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25/04/2001 | LUXEMBOURG | N°12451

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 avril 2001, 12451


Tribunal administratif N° 12451 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2000 Audience publique du 25 avril 2001 Recours formé par Monsieur … RAMDEDOVIC, Esch-sur-Alzette contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12451 du rôle, déposée le 30 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Virginie HENRY, avocat à la Cour, assistée de Maître Céline BOTTAZZO, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembo

urg, au nom de Monsieur … RAMDEDOVIC, né le … à Berane (Monténégo), de nationalité...

Tribunal administratif N° 12451 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2000 Audience publique du 25 avril 2001 Recours formé par Monsieur … RAMDEDOVIC, Esch-sur-Alzette contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12451 du rôle, déposée le 30 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Virginie HENRY, avocat à la Cour, assistée de Maître Céline BOTTAZZO, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RAMDEDOVIC, né le … à Berane (Monténégo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 mai 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 25 septembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jasmine POOS, en remplacement de Maître Virginie HENRY, et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 4 septembre 1998, Monsieur … RAMDEDOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur RAMDEDOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur RAMDEDOVIC fut entendu en date du 19 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur RAMDEDOVIC, par lettre du 8 mai 2000, notifiée en date du 6 juin 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« (…) Il résulte de vos déclarations que vous êtes sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg depuis le 15 août 1997. Vous n’avez cependant demandé l’asile que le 4 septembre 1998.

Vous indiquez que vous étiez membre du parti libéral du Monténégro. Ce parti a comme but l’indépendance du Monténégro. Vous n’avez pas eu de problèmes à cause de vos activités politiques, mais le président du parti libéral de la section de Berane aurait été battu dans un salon de coiffure par la police du Monténégro.

Vous exposez que vous avez fait votre service militaire de 1995 à 1996. Vous avez reçu un premier appel pour la réserve militaire en mai 1997 et un second appel en septembre 1998. Vous avez refusé de faire la réserve étant donné que vous ne vouliez pas aller au combat. Selon votre opinion, il serait très dangereux pour les musulmans de faire l'armée.

Vous expliquez que vous avez peur d’une condamnation par le tribunal militaire, sans être en mesure de préciser quelle peine vous attend.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions.

Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur RAMDEDOVIC en date du 5 juillet 2000 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 25 septembre 2000, notifiée au prédit mandataire le 27 septembre 2000.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 8 mai et 25 septembre 2000, Monsieur RAMDEDOVIC a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 30 octobre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le délégué du gouvernement soulève en premier lieu l’irrecevabilité du recours pour avoir été introduit en dehors du délai légal d’un mois à partir de la notification de la décision confirmative de refus du 25 septembre 2000, notifiée le 27 septembre 2000.

En vertu de l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996, le recours, dirigé contre une décision ministérielle par laquelle une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été déclarée infondée au sens de l’article 11 de la même loi, doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision afférente.

En l’espèce, il est constant que le délai de recours à l’encontre de la première décision de refus du ministre datant du 8 mai 2000, ayant commencé à courir à partir de sa notification intervenue en date du 6 juin 2000 à Monsieur RAMDEDOVIC, a valablement été interrompu par l’introduction du recours gracieux du demandeur suivant courrier de son mandataire datant du 5 juillet 2000.

Il est encore constant que la décision confirmative sur recours gracieux du ministre a été rendue en date du 25 septembre 2000 et notifiée au mandataire du demandeur le 27 septembre 2000.

Force est de constater que la décision confirmative constitue la décision finale au sens de l’article 10, pris en son deuxième alinéa, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, en ce sens qu’elle statue de manière définitive sur la demande introduite par Monsieur RAMDEDOVIC en vue de se voir octroyer le statut de réfugié politique au Grand-Duché de Luxembourg.

Or, conformément à cette disposition réglementaire, la décision finale, outre d’être adressée, en cas de désignation d’un mandataire, à celui-ci, est également et en toute occurrence à notifier à la partie elle-même.

En l’espèce, il se dégage des pièces versées au dossier que la décision ministérielle du 25 septembre 2000 fut uniquement adressée au mandataire de Monsieur RAMDEDOVIC, aucune notification à ce dernier n’étant par ailleurs alléguée, voire établie en cause.

