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04/04/2001 | LUXEMBOURG | N°12605

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 avril 2001, 12605


Tribunal administratif N° 12605 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par Monsieur … KORAC, Luxembourg contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12605 et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2000 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats Ã

  Luxembourg, au nom de Monsieur … KORAC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité you...

Tribunal administratif N° 12605 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par Monsieur … KORAC, Luxembourg contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12605 et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2000 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KORAC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, ouvrier, demeurant actuellement à L- … , tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 juin 2000, notifiée le 14 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ladite requête tendant en outre à voir annuler l’invitation ministérielle à ce qu’il quitte le territoire luxembourgeois;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sarah TURK, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 5 avril 2000, Monsieur … KORAC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur KORAC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 21 juin 2000, Monsieur KORAC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 28 juin 2000, notifiée le 14 novembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur KORAC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile au Monténégro en date du 7 mars 2000 en direction de Sarajevo, où vous avez séjourné jusqu'au 2 avril 2000, avant de venir au Luxembourg à l'aide d'un passeur. Vous exposez avoir traversé la Slovénie, l'Italie et la France avant d'arriver au Grand Duché en date du 5 avril 2000.

Vous déclarez ne pas avoir accompli votre service militaire, mais avoir été appelé à le faire à quatre reprises. Selon vos dires, vous auriez eu la dernière convocation début juin 2000, date à laquelle vous étiez déjà au Luxembourg. Vous expliquez avoir fui votre pays en raison des convocations pour le service militaire et en raison de l'armée en précisant que vous ne voulez ni vous battre pour M. Milosévic, ni être envoyé faire le service militaire dans une région autre que la vôtre. A cet effet, vous relevez que les jeunes du Monténégro ne peuvent pas faire leur service militaire au Monténégro, mais qu'ils doivent l'accomplir dans une autre région. Vous précisez que vous êtes recherché par la police militaire et qu'en cas de retour dans votre pays le tribunal militaire vous attend en raison de votre insoumission.

Vous relevez donc avoir peur de l'armée en expliquant que cette peur serait liée à la fois à votre confession musulmane et à votre adhésion au parti DPS. Toutefois, vous ne faites pas état de persécutions personnelles.

Concernant votre premier motif, à savoir la crainte du tribunal militaire en raison de votre insoumission, il y a lieu de relever que des poursuites pénales ne peuvent pas être considérées en tant que telles comme une persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, le fait d'avoir invoqué une peur générale à l'égard de l'armée, n'est pas de nature à justifier une persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, la reconnaissance de statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d'asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution pour une des raisons énumérées par la Convention de Genève. De plus, il n'est pas établi que la situation des Musulmans serait telle que tout Musulman, du fait de sa confession ou de son appartenance au parti DPS, aurait raison de craindre des persécutions de la part de l'armée.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

Vous êtes invité à quitter le territoire du Luxembourg dans le mois suivant la notification de la présente décision. Dans le cas où vous exerceriez un recours devant les juridictions administratives, vous devrez quitter le territoire dans le mois suivant le jour où la décision confirmative des juridictions administratives aura acquis le caractère de force de chose jugée. En cas de non respect des délais prescrits, un rapatriement sera organisé soit vers votre pays d’origine, soit vers tout autre pays où vous serez légalement admissible.

(…) ».

Par requête déposée en date du 13 décembre 2000, Monsieur KORAC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 28 juin 2000.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation personnelle ainsi que de celle qui règne actuellement au Monténégro.

Il expose avoir été convoqué à quatre reprises pour faire son service militaire, la première convocation remontant à l’époque des « bombardements », qu’il aurait préféré s’enfuir, d’abord à Sarajevo puis au Luxembourg, plutôt que de faire son service militaire, que son refus serait basé sur ses opinions politiques et sa religion musulmane, qu’il aurait, plus particulièrement craint de devoir participer à des combats dirigés contre des coreligionnaires et qu’il serait actuellement considéré comme un insoumis, de sorte qu’il risquerait d’être arrêté et condamné pénalement.

Sur ce, il conclut à la réformation de la décision ministérielle déférée en ce qu’elle refuse de lui reconnaître le statut de réfugié politique et en ce qu’elle l’invite à quitter le territoire luxembourgeois.

3 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur KORAC et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur KORAC lors de son audition en date du 21 juin 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’il reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, l’insoumission, principal motif de persécution allégué, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur KORAC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et 4 insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Ensuite, concernant la situation du demandeur dans son pays d’origine en raison de sa religion musulmane, il est vrai que la situation générale des musulmans au Monténégro est difficile, mais elle n’est cependant pas telle que tout musulman du Monténégro, du seul fait de sa religion, aurait raison de craindre une persécution de la part des autorités en place, et, en l’espèce, il ne ressort pas des éléments du dossier que Monsieur KORAC, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de sa religion musulmane ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé, de sorte que la crainte y afférente qu’il a exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé sous ce rapport.

Quant à l’invitation de quitter le territoire dont il a fait l’objet à travers la décision ministérielle critiquée, l’article 14 de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose que « si le statut de réfugié est refusé, soit au titre de l’article 10, soit au titre de l’article 12, le demandeur d’asile sera éloigné du territoire, en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

Un éloignement ne peut avoir lieu ni au cours de la procédure d’examen de la demande, ni pendant le délai d’introduction du recours prévu à l’article 13 ».

L’éloignement d’un étranger du territoire luxembourgeois peut être ordonné par le ministre sur base de l’article 12 alinéa 1er de la loi prévisée du 28 mars 1972 disposant que « peuvent être éloignés du territoire par la force publique, sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal à adresser au ministre de la Justice les étrangers non autorisés à résidence : (…) 2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ; 3) aux quels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la présente loi ; 4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis (…) ».

En l’espèce, l’ordre de quitter le territoire est motivé par la considération que le demandeur n’a pas pu obtenir la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, le présent jugement confirmant par ailleurs cette analyse ministérielle de sa situation.

Dans la mesure où la décision critiquée précise expressément que l’obligation de quitter le territoire national dans le mois prend effet le jour où la décision, soit celle initiale émanant du ministre soit la décision confirmative ultime des juridictions administratives, aura acquis un caractère inattaquable et où le présent jugement confirme le caractère non fondé de la demande d’asile présentée par le demandeur, le ministre pouvait prendre cette mesure sans se heurter aux dispositions dudit article 14.

Le demandeur n’invoque en outre pas avoir, à un quelconque autre titre, un droit de séjourner au Grand-Duché, l’ensemble de ses moyens au fond ayant trait à sa demande en octroi du statut de réfugié politique.

5 En l’absence d’un autre motif ayant légalement pu justifier la présence du demandeur sur le territoire luxembourgeois, le ministre a partant valablement pu ordonner au demandeur de quitter le territoire luxembourgeois en se basant sur son refus de reconnaissance du statut de réfugié politique.

Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 4 avril 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12605
Date de la décision : 04/04/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-04-04;12605 ?

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