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25/04/2001 | LUXEMBOURG | N°12302

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 avril 2001, 12302


Tribunal administratif N° 12302 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 septembre 2000 Audience publique du 25 avril 2001

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Recours formé par Monsieur … TOMAN et la société anonyme EUROTRACK S.A., … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 4 septembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude WASSENICH, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … TOMAN, chauffeur professionne...

Tribunal administratif N° 12302 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 septembre 2000 Audience publique du 25 avril 2001

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Recours formé par Monsieur … TOMAN et la société anonyme EUROTRACK S.A., … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 4 septembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude WASSENICH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … TOMAN, chauffeur professionnel, demeurant à CZ … , et de la société anonyme EUROTRACK S.A, établie et ayant son siège social à L- … , représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 3 août 2000, refusant d’accorder un permis de travail à Monsieur … TOMAN ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé le 3 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude WASSENICH pour compte de Monsieur … TOMAN, préqualifié, et de la société anonyme EUROTRACK S.A, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique déposé le 2 février 2001 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Claude WASSENICH, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 11 avril 2000, la société anonyme EUROTRACK S.A., préqualifiée, fit parvenir à l’administration de l'Emploi, ci-après dénommée « l’ADEM », une « fiche d’embauchage » concernant Monsieur … TOMAN, préqualifié, pour un poste de chauffeur routier.

1 Par courrier du 8 février 2000 (sic), l’ADEM informa la société anonyme EUROTRACK S.A que l’instruction du dossier relatif à … TOMAN concernant la demande en obtention d’un permis de travail en sa faveur, était en suspens et elle sollicita la communication de certaines pièces, dont une déclaration d’engagement, une copie de son passeport, un certificat de résidence ainsi qu’une lettre explicative justifiant son engagement.

La société anonyme EUROTRACK S.A, par courrier du 20 avril 2000, fit parvenir à l’ADEM les documents demandés en indiquant toutefois qu’un certificat de résidence ne pourrait être produit, « vu qu’il s’agit d’une première immatriculation au Luxembourg ».

La déclaration d’engagement, jointe au courrier précité, datée également du 20 avril 2000, énonça que Monsieur TOMAN était engagé à partir du 3 avril 2000 comme chauffeur routier international, moyennant un contrat à durée indéterminée pour une durée de travail hebdomadaire de 40 heures.

Le permis de travail fut refusé à Monsieur TOMAN par arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé le « ministre », du 3 août 2000 « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes:

- des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 15 chauffeurs de poids lourds internationaux inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi et 8 personnes ont été assignées à l’employeur (le 9e ne s’est pas présenté) - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - occupation irrégulière depuis le 3 avril 2000 - recrutement à l’étranger non-autorisé - augmentation inquiétante de la moyenne des demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi durant les six dernières années : 3.526 en 1993 / 5.351 en 1999 ».

Par requête déposée le 4 septembre 2000, Monsieur TOMAN et la société anonyme EUROTRACK S.A ont introduit un recours en annulation contre l’arrêté ministériel du 3 août 2000 pour excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi.

Sur base de l’article 31 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, qui dispose que « le tribunal, suivant la gravité des circonstances, peut, dans les causes dont il sera saisi, prononcer, même d’office, des injonctions, supprimer des écrits, les déclarer calomnieux (…) », le tribunal écarte la pièce déposée avant l’audience fixée pour les plaidoiries, en l’espèce un « e-mail [datant du 10 mars 2001] que [Maître WASSENICH] a reçu de la part de la société anonyme EUROTRACK S.A (…) », pour revêtir un caractère hautement injurieux et vexatoire à l’égard du délégué du gouvernement.

2 A l’appui de leur recours, les demandeurs prennent exhaustivement position en fait et en droit, par rapport aux 6 motifs de refus invoqués par le ministre pour soutenir qu’aucun des motifs ne saurait légalement motiver la décision querellée.

Il convient en premier lieu de relever qu’une décision administrative individuelle est légalement motivée du moment qu’un des motifs invoqués à sa base la sous-tend entièrement.

