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03/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12454

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 mai 2001, 12454


Tribunal administratif N° 12454 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par les époux … SIJARIC et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12454 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … SIJARIC, né le … à Bijelo-Polje (Monténégro/Yougoslavie),...

Tribunal administratif N° 12454 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2000 Audience publique du 3 mai 2001

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Recours formé par les époux … SIJARIC et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12454 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … SIJARIC, né le … à Bijelo-Polje (Monténégro/Yougoslavie), et … …, née le … à Bijelo-Polje, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs… , …, … et …, respectivement nés les …, … et … à Bijelo-Polje, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 juin 2000, notifiée le 16 août 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 21 septembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2001 au nom des demandeurs;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 20 mai 1999, les époux … SIJARIC et … …, préqualifiés, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande 1 en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … SIJARIC et … … furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 22 juillet 1999, les époux SIJARIC-… furent en outre entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.

Par décision du 22 juin 2000, notifiée le 16 août 2000, le ministre de la Justice informa les consorts SIJARIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile au Monténégro en date du 14 mai 1999 en direction de Podgorica, d’où vous avez continué votre chemin jusqu’à Sarajevo. Y ayant séjourné deux jours, vous avez trouvé un passeur vous ayant proposé de vous conduire jusqu’au Grand-Duché de Luxembourg. Quant au chemin exact emprunté, vous prétendez ne pas pouvoir en donner de détails.

Vous Monsieur SIJARIC, vous relevez avoir été libéré du service militaire pour cause de maladie à l’âge de 18 ans et ne pas avoir été appelé à la réserve après.

Vous exposez avoir été membre du parti SDA. Alors que les membres actifs ont été battus, vous, en tant que simple adhérent, exposez ne pas avoir eu de problèmes à cause de votre adhésion au parti.

Par contre, vous déclarez avoir quitté votre pays en raison des menaces, injures et humiliations que vous avez dû subir de la part des Serbes, vous ayant traité de “ Turque ”.

Vous précisez avoir assisté une fois à un conflit entre vos voisins serbes à la suite duquel la police vous aurait frappé sans aucune raison.

Vous faites valoir une peur à l’égard du pouvoir actuel, des Serbes et notamment de vos voisins, en précisant que cette peur serait liée à la fois à la politique et à votre confession musulmane.

De votre côté, Madame SIJARIC, vous déclarez avoir fui votre pays en raison des “ tchetniques ” armés, habitant votre région. Vous ajoutez avoir subi des insultes de la part des Serbes. Ainsi ils vous auraient téléphoné et conseillé à votre famille de quitter le pays sous peine d’être tuée. Vous dites avoir peur de la guerre et de vos voisins, en précisant que cette peur serait liée à votre confession musulmane.

Quant aux motifs invoqués à l’appui de vos demandes d’asile, il y a lieu de relever en premier lieu que le fait d’avoir été frappé par la police, invoqué par vous, Monsieur SIJARIC, ne constitue pas une persécution telle que prévue par la Convention de Genève.

Ainsi, même si votre récit a trait à des pratiques certainement condamnables, le fait invoqué n’est cependant pas d’une gravité telle - même à le supposer établi - qu’il justifierait une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, en disant vous-

2 même ne pas savoir les raisons de ladite agression, vous affirmez clairement qu’elles ne sont pas liées à votre adhésion au parti SDA et donc à vos attitudes politiques.

Concernant votre peur à l’égard de la guerre et des Serbes en général, elle n’est pas de nature à justifier une persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, la reconnaissance de statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour une des raisons énumérées par la Convention de Genève.

Quant aux autres allégations, qui ne sont par ailleurs corroborées par aucun élément de preuve, il ne s’en dégage pas que vous risquez d’être persécutés pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève.

Vous restez donc en défaut d’exposer un quelconque fait justifiant une crainte justifiée de persécution en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de l’appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. ».

Par lettre datée du 17 septembre 2000, les consorts SIJARIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 22 juin 2000.

Par décision du 21 septembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 30 octobre 2000, les consorts SIJARIC-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 22 juin et 21 septembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Monténégro et de religion musulmane, qu’ils ont quitté leur pays d’origine par crainte des « tchetniques » et en raison du fait que les musulmans y seraient discriminés.

Ils relèvent qu’ils auraient été insultés et menacés au téléphone par des Serbes et que des voisins serbes les auraient notamment traités de « turcs » et qu’ils n’auraient pas pu 3 demander l’aide de la police, alors qu’à l’occasion d’un conflit entre voisins, Monsieur SIJARIC - simple témoin - aurait été « frappé sans aucune raison » par un policier. Ils ajoutent, dans ce contexte, que les autorités en place dans leur pays d’origine, contrairement à leurs engagements au titre des conventions internationales de sauvegarde des droits de l’homme, ne protégeraient pas la population musulmane contre les abus commis par la population serbe.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits, en reprochant, en substance, au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits et circonstances prérelatés qui justifieraient une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs, tout en développant plus amplement leurs moyens et arguments, demandent au tribunal « si par impossible le Tribunal estime qu’elle ne dispose pas les éléments nécessaires pour toiser la demande d’asile des requérants [sic] » d’ordonner « une expertise par la nomination d’une organisation non-

gouvernementale ayant pour objet d’examiner et de dresser un rapport détaillé quant aux traitements réservés aux personnes appartenant à la communauté Bochniaques [sic] dans la république Fédérale de Yougoslavie ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts SIJARIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux SIJARIC-….

En l’espèce, sur base des éléments du dossier et sans qu’il soit nécessaire de recourir à des vérifications ou mesures d’instructions supplémentaires - telle que celle suggérée par les demandeurs -, l’examen des déclarations faites par Monsieur SIJARIC et son épouse, Madame …, lors de leurs auditions respectives en date du 22 juillet 1999, telles que celles-ci ont été 4 relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le tribunal constate que les demandeurs basent leurs craintes de persécution sur le fait que les musulmans seraient discriminés par les Serbes dans leur pays d’origine en raison de leur religion. Les demandeurs y ajoutent avoir peur des « tchetniques » présents dans la région où ils habitaient.

Or, ces craintes s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans ce contexte, les menaces et insultes émanant de Serbes et le fait d’avoir été frappé par un policier, faits non autrement circonstanciés, - aussi condamnables qu’ils puissent être -

ne sont pas, à les supposer établis, d’une nature suffisamment grave pour justifier un risque de persécution au sens de la Convention de Genève et de rendre à raison la vie des demandeurs intolérable dans leur pays d’origine.

Par ailleurs, le fait d’avoir été frappé par un policier n’est pas suffisant pour établir que les demandeurs n’aient pas pu faire appel à une protection de la part des autorités de leur pays d’origine face à des comportements répréhensibles de la part d’un groupe de la population - la population serbe en l’occurrence - à leur encontre. En effet, une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays, la notion de protection de la part du pays d’origine n’impliquant pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais supposant des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. En d’autres termes, une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que les demandeurs d’asile aient concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s). Or, en l’espèce, les demandeurs n’ont pas démontré que les autorités en place au Monténégro ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à la population de cette région ou qu’ils toléreraient voire encourageraient des comportements répréhensibles telles que ceux prérelatés.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

5 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 3 mai 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12454
Date de la décision : 03/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-03;12454 ?

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