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25/04/2001 | LUXEMBOURG | N°12538

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 avril 2001, 12538


Tribunal administratif N° 12538 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 décembre 2000 Audience publique du 25 avril 2001

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Recours formé par Monsieur … RUJOVIC et son épouse, Madame … , … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12538 et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2000 par Maître Ard

avan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Tribunal administratif N° 12538 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 décembre 2000 Audience publique du 25 avril 2001

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Recours formé par Monsieur … RUJOVIC et son épouse, Madame … , … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12538 et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RUJOVIC, né le … à Gatore (Monténégro) et de son épouse, Madame …, née le … à Bijelo-Polje (Monténégro), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 juillet 2000, notifiée le 14 septembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que contre une décision confirmative du même ministre du 8 novembre 2000, notifiée à leur mandataire en date du 15 novembre 2000, intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom des demandeurs en date du 5 février 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mars 2001.

Vu la rupture du délibéré prononcée en date du 16 mars 2001 ;

Ouï Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs observations complémentaires à l’audience publique du 23 avril 2001.

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1 Le 16 février 1999, Monsieur … RUJOVIC, préqualifié, et son épouse, Madame …, préqualifiée, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Le même jour, les époux RUJOVIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux RUJOVIC-… furent entendus séparément en date du 13 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 20 juillet 2000, notifiée le 14 septembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux RUJOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: “ (…) Il résulte de vos déclarations qu’en date du 12 février 1999 vous avez quitté votre domicile au Monténégro en bus en direction de Sarajevo, d’où vous avez continué votre route à l’aide de deux passeurs jusqu’au Grand-Duché de Luxembourg. Quant au chemin exact emprunté, vous prétendez ne pas pouvoir en donner de détails.

Vous, Monsieur, vous déclarez avoir accompli votre service militaire en 1987/1988 en Croatie et avoir été appelé à la réserve en date du 12 février 1999. Comme vous n’aviez pas accepté l’appel, la police militaire se serait ensuite présentée à votre domicile, mais en vain ;

vous aviez déjà pris la fuite. En effet, vous avez préféré vous enfuire au lieu de devoir aller à la réserve au Kosovo et y tuer des gens innocents. Selon vos dires, c’est en raison de votre confession musulmane que vous refusez de tuer des gens. Vous précisez qu’en cas de retour dans votre pays vous craignez une peine de prison de 2 à 3 ans.

Il ressort également de votre dossier que vous avez été provoqué verbalement. Ainsi votre patron vous aurait dit que les Musulmans du Monténégro allaient subir le même sort que les Musulmans du Kosovo. Vous faites en outre état d’une peur générale à l’égard du régime actuel et du tribunal, peur qui serait d’ailleurs liée à votre confession musulmane.

Toutefois, vous relevez ne pas avoir été membre d'un parti politique.

De votre côté, Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari, en ce qui concerne les raisons de votre fuite, due à un appel à la réserve de votre conjoint. Vous affirmez de plus avoir peur des Serbes en précisant que cette peur serait liée à votre confession musulmane.

Concernant les motif invoqués à l’appui de vos demandes d’asile, à savoir en premier lieu la crainte d’une éventuelle sanction pénale en raison de l’insoumission, il y a lieu de relever que des poursuites pénales ne peuvent pas être considérées en tant que telles comme une persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant le refus de tuer et donc de participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience, il ne ressort pas des éléments du dossier, que vous risquez de 2 devoir participer effectivement et actuellement à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables.

Par ailleurs, le fait d’avoir invoqué une peur générale à l’égard du régime actuel, du tribunal et des Serbes n’est pas de nature de justifier une perséction au sens de la Convention de Genève. En effet, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énumérés par la Convention de Genève.

Quant à votre peur en raison de votre confession musulmane, il y a lieu de noter, qu’il n’est pas établi que la situation serait telle que tout Musulman du Monténégro, du seul fait de sa confession, aurait raison de craindre des persécutions.

Dans ces circonstances je considère que vous ne faites pas état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre pays d’origine.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…). ” Par courrier de leur mandataire datant du 12 octobre 2000, les époux RUJOVIC-… ont fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative datant du 8 novembre 2000, ils ont fait introduire en date du 4 décembre 2000 un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 20 juillet et 8 novembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demandeurs reprochent au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits en retenant que les éléments par eux soumis ne seraient pas de nature à fonder dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution. Ils exposent dans ce contexte que le départ de leur pays d’origine aurait été motivé par le fait que Monsieur RUJOVIC ne voulait pas faire la guerre contre des innocents et qu’encore à l’heure actuelle, ils exprimeraient le même souhait de ne pas rentrer dans leur pays d’origine, alors que Monsieur RUJOVIC risquerait d’y être poursuivi pour cause de désertion et de subir une peine allant jusqu’à 20 ans de prison. Dans la mesure où c’aurait été pour des raisons de conscience qu'il n'aurait pas pu accepter, en tant que musulman, d’être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves, Monsieur RUJOVIC serait à considérer comme entrant dans le champ d’application de l’article 1er A. 2 de la Convention de Genève, étant donné que sa désertion serait de nature à l’exposer en cas de retour dans son 3 pays d’origine à une sanction d’une sévérité disproportionnée, l’exposant à un traitement discriminatoire en raison non seulement de son attitude, mais aussi et surtout de sa confession musulmane.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs. Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux RUJOVIC-… lors de leurs auditions respectives du 13 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des consorts RUJOVIC-

… une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, que d’autre part, il n’est établi ni que Monsieur RUJOVIC risque actuellement de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité 4 religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève, ni encore que pareille condamnation, fût-elle acquise, serait effectivement exécutée à son encontre, ceci au regard de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe.

Pour le surplus les arguments et déclarations faites par les demandeurs constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils fassent état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 avril 2001 par:

M. Campill, premier juge, Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12538
Date de la décision : 25/04/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-04-25;12538 ?

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