En l’espèce, parmi les six motifs invoqués à la base du refus ministériel déféré figure celui du recrutement à l’étranger non autorisé, amplifié par le délégué du gouvernement dans le cadre de son mémoire en réponse par rapport à la législation applicable, à savoir l’article 16 de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’Emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, ensemble la jurisprudence afférente de la Cour administrative.

Concernant ledit moyen, les demandeurs font valoir plus particulièrement qu’il n’y aurait pas eu recrutement à l’étranger de Monsieur TOMAN par la société anonyme EUROTRACK S.A, étant donné que Monsieur TOMAN aurait déjà travaillé auparavant au Luxembourg auprès d’une société de transport, que la société anonyme EUROTRACK S.A n’aurait pas débauché Monsieur TOMAN de cette société, mais que ce dernier se serait présenté de façon spontanée auprès d’elle pour solliciter un emploi. La société anonyme EUROTRACK S.A reconnaît néanmoins que le précédent employeur avait engagé Monsieur TOMAN « sans que ses papiers n’étaient en règle ». Les demandeurs estiment en toute hypothèse avoir respecté la procédure à suivre pour l’embauchage d’un travailleur étranger et qu’ils ne sauraient encourir aucun reproche à cet égard. A ce titre, ils soulignent qu’ils ont envoyé les papiers d’engagement aux services de la sécurité sociale et à l’ADEM et que Monsieur TOMAN a été affilié à la caisse de la sécurité sociale à partir du 3 avril 2000.

Les demandeurs relèvent ensuite que l’arrêté déféré ne se serait de toute manière pas référé à une absence d’autorisation de séjour dans le chef de Monsieur TOMAN pour refuser le permis de travail, de sorte que ce moyen ne saurait être pris en considération dans le présent litige, même si une telle autorisation devait être obligatoire. A ce sujet, ils considèrent encore que « l’autorisation de séjour est toute relative, puisque de toute façon les ressortissants belges, néerlandais, français ou allemands, qui peuvent être considérés comme des frontaliers, n’ont pas besoin d’une autorisation de séjour sur le territoire de Luxembourg, puisqu’ils n’y résident pas ». Ils enchaînent en énonçant que le métier de chauffeur routier serait un métier bien particulier, que souvent le chauffeur serait absent pendant plus de 15 jours du pays, qu’ensuite, il bénéficierait de quelques jours de repos où il rentrerait chez lui et que son domicile pourrait alors se trouver dans un autre pays, qui ne serait pas forcément un pays frontalier avec le Luxembourg. Ils comparent ensuite cette situation avec la situation des pilotes d’avions et des hôtesses de l’air, pour conclure que « l’on voit mal pourquoi la situation des chauffeurs routiers devrait être discriminatoire, parce que plus restrictive, que celle des autres métiers cités ».

Les demandeurs tirent finalement argument de ce que l’article 16 (2) de la loi précitée du 21 février 1976, qui fixerait « en principe pour l’ADEM le monopole de procéder au recrutement de travailleurs non-ressortissants de l’EEE dans les Etats non membres de l’espace de l’EEE », serait à considérer comme illégal « vu les traités régissant l’espace économique européen, interdisant les situations de monopoles (voir le marché du téléphone, du courrier, de l’électricité, etc) ». Ils estiment notamment que si le monopole qui existait 3 antérieurement pour la poste aurait été « battu en brèche », de même que serait éliminé le monopole de la fourniture de l’électricité, le monopole de l’ADEM n’aurait plus de raison d’être et devrait être considéré comme contraire au traité européen.

En dernier lieu, ils se réfèrent à un accord politique qui aurait été conclu entre le Luxembourg et la République Tchèque et qui prévoirait des possibilités d’accès à des emplois au Luxembourg aux travailleurs tchèques.

Le tribunal, sur base des pièces et renseignements qui ont été mis à sa disposition, constate que s’il est vrai que dans la déclaration d’engagement prévisée, Monsieur TOMAN a indiqué être de nationalité tchèque, cependant, le candidat à l’emploi n’a, à aucun moment, allégué, ni, a fortiori, établi qu’à la date de sa demande en obtention du permis de travail et, plus particulièrement, au moment de la prise de la décision ministérielle attaquée, il a disposé d’un titre de séjour valable pour le Grand-Duché de Luxembourg. – Dans ce contexte, il est sans incidence qu’il aurait travaillé à un titre ou un autre au Grand-Duché de Luxembourg, alors qu’il est établi que Monsieur TOMAN n’a jamais bénéficié ni d’un permis de travail l’autorisant à occuper légalement un travail au Luxembourg ni d’une autorisation de séjour l’autorisant à résider légalement au Luxembourg.

