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04/04/2001 | LUXEMBOURG | N°12579

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 avril 2001, 12579


Tribunal administratif N° 12579 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par les époux … ADROVIC et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12579 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2000 par Maître Jean-Ge

orges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon...

Tribunal administratif N° 12579 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2000 Audience publique du 4 avril 2001

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Recours formé par les époux … ADROVIC et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12579 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2000 par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie) et de son épouse, Madame …, née le … à Berane, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … , né le … à Berane et … , né le … à Esch-sur-Alzette, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 7 septembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Monique CLEMENT, en remplacement de Maître Jean-Georges GREMLING, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 mars 2001.

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Le 21 août 1999, Monsieur … ADROVIC, préqualifié, et son épouse, Madame …, préqualifiée, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … , préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, 1 approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux ADROVIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux ADROVIC-… furent entendus séparément en dates respectivement du 22 juillet et 23 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 7 septembre 2000, notifiée le 8 novembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux ADROVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations, Monsieur, qu’en date du 10 mai 1999 un passeur vous a conduit avec votre famille à Sarajevo. Vous êtes tous arrivés au Luxembourg en date du 21 mai 1999 après avoir traversé la Croatie, la Slovénie, l’Italie et l’Allemagne.

Vous avez déposé deux demandes en obtention du statut de réfugié le jour même de votre arrivée au Luxembourg.

Monsieur, vous exposez que vous auriez effectué votre service militaire en 1988/1989 à Mostar et que vous auriez reçu un appel à la réserve en mai 1999. Vous auriez entendu dire que vous auriez été condamné à quatre ans d’emprisonnement pour insoumission. Par ailleurs, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et de ne pas avoir personnellement subi de persécutions.

En ce qui vous concerne, Madame, vous admettez aussi ne pas être membre d’un parti politique. Vous auriez quitté votre pays d’origine en raison de l’appel à la réserve de votre mari et vous n’auriez pas personnellement subi de persécutions.

Il y d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

J’insiste sur le fait que la crainte d’une sanction pénale du chef d’insoumission ne constitue pas une crainte justifiée de persécution telle que visée par la Convention de Genève et que vous restez en défaut de présenter le moindre élément de preuve concernant l’existence et le contenu du prétendu jugement de condamnation.

Vous admettez d’ailleurs ne pas avoir personnellement subