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03/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12526

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 mai 2001, 12526


Tribunal administratif N° 12 526 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 novembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12526 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, né le …, à ...

Tribunal administratif N° 12 526 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 novembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12526 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, né le …, à Bérane, Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 31 juillet 2000, notifiée le 11 septembre 2000 ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux le 17 octobre 2000; les deux décisions refusant de faire droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2000 ainsi que le mémoire en réplique déposé le 15 janvier 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 10 juillet 1998, Monsieur … SKRIJELJ, né le …, à Bérane, Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, a introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Le 14 mai 1999, Monsieur SKRIJELJ fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 31 juillet 2000, notifiée le 11 septembre 2000, le ministre de la Justice informa le requérant de ce que sa demande avait été rejetée.

1 Cette décision est motivée comme suit : “ . . . Il résulte de vos déclarations que vous avez transité à travers l’Italie, l’Autriche et l’Allemagne pour arriver au Luxembourg.

Vous expliquez avoir été étudiant en criminalistique à l’Université de Belgrade pendant une durée de huit mois. Votre directeur vous aurait fait savoir en février 1998, qu’il serait impossible pour un musulman d’étudier la criminalistique.

Vous vous seriez inscrit à l’Université de Pristina en mai 1998. Le 28 ou 29 mai 1998 vous auriez été interpellé par la police du Kosovo à Kosovska Mitrovica. Le lendemain vous auriez subi un interrogatoire auprès de la police, interrogatoire pendant lequel vous auriez été menacé par un inspecteur de police.

Vous exposez avoir été appelé pour faire la réserve auprès de la police normale par le Ministère de l’Intérieur du Monténégro le 15 juin 1998. Vous auriez eu peur d’être envoyé au Kosovo.

Vous auriez peur de la peine qui vous attendrait en raison de votre désertion.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, le conflit armé au Kosovo s’est terminé en mai 1999 avec le retrait des forces de police et des troupes fédérales yougoslaves de ce territoire, de sorte que la crainte d’y être envoyé n’est plus justifiée.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par requête déposée le 29 novembre 2000, … SKRIJELJ a introduit un recours tendant à la réformation de la décision précitée du 31 juillet 1999 notifiée le 11 septembre 1999 et de la décision confirmative rendue sur recours gracieux le 17 octobre 2000.

Le tribunal administratif étant compétent, en vertu des dispositions de l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, pour statuer en tant que juge du fond en la matière, le recours en réformation, introduit dans les formes de la loi est en principe recevable.

2 Le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice pour ce qui est du respect du délai de recours imparti par la loi du 3 avril 1996.

L’article 13 du texte de loi précité dispose que le recours en réformation contre une décision du ministre de la Justice statuant sur le bien-fondé d’une demande d’asile doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision.

Or, en l’espèce, il ne résulte pas des pièces versées au dossier que la décision confirmative du 17 octobre 2000 a été notifiée au requérant et la date de cette notification n’est a fortiori pas connue.

Il n’est pas établi que le délai imparti a commencé à courir et le recours introduit le 29 novembre 2000 est partant recevable.

Au fond, le demandeur fait valoir que sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique serait justifiée en ce qu’il remplirait les conditions prévues par la Convention de Genève.

Il expose à cet effet qu’il a quitté son pays parce qu’il ne voulait pas être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves en tant que réserviste.

Son départ serait intervenu immédiatement après avoir reçu un appel à la réserve le 15 juin 1998 et à l’heure actuelle il aurait peur de rentrer dans son pays d’origine, craignant les peines susceptibles d’être prononcées contre lui pour le fait de ne pas s’être présenté pour la réserve.

Il estime que son comportement risque d’être interprété par les autorités yougoslaves comme l’expression d’une conviction politique susceptible d’entraîner des sanctions disproportionnées dans son chef.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation de Monsieur SKRIJELJ et conclut au rejet du recours.

Dans son mémoire en réplique, … SKRIJELJ s’en remet à prudence de justice pour ce qui est de la validité du pouvoir de l’autorité signataire des décisions des 31 juillet et 17 octobre 2000 ainsi que du mémoire en réplique du 13 décembre 2000.

Etant donné qu’il ne développe pas autrement son moyen et que ni les décisions attaquées, ni le mémoire du délégué du gouvernement, ne révèlent d’irrégularité du point de vue de la qualité et du pouvoir du signataire desdits actes, il y a lieu de rejeter la contestation comme non fondée.

Au fond le requérant demande qu’il soit fait droit à sa demande et sollicite à titre subsidiaire l’institution d’une expertise par la nomination d’une organisation non-

gouvernementale aux fins d’examiner et de dresser un rapport détaillé sur le traitement réservé aux déserteurs respectivement aux insoumis ayant quitté le pays pendant la proclamation de l’état de guerre.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait 3 de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen à faire par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il doit apprécier également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par … SKRIJELJ lors de son audition du 14 mai 1999, telle que celle-ci est relatée dans le rapport figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse, et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le seul argument avancé par … SKRIJELJ est le fait d’avoir fui son pays au moment de recevoir sa convocation pour la réserve de sorte qu’il craint, en cas de rapatriement forcé, être poursuivi et condamné du chef de désertion.

Or, l’insoumission n’est pas, en elle même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève.

Il ne ressort par ailleurs pas à suffisance de droit des éléments du dossier que … SKRIJELJ risquait ou risque devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour l’une des causes visées par la Convention de Genève.

S’il est vrai que le requérant verse différents articles de presse et extraits du journal « Vesti » de nature à décrire le sort de certains déserteurs de l’armée yougoslave, il n’en reste pas que les situations reproduites ne sont pas comparables à celle du requérant.

Est notamment relaté le cas de Zoran DJINDJIC qui est le leader du parti démocratique yougoslave et actuellement Premier ministre de la République serbe. Or, … SKRIJELJ, au 4 cours de la présente procédure, n’a fait état d’aucune activité politique, de sorte qu’il ne saurait craindre un traitement similaire à celui de DJINDJIC.

Le journal « Vesti » décrit encore le cas d’un certain … … et d’un certain … … , les deux ayant déserté pendant qu’ils effectuaient leur service militaire en temps de guerre. Le journaliste précise cependant dans son article que la gravité des cas relatés n’est pas comparable à une simple insoumission ou un simple défaut de réponse à appel.

Ces pièces produites par le requérant ne sauraient donc avoir de pertinence pour ce qui est de sa situation personnelle subjective spécifique et il reste partant en défaut d’établir que sa situation est telle qu’elle laisse supposer un danger sérieux pour sa personne.

Il découle de ce qui précède que les arguments et déclarations produits par le requérant constituent l’expression d’une peur générale, sans qu’il ne fasse état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

L’offre de preuve par voie d’expertise présentée à titre subsidiaire doit, au vu de ce qui précède, être déclarée irrecevable pour défaut de pertinence.

Il ne suffit en effet pas de rapporter la preuve de la situation générale des insoumis et déserteurs en Yougoslavie, sans fournir par ailleurs d’élément concernant la situation subjective spécifique du demandeur d’asile.

Le recours laisse partant d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

rejette l’offre de preuve par voie d’expertise ;

au fond déclare le recours non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 mai 2001 par :

M. Ravarani, président Mme Harles, juge-suppléant Mme Didlinger, juge-suppléant en présence de M. Legille, greffier.

5 s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12526
Date de la décision : 03/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-03;12526 ?

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