Or, un travailleur n’ayant pas d’autorisation de séjour valable au Grand-Duché de Luxembourg est à considérer comme ayant été recruté à l’étranger (cf. Cour adm. 7 novembre 2000, Andrade Teixeira, n°11962C du rôle, non encore publié).

L’article 16 de la loi précitée du 21 février 1976 précise que le recrutement de travailleurs à l’étranger est de la compétence exclusive de l’ADEM, sauf l’exception où un ou plusieurs employeurs, sur demande préalable, ont été autorisés par cette administration à procéder eux-mêmes à un tel recrutement « pour compléter et renforcer les moyens d’action de l’administration, notamment lorsque le déficit prononcé de main-d’œuvre se déclare » (doc.parl. n°1682, commentaire des articles ad. art.16).

En l’espèce, au vœu des dispositions de l’article 16(2) précité, l’employeur ayant eu l’intention d’engager Monsieur TOMAN, non ressortissant de l’Union Européenne, ni d’un pays faisant partie de l’Espace Economique Européen, aurait dû solliciter en premier lieu auprès de l’ADEM l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger.

Cette obligation est corroborée par les dispositions du même article 16 à travers son paragraphe (1) fixant le principe pour l’ADEM d’un monopole en vue de procéder au recrutement des travailleurs en dehors de l’Espace Economique Européen pour les raisons « inhérentes à la surveillance du marché d’emploi, ensuite pour des motifs concernant la santé publique, l’ordre public et sécurité publique, enfin dans l’intérêt de la protection de l’emploi et de la main-d’œuvre occupé dans le pays » (doc.parl. n°1682 loc.cit).

Par voie de conséquence, l’arrêté ministériel déféré est légalement justifié par le seul motif de refus tenant au recrutement non autorisé à l’étranger du demandeur par l’employeur intéressé, abstraction faite du caractère pertinent ou non des autres motifs invoqués à sa base, entraînant que l’analyse des moyens proposés y relativement devient à son tour surabondante.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le moyen, non autrement spécifié, consistant à soutenir que l’ADEM posséderait un « monopole » en vue du recrutement des travailleurs 4 étrangers illégal, c’est-à-dire contraire aux dispositions du traité européen, pour manquer en droit, étant donné qu’il n’existe aucune disposition de droit communautaire prohibant la compétence exclusive de l’ADEM en cette matière.

Par ailleurs, le fait que le Luxembourg a ratifié un « accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d’une part, et la République tchèque, d’autre part, accord repris dans une décision du Conseil et de la Commission du 19 décembre 1994 » et que « cet accord prévoit que les possibilités d’accès à l’emploi accordées par les Etats membres aux travailleurs de la République tchèque en vertu d’accords bilatéraux doivent être préservées et, si possible, améliorées » n’est pas de nature à conférer un droit individuel à un travailleur tchèque à l’obtention d’un permis de travail au Luxembourg, à défaut par le Luxembourg d’avoir conclu un accord avec la République tchèque consacrant un tel droit.

Concernant le moyen consistant à soutenir que les chauffeurs routiers seraient discriminés par rapport à d’autres métiers, notamment ceux de pilotes d’avion et d’hôtesse de l’air, le tribunal ne peut pas en tenir compte, pour manquer de précision et de cohérence.

Le recours en annulation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en annulation en la forme;

écarte des débats la pièce déposée en date du 12 mars 2001 par Maître Claude WASSENICH pour revêtir un caractère hautement injurieux et vexatoire à l’égard du délégué du gouvernement ;

au fond déclare le recours non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 25 avril 2001 par le vice-président, en présence de M. Legille greffier.

Legille Schockweiler 5 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12302
Date de la décision : 25/04/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-04-25;12302 ?

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