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25/04/2001 | LUXEMBOURG | N°12603

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 avril 2001, 12603


Numéro 12603 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 25 avril 2001 Recours formé par les époux … et … SALIC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12603 du rôle, déposée le 13 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique DE MEESTER, avo

cat à la Cour, assistée de Maître Catherine GRAFF, avocat, tous les deux inscrits au tableau d...

Numéro 12603 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 25 avril 2001 Recours formé par les époux … et … SALIC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12603 du rôle, déposée le 13 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique DE MEESTER, avocat à la Cour, assistée de Maître Catherine GRAFF, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SALIC, né le … à Plav (Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Plav, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L- … , agissant en leur nom personnel et en nom et pour compte de leur fille mineure… , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 29 juin 2000, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 8 novembre 2000, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Catherine GRAFF et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 mars 2001.

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Le 4 janvier 1999, Monsieur … SALIC et son épouse, Madame …, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux SALIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Madame … fut entendue en date du 4 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande, tandis qu’une audition afférente de Monsieur SALIC eut lieu le jour suivant.

Le ministre de la Justice informa les époux SALIC-…, par lettre du 29 juin 2000, notifiée en date du 14 septembre 2000, que leur demande avait été rejetée aux motifs suivants : « Il résulte de vos déclarations qu'en date du 26 décembre 1998 vous avez quitté votre domicile à Plav en train en direction de Bar, d'où vous avez continué votre trajet en bus en direction de Kotor/Monténégro. Ayant traversé la Croatie et la Slovénie, vous êtes arrivés au Luxembourg, pays dont vous dites qu'il représente « un petit paradis » et que les conditions de vie sont bonnes.

Vous, Monsieur, vous affirmez avoir accompli votre service militaire en 1992/1993 au Monténégro et avoir été appelé à la réserve en décembre 1998. Or, n'ayant pas voulu aller à la guerre au Kosovo et y tuer des Albanais, vous avez décidé de prendre la fuite.

Vous précisez avoir des origines albanaises et ne pas vouloir tuer des gens vous étant si proches. Vous relevez qu'en cas de retour dans votre pays vous craignez une peine de prison de 6 ans en raison de votre insoumission. Habitant près de la frontière du Kosovo, vous exposez avoir peur des Serbes contrôlant la frontière. Vous avez surtout peur pour votre femme qui au moment de l'audition était enceinte. Toutefois, vous ne faites pas état de persécutions personnelles.

De votre côté, Madame, vous affirmez avoir fui votre pays en raison de la peur à l'égard des mauvais traitements, du régime politique régnant dans votre pays, des Serbes et de M. Milosévic. Même si la guerre est terminée, vous déclarez ne pas vous sentir en sécurité tant que les Serbes occupent votre région. Vous précisez avoir peur en raison de votre confession musulmane et ceci d'autant plus que vous êtes d'origine albanaise.

Toutefois, vous ne faites pas état de persécutions propres.

Concernant votre premier motif, à savoir la crainte d'une éventuelle sanction pénale en raison de l'insoumission, il y a lieu de relever que des poursuites pénales ne peuvent pas être considérées en tant que telles comme une persécution au sens de la Convention de Genève.

Quant à votre refus de faire la guerre contre les Albanais, il y a lieu de noter qu'au regard de la paix qui règne actuellement dans votre région, vous ne serez pas contraint à participer à des actions militaires auxquelles vous pourriez vous soustraire pour des raisons de conscience valables.

Par ailleurs, le fait d'avoir invoqué une peur générale à l'égard des mauvais traitements, du régime politique régnant dans votre pays, des Serbes et de M. Milosévic n'est pas de nature à justifier une persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, la reconnaissance de statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d'asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle 2 qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour une des raisons énumérées par la Convention de Genève.

Concernant votre crainte due à votre confession musulmane, je dois constater qu'il n'est pas établi que la situation serait telle que tout Musulman, du seul fait de sa confession ou de son appartenance à une ethnie, aurait raison de craindre la persécution.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (..) ».

Le recours gracieux formé par les époux SALIC-… moyennant courrier daté au 13 octobre 2000 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 8 novembre 2000.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 29 juin et 8 novembre 2000, les époux SALIC-… ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 13 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être originaires du village de Plav au Monténégro, région qui subirait toujours les exactions des autorités serbes, et qu’ils feraient partie de la communauté religieuse musulmane. Quant à la situation générale au Monténégro, ils font état, d’une part, d’attaques de « guérillas albanaises » qui continueraient malgré la fin officielle du conflit yougoslave et, d’autre part, d’hostilités entre Albanais et non-Albanais et ils estiment que l’arrivée au pouvoir du président KOSTUNICA ne serait pas de nature à impliquer nécessairement une amélioration de la situation au Monténégro. Les demandeurs font valoir que, si la situation générale ainsi décrite ne justifie pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié politique, elle devrait néanmoins être rapprochée de leur situation particulière « pour rendre une décision cohérente », mais que le ministre serait resté en défaut de se référer à la situation générale existant au Monténégro et, plus particulièrement, à celle des Monténégrins de confession musulmane afin de justifier sa décision. Les demandeurs se fondent encore sur l’insoumission du demandeur … SALIC qui n’aurait pas donné de suites à un appel à la réserve militaire lui parvenu en décembre 1988, au motif qu’il aurait refusé de combattre et de tuer ses « frères de confession albanaise » [sic], et ils soutiennent qu’il risquerait de subir une peine d’emprisonnement pour désertion en cas de retour dans son pays d’origine. Ils estiment que leurs peur et angoisse constantes de se voir infliger des mauvais traitements et le fait que la demanderesse … aurait mis au monde en janvier 1997 un enfant mort né en raison de mauvais soins pratiqués durant sa grossesse constitueraient des éléments complémentaires de nature à étayer une crainte légitime de persécution dans leur chef. Tout en reprochant encore au ministre d’avoir négligé 3 de prendre en compte leur situation sur le territoire luxembourgeois et leurs facultés d’intégration, ils concluent ainsi à la réformation des décisions ministérielles déférées et à la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux SALIC-… lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des consorts SALIC-… une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leur opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, Monsieur SALIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par 4 rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur SALIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission, ainsi que des lois d’amnistie votées tant par le parlement du Monténégro que, plus récemment, par le parlement yougoslave visant toutes les deux les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que les condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

En outre, le moyen des demandeurs tiré de craintes de persécutions en raison de leur appartenance à la communauté religieuse musulmane constitue en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine. Lors de leurs auditions respectives, les demandeurs, tout en fondant leur peur sur leur religion et leur origine albanaise, ont déclaré avoir peur essentiellement des Serbes et du « régime actuel » et ont confirmé ne pas avoir personnellement subi de persécutions et ne pas avoir été accusés ou incarcérés sans jugement.

Concernant ensuite le mauvais traitement médical de Madame … qui aurait conduit à la mise au monde d’un enfant mort né, force est encore de constater que, quelque soit le caractère dramatique de ces faits, ils ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, étant donné que les demandeurs laissent d’établir un quelconque indice que le mauvais traitement ainsi allégué serait le résultat d’une persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, la situation des demandeurs sur le territoire luxembourgeois et leurs facultés d’intégration restent sans incidence sur l’appréciation de l’existence d’une crainte avec raison de persécution dans leur chef.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

5 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 avril 2001 par:

M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12603
Date de la décision : 25/04/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-04-25;12603 ?

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