3 Dans la mesure où le recours gracieux introduit dans le délai du recours contentieux contre une décision administrative a pour effet de reporter le point de départ du délai de recours contentieux à la date de la notification de la nouvelle décision statuant sur cette réclamation (cf. trib. adm. 3 avril 1997, n°9753 du rôle, Muratovic, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure contentieuse, n°45 et autres références y citées), force est dès lors de constater qu’en l’espèce, à défaut de notification de la décision ministérielle prérelatée du 25 septembre 2000 au demandeur, le délai du recours contentieux n’a pas commencé à courir, de sorte que le recours introduit en date du 30 octobre 2000 a été introduit dans le délai de la loi. Le recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes de la loi, il est partant recevable.

Au fond le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de religion musulmane, que même si la région « ex-Yougoslavie du Monténégro n’est plus actuellement en situation de guerre, elle se trouve toujours sous contrôle serbe », qu’à la suite de la guerre du Kosovo, les tensions ethniques et religieuses se seraient aggravées au Monténégro, que le fait d’appartenir à la « population musulmane vivant dans la région du Monténégro » entraînerait « de nombreuses persécutions provenant de la politique d’épuration ethnique de la part du gouvernement serbe », que cette hostilité serait également répandue au sein de l’armée fédérale yougoslave, dans la mesure où des « règlements de compte » auraient régulièrement lieu à l’encontre des membres de la communauté musulmane, qu’après son service militaire effectué en 1995-1996, il aurait été appelé à la réserve militaire en mai 1997 et septembre 1998, pour « être envoyé en tant que réserviste en Croatie durant une partie du conflit armé yougoslave », qu’en raison de sa religion musulmane, il aurait fait l’objet de brimades et de multiples traitements inhumains et dégradants desquels il aurait gardé des « traumatismes psychologiques importants », qu’après avoir reçu le deuxième appel à la réserve, il aurait décidé de quitter son pays et de fuir vers le Grand-Duché de Luxembourg.

Il fait ajouter qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait d’être condamné voire persécuté par les Serbes en raison de son insoumission, qu’il motive par des raisons religieuses, et que dans ce contexte, il risquerait une peine d’emprisonnement de 3 à 5 ans.

Il fait encore préciser qu’il aurait quitté son pays d’origine non seulement en raison d’un sentiment général d’insécurité mais en raison d’une crainte réelle pour sa vie d’autant plus que de nombreux jeunes musulmans seraient décédés au cours de l’accomplissement de leur service militaire, du fait des persécutions et des mauvais traitements qu’ils y auraient subis.

En outre, sa crainte de persécution trouverait plus particulièrement son origine dans des motifs d’ordre religieux, en sa qualité de membre d’une communauté musulmane vivant au Monténégro.

Enfin, il estime que les libertés telles que garanties par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne seraient pas respectées par l’armée yougoslave serbe.

Sur base des faits ainsi soumis, le demandeur estime avoir subi des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il risquerait de se voir exposer à des exactions en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte à devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

4 Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur RAMDEDOVIC lors de son audition du 19 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, au vu notamment des élections ayant eu lieu en Serbie, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la peine - d’emprisonnement - éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de 5 déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission et de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

En ce qui concerne l’argumentation développée par le demandeur quant à une éventuelle violation par les autorités de son pays d’origine des engagements pris au titre de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, force est de constater qu’il n’indique ni quels seraient les droits prévus par ledit instrument juridique international qui auraient été concrètement violés par les autorités monténégrines ou yougoslaves, ni encore les droits dont lesdites autorités resteraient concrètement en défaut de garantir le respect, ni encore dans quelle mesure cette situation, au cas où elle serait établie, serait de nature à constituer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations du demandeur restent vagues et qu’il n’a pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’il risquerait personnellement de subir du fait de sa confession musulmane, de sorte qu’il convient de conclure qu’il n’a pas fait état de persécutions vécues ou d’une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Le recours en réformation laisse partant d’être fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, 6 et lu à l’audience publique du 25 avril 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12451
Date de la décision : 25/04/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-04-25;12451 ?

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