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03/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12520

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 mai 2001, 12520


Tribunal administratif N° 12520 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 novembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par les époux … BIBIC et … … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12520 et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000 par Maître Paul DIESCHBOURG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ord

re des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BIBIC, né le … à Sjenica (Serbie), et de son épouse, Mad...

Tribunal administratif N° 12520 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 novembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par les époux … BIBIC et … … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12520 et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000 par Maître Paul DIESCHBOURG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BIBIC, né le … à Sjenica (Serbie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro), agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants …,… et …, respectivement nés les …, … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 septembre 2000, notifiée le 31 octobre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Paul DIESCHBOURG, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 12 août 1998, Monsieur … BIBIC, préqualifié, et son épouse, Madame … …, préqualifiée, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants …, … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux BIBIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 21 octobre 1999, les époux BIBIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 20 septembre 2000, notifiée le 31 octobre 2000, le ministre de la Justice informa les consorts BIBIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations qu’en date du 15 juillet 1998 vous avez quitté Pec en bus pour vous rendre à Novi Pazar, où vous êtes restés environ trois nuits. Vous avez alors pris le bus pour Sjenica où vous êtes également restés environ trois nuits. Vous vous êtes rendus ensuite en bus à Sarajevo. Après un séjour de quatre jours chez votre belle-sœur respectivement sœur, vous avez rejoint Kladusa en bus. A Kladusa vous avez passé deux nuits à l’hôtel Konak, le temps de trouver un passeur. Celui-ci vous a conduits à la frontière croate que vous avez traversée à pied. Vous avez transité par la Croatie et la Slovénie pour arriver en Italie où vous avez changé de véhicule. Vous précisez que vous avez passé les frontières slovène et italienne à pied. Vous êtes arrivés au Luxembourg tôt le matin du 12 août 1998.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.

Vous, Monsieur, vous exposez que vous avez quitté votre pays parce que votre fils venait d’être convoqué pour le service militaire.

Vous déclarez par ailleurs que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas d’opinions politiques. Vous précisez que vous n’avez jamais subi des persécutions. Vous affirmez cependant que vous avez peur de retourner au Kosovo, parce que pour les musulmans la guerre n’y est pas finie. Vous prétendez que les Albanais tuent maintenant les musulmans au Kosovo et qu’ils ne supportent pas que ceux-ci ne parlent pas la langue albanaise. Vous déclarez également que les Albanais ont tout pris dans votre maison.

En ce qui vous concerne, Madame, vous confirmez les dires de votre mari auxquels vous vous ralliez.

Force est tout d’abord de constater que le conflit armé entre l’ex-Yougoslavie et le Kosovo est terminé et qu’une situation de paix s’est établie dans la région. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place afin de garantir la coexistence pacifique des différentes communautés vivant au Kosovo. Ainsi des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

En outre, il se dégage des renseignements dont je dispose, que la situation des musulmans salves au Kosovo est certes difficile, mais il n’en ressort pas que la situation 2 serait telle que tout musulman slave du Kosovo, du seul fait de sa confession ou de son appartenance à une ethnie, aurait raison de craindre la persécution au sens de la Convention de Genève.

Je mesure également à leur juste valeur les difficultés matérielles que vous devez affronter à votre retour du fait que les Albanais ont tout pris dans votre maison, mais un tel motif ne saurait fonder une demande d’asile au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 28 novembre 2000, les consorts BIBIC-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 20 septembre 2000.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de leur situation personnelle ainsi que de celle qui règne actuellement au Kosovo.

Ils estiment qu’on ne saurait soutenir qu’« une situation de paix se serait actuellement établie au Kosovo », mais qu’au contraire, les « violences meurtrières » resteraient à l’ordre du jour, malgré la présence d’une force internationale. Ils relèvent que ce seraient particulièrement les minorités vivant au Kosovo qui seraient exposés à des persécutions.

Concernant leur situation personnelle, les demandeurs soutiennent qu’un retour au Kosovo les mettrait en péril grave, qu’en raison de leur appartenance à la minorité des musulmans slaves, ils risqueraient d’être persécutés par les Albanais qui, à l’heure actuelle, 3 domineraient la région qu’ils ont habitée et que les Albanais auraient d’ailleurs pillé leur maison d’habitation.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts BIBIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux BIBIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 21 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’ils restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Force est encore de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise vis-à-vis de la minorité des musulmans slaves ou « bosniaques » du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité 4 physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, mais ils ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place encourageraient d’éventuelles exactions des Albanais du Kosovo ou ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Pour le surplus, les demandeurs restent également en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de s’installer dans une autre région ou province de la Yougoslavie, notamment au Monténégro, et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, 5 Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 3 mai 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12520
Date de la décision : 03/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-03;12520 ?

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