La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/05/2001 | LUXEMBOURG | N°12627

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 mai 2001, 12627


Numéro 12627 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2000 Audience publique du 2 mai 2001 Recours formé par Madame … DACIC, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12627 du rôle, déposée le 15 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscr

it au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DACIC, née le … à...

Numéro 12627 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2000 Audience publique du 2 mai 2001 Recours formé par Madame … DACIC, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12627 du rôle, déposée le 15 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DACIC, née le … à Rozaje (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 septembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 8 novembre 2000, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme étant manifestement infondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 janvier 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2001 par Maître TINTI pour compte de Madame DACIC;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Madame … DACIC, préqualifiée, introduisit en date du 2 février 1999 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

En date du 12 août 1999, elle fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame DACIC par lettre du 20 septembre 2000, lui notifiée en date du 2 octobre 2000, que sa demande d’asile avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations qu'en date du 28 janvier 1999 vous avez quitté Rozaje pour vous rendre à Novi Pazar en Serbie. Vous avez quitté Novi Pazar le jour même à bord d'un camion qui vous a amenée en Allemagne où vous êtes arrivée le 1er février 1999. Vous avez fait le trajet jusqu'au Luxembourg à bord d'une VW Golf de couleur rouge.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée, le 2 février 1999.

Vous exposez que vous vivez non loin de Pec au Kosovo et que vous avez quitté votre pays en raison de la panique qui y régnait à cause du conflit armé au Kosovo. Vous dites également avoir eu peur d'être agressée ou violée.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que vous n'êtes pas membre d'un parti politique et que la politique ne vous intéresse pas.

De même ne faites-vous pas état d'une persécution en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques.

Or selon l'article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, « une demande d'asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu'elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d'asile d'être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d'asile ». Par ailleurs, l'article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d'asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur n'invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l'article 9 de la de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par Madame DACIC par l’intermédiaire de son mandataire en date du 2 novembre 2000 à l’encontre de la décision ministérielle précitée s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 8 novembre 2000, elle a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions précitées des 20 septembre et 8 novembre 2000 par requête déposée en date du 15 décembre 2000.

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, prévoyant expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal est compétent pour connaître du recours introduit, lequel est également recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir que les décisions déférées relèveraient d’une erreur manifeste d’appréciation des faits en ce sens que ce serait à tort que le ministre est arrivé à la conclusion que les faits par elle invoqués ne justifieraient pas l’existence dans son chef d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Elle se réfère plus particulièrement aux menaces de la part de soldats yougoslaves, lui ayant notamment crié que son « tour allait venir », dont elle aurait fait l’objet et à sa peur d’être victime de violences graves de la part des soldats ou d’autres individus agissant pour compte des autorités étatiques. Elle expose que les menaces ainsi proférées à son encontre devraient être appréciées dans le cadre des fortes tensions entre orthodoxes et musulmans ayant existé au moment de sa fuite et seraient partant motivées par sa religion musulmane. Elle conclut que ces faits, dont la crédibilité ne saurait être mise en cause, fonderaient dans son chef une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que ce serait à tort que le ministre a considéré sa demande d’asile comme étant manifestement infondée.

Le délégué du Gouvernement rétorque qu’une « lecture attentionnée » du rapport de l’audition de la demanderesse confirmerait l’analyse ministérielle de sa situation, vu qu’elle aurait déclaré ne pas avoir été membre d’un parti politique ou « d’un groupe social » et ne pas avoir subi de persécutions personnelles pour n’avancer à l’appui de sa crainte personnelle de persécution que « c’est de la politique que tout le monde a peur ». Il soutient qu’en fin de compte, la demanderesse n’aurait exprimé qu’un sentiment général d’insécurité en relation avec sa peur d’être violée ou agressée qui ne répondrait pas aux exigences d’une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

La demanderesse fait répliquer que le ministre resterait en défaut de préciser en quoi sa demande d’asile serait manifestement infondée et de justifier de l’analyse de sa demande conformément à l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996. Elle affirme qu’un fait unique pourrait justifier le bénéfice de la protection accordée par la Convention de Genève pour autant qu’il se révèlerait être d’une gravité suffisante et de nature à rendre la vie de la personne concernée insupportable dans son pays d’origine, pour conclure que la seule question à poser en l’espèce serait celle de savoir si les faits par elle invoqués seraient de nature à rendre sa vie insupportable en cas de retour dans son pays d’origine. La demanderesse ajoute que la charge de la preuve lui incombant devrait être appréciée « avec une extrême indulgence, eu 3 égard à la situation globale en Yougoslavie et eu égard à la nature des faits à prouver » et qu’elle devrait admise au bénéfice du doute en présence de son récit des faits tout à fait crédible.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement (…) ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore et notamment que la crainte invoquée ne soit pas manifestement dénuée de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si la crainte invoquée par la demanderesse peut être qualifiée de manifestement dénuée de fondement tel que retenu par le ministre à travers les décisions déférées.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’elle n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir le Monténégro.

En effet, lors de son audition, la demanderesse a fondé son départ de son pays d’origine par sa peur d’être violée ou agressée par les soldats de l’armée yougoslave en tant que jeune fille musulmane, étant donné qu’elle aurait vécu près de Pec où il y avait la guerre.

Elle a admis qu’elle n’avait pas eu d’activité politique, qu’elle n’avait pas subi de persécutions personnelles et qu’elle n’avait pas été accusée d’un crime ou délit et n’avait jamais été incarcérée sans jugement. Elle a déclaré qu’elle aurait peur de la politique et plus particulièrement d’une guerre au Monténégro.

Le tribunal constate, d’une part, que la demanderesse base ses craintes de persécution sur la situation générale existant dans son pays d’origine, à savoir le Monténégro, et sur son appartenance à la religion musulmane et au sexe féminin, sans apporter davantage de précisions quant aux persécutions qu’elle risquerait personnellement de subir du fait de cette situation. En effet, la référence à des menaces de la part de soldats yougoslaves passant sur la route ne constitue à cet égard pas un élément suffisamment précis de nature indiquer dans le chef de la demanderesse une crainte réelle de persécution et relève en principe d’une criminalité de droit commun. Les autorités luxembourgeoises ont partant été mises dans l’impossibilité d’examiner, en plus de la situation générale régnant au Monténégro, sa 4 situation particulière et de vérifier concrètement et individuellement si elle a raison de craindre d’être persécutée. Les éléments invoqués dans ce contexte s’analysent dans leur ensemble en l’expression d’un sentiment général d’insécurité en raison de la mauvaise situation générale au Monténégro.

Il se dégage des considérations qui précèdent que la demanderesse reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir le Monténégro.

La demande d’asile ne repose dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile de Madame DACIC comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours formé par elle est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 mai 2001 par:

Mme LENERT, premier juge, Mme LAMESCH, juge M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12627
Date de la décision : 02/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-02;12627 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award