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03/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12519

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 mai 2001, 12519


Tribunal administratif N° 12519 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 novembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … BIBIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12519 et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000 par Maître Paul DIESCHBOURG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembou

rg, au nom de Monsieur … BIBIC, né le … à Belgrade (Serbie), de nationalité yougoslave, sans état part...

Tribunal administratif N° 12519 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 novembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par Monsieur … BIBIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12519 et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2000 par Maître Paul DIESCHBOURG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BIBIC, né le … à Belgrade (Serbie), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-

7425 …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 septembre 2000, notifiée le 31 octobre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Paul DIESCHBOURG, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 12 août 1998, Monsieur … BIBIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur BIBIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 21 octobre 1999, Monsieur BIBIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 20 septembre 2000, notifiée le 31 octobre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur BIBIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations qu’en date du 15 juillet 1998 vous avez quitté, en compagnie de votre famille, Pec en bus pour vous rendre à Novi Pazar, où vous êtes restés environ trois nuits. Vous avez alors pris le bus pour Sjenica où vous êtes également restés environ trois nuits. Vous vous êtes rendus ensuite en bus à Sarajevo. Après un séjour de quatre jours chez votre tante, vous avez rejoint Kladusa en bus. A Kladusa vous avez passé deux nuits à l’hôtel Konak, le temps pour vos parents de trouver un passeur.

Celui-ci vous a conduits à la frontière croate que vous avez traversée à pied. Vous avez transité par la Croatie et la Slovénie pour arriver en Italie où vous avez changé de véhicule.

Vous précisez que vous avez passé les frontières slovène et italienne à pied. Vous êtes arrivés au Luxembourg tôt le matin du 12 août 1998.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.

Vous exposez que vous avez reçu un appel pour le service militaire début juillet 1998.

Vous deviez vous présenter le 16 juillet 1998, mais vous avez pris la fuite la veille. Vous dites que vous avez refusé de faire votre service militaire parce que vous avez peur de la guerre.

Vous affirmez que c’est votre père qui a pris la décision de partir.

Il résulte également de vos déclarations que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas d’opinions politiques. Vous affirmez par ailleurs que vous n’avez jamais subi de persécution. Vous soulignez que vous ne voulez pas retourner dans votre pays parce que les musulmans n’y ont aucun droit. Vous prétendez avoir peur des Albanais qui pourraient vous reprocher d’avoir fréquenté l’école serbe où vous avez appris le serbo-croate et non l’albanais.

Concernant le fait de vous être soustrait au service militaire, je souligne que l’insoumission n’est pas en elle-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève. J’ajoute dans ce contexte que l’armée fédérale yougoslave, les rangs de laquelle vous auriez dû rejoindre, a quitté le territoire du Kosovo, de sorte que vous ne risquez plus une sanction de sa part.

Concernant le statut particulier des musulmans slaves du Kosovo, je souligne qu’à la fin du conflit armé au Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place afin de garantir la coexistence pacifique des différentes communautés vivant au Kosovo. Ainsi des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République 2 Yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

En outre, il se dégage des renseignements dont je dispose, qua la situation des musulmans slaves au Kosovo est certes difficile, mais il n’en ressort pas que la situation serait telle que tout musulman slave du Kosovo, du fait de sa confession ou de son appartenance à une ethnie, aurait raison de craindre la persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 28 novembre 2000, Monsieur BIBIC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 20 septembre 2000.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation personnelle ainsi que de celle qui règne actuellement au Kosovo.

Il estime qu’on ne saurait soutenir qu’« une situation de paix se serait actuellement établie au Kosovo », mais qu’au contraire, les « violences meurtrières » resteraient à l’ordre du jour, malgré la présence d’une force internationale. Il relève que ce seraient particulièrement les minorités vivant au Kosovo qui seraient exposées à des persécutions.

Concernant sa situation personnelle, le demandeur soutient qu’un retour au Kosovo le mettrait en péril grave, qu’en raison de son appartenance à la minorité des musulmans slaves il risquerait d’être persécuté par les Albanais qui, à l’heure actuelle, domineraient la région qu’ils 3 ont habitée avant leur départ, que les Albanais auraient déjà pillé la maison de ses parents, qu’« après avoir fréquenté l’école serbe et appris la langue serbo-croate et non la langue albanaise, il est une persona non grata en milieu albanais, avec les périls qui s’ensuivent (…) », qu’« après avoir fui l’armée yougoslave respectivement refusé de servir dans ses rangs, le requérant serait exposé au risque de sanctions dans le milieu serbe, lequel a démontré à suffisance le peu de valeur qu’il attache à la vie humaine … ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur BIBIC et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur BIBIC lors de son audition en date du 21 octobre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’il reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Force est encore de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise vis-à-vis de la minorité des musulmans slaves ou 4 « bosniaques » du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place encourageraient d’éventuelles exactions des Albanais du Kosovo ou ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Concernant plus particulièrement, le motif tiré de l’insoumission, force est de constater qu’en cas de retour au Kosovo, le demandeur, depuis le départ des autorités et forces serbes, ne risque plus rien de ceux-ci pour avoir refusé de servir dans l’armée fédérale. En outre, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef de Monsieur BIBIC une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. D’autre part, il ne ressort des éléments du dossier ni qu’il risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, lui ont été effectivement infligés ou risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Pour le surplus, Monsieur BIBIC reste également en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région ou province de la Yougoslavie, notamment au Monténégro, et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne, étant donné qu’il ne saurait pas faire valoir utilement qu’une possibilité de fuite interne lui soit impossible en raison de son insoumission et du risque de se retrouver sous l’autorité des autorités fédérales, eu égard à l’évolution favorable de la situation actuelle en Yougoslavie et, plus particulièrement, de la loi d’amnistie récemment votée par le Parlement fédéral visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

5 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 3 mai 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12519
Date de la décision : 03/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-03;12519 ?

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