro, du seul fait de sa religion, aurait raison de craindre la persécution des autorités en place ou de tiers. En l’espèce, les éléments du dossier présenté par le requérant ne permettent pas d’établir qu’il risque individuellement et concrètement de subir des traitements discriminatoires en raison de sa religion musulmane ou que de tels traitements lui auraient été infligés par le passé, de sorte que la crainte y afférente qu’il exprime s’analyse en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le recours en réformation laisse partant d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond déclare le recours non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 mai 2001 par :

M. Ravarani, président Mme Harles, juge-suppléant 5 Mme Didlinger, juge-suppléant en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12610
Date de la décision : 03/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-03;12610 ?

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