La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12481

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 mai 2001, 12481


Tribunal administratif N° 12481 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 novembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

============================

Recours formé par Monsieur … LATIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12481 et déposée en date du 13 novembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, insc

rit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … LATIC, né le … à Berane, ...

Tribunal administratif N° 12481 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 novembre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

============================

Recours formé par Monsieur … LATIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12481 et déposée en date du 13 novembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … LATIC, né le … à Berane, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à …, tendant à la réformation de la décision du ministre de la Justice du 28 août 2000, lui notifiée le 12 septembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que contre la décision ministérielle confirmative du 17 octobre 2000 intervenue sur recours gracieux daté au 11 octobre 2000 et notifiée au mandataire du requérant en date du 20 octobre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 11 janvier 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au greffe du tribunal administratif;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en leurs plaidoiries à l’audience publique du 29 mars 2001;

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

En date du 12 octobre 1998, Monsieur … LATIC, né le … à Berane, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».Monsieur LATIC fut entendu en date du 12 octobre 1998 par un agent du service de la police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

Le 28 juillet 1998, Monsieur LATIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 28 août 2000, notifiée le 12 septembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur LATIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez transité à travers la Bosnie, la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France pour arriver au Luxembourg le 12 octobre 1998 vers 6.00 heures.

Vous exposez avoir fait votre service militaire pendant quatre mois et demi à Subotica en Serbie. Vous auriez déserté lorsqu’un agent serbe vous aurait fait savoir que vous seriez bientôt stationné au Kosovo.

La raison de votre désertion aurait été que vous n’auriez pas voulu tuer des innocents.

Vous expliquez que vous risqueriez une peine d’emprisonnement à cause de votre désertion. Vous auriez reçu une convocation au tribunal militaire de Belgrade.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, le conflit armé au Kosovo s’est terminé en mai 1999 avec le retrait des troupes fédérales yougoslaves de sorte que la crainte d’y être envoyé pour tuer des innocents n’est plus justifiée.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. (…) ».

Par courrier de son mandataire du 11 octobre 2000, Monsieur LATIC a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 17 octobre 2000, Monsieur … LATIC a fait introduire, par requête déposée en date du 13 novembre 2000 au greffe du tribunal administratif, un recours en réformation contre la décision du ministre de la Justice du 28 août 2000, notifiée le 12 septembre 2000, et contre la décision du 17 octobre 2000 rejetant le recours gracieux formé le 11 octobre 2000 contre la décision du 28 août 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours, le requérant fait exposer être originaire du Monténégro et être de confession musulmane. Il aurait effectué son service militaire au sein de l’armée fédérale yougoslave pendant quatre mois et demi, puis il se serait enfui de la caserne. Il aurait choisi de s’enfuir parce qu’il aurait été prévenu qu’il risquait d’être envoyé dans un proche avenir au front au Kosovo et qu’il y aurait été obligé de tirer sur des civils, ce qui lui aurait causé de graves problèmes de conscience, quelle que soit la confession des victimes. Le requérant fait valoir ne pas pouvoir rentrer au pays au vue du risque qu’il courrait d’être poursuivi en tant que déserteur. Il aurait reçu une convocation devant le tribunal militaire de Belgrade en date du 5 octobre 1998 à laquelle il n’aurait pas obtempéré. A son retour au pays il risquerait de se faire condamner à une peine de prison disproportionnée par rapport au délit de désertion commis.

Le délégué du gouvernement a répondu aux affirmations du requérant en faisant valoir que l’insoumission ne constituerait pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié. Le délégué a encore insisté sur la situation politique nouvelle régnant en République Fédérale Yougoslave pour conclure au rejet de la demande du requérant.

Dans son mémoire en réplique, le requérant a insisté que les faits à la base de sa demande seraient établis à suffisance de droit, de sorte que les conditions pour se voir reconnaître le statut de réfugié politique seraient remplies. A titre subsidiaire, il a demandé l’institution d’une expertise afin de voir dresser un rapport détaillé quant aux traitements réservés aux déserteurs respectivement aux insoumis ayant quitté le pays pendant la proclamation de l’état de guerre et la possibilité ou l’impossibilité pour les autorités monténégrines de protéger ses citoyens vis-à-

vis des arrestations pratiquées par les forces militaires serbes.

Aux termes de l’article 1er section A 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas seulement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laisse supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais le tribunal apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur LATIC lors de son audition du 28 juillet 1998, telles que celles-ci ont été relatées dans le rapport figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit l’existence dans son chef d’une crainte actuelle justifiée de persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou des ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant notamment le motif de la désertion invoqué par le requérant, force est de constater que la désertion, à l’instar de l’insoumission ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée de persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou des ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er section A, 2. de la Convention de Genève.

Le requérant reste en outre en défaut de prouver avoir été condamné pour insoumission, respectivement pour désertion, malgré une convocation au tribunal qui date de du 5 octobre 1998. Il reste à ajouter qu’il ne résulte pas du libellé de cette convocation qu’elle ait pour objet l’insoumission, respectivement la désertion du requérant, ladite convocation se bornant à faire une référence au code pénal de la République de Yougoslavie, sans qu’il ne soit possible de déterminer quel est le contenu de l’article visé. Le requérant reste en outre en défaut d’établir qu’une condamnation pour insoumission, respectivement pour désertion le cas échéant encourue, serait d’une sévérité dépassant la normale et qu’elle serait effectivement exécutée à son encontre. Le requérant fait lui-même état d’une loi d’amnistie votée au Monténégro pour les personnes se trouvant dans sa situation. Il ne ressort pas des éléments du dossier que cette loi ne serait pas appliquée et qu’elle ne fournirait aucune protection aux personnes concernées.

Il faut encore souligner la nouvelle situation politique qui règne en République Fédérale de Yougoslavie, un nouveau président y ayant été élu et un nouveau gouvernement y ayant été formé. Dans ces conditions, il n’y pas lieu d’ordonner l’expertise demandée à titre subsidiaire par le requérant, ce dernier ne fournissant aucun élément quant à des risques actuels qu’il encourrait en rentrant dans son pays.

L’examen des arguments et déclarations avancées par le demandeur amène le tribunal à conclure que, dans leur ensemble et en substance, ils constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur fasse état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles qu’il y aurait raisonnablement lieu d’admettre que ses conditions de vie seraient intolérables dans son pays d’origine.

Il résulte des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, le dit non fondé et en déboute, condamne le requérant aux frais de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 mai 2001 par :

M. Ravarani, président Mme Harles, juge suppléant Mme Didlinger, juge suppléant en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12481
Date de la décision : 03/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-03;12481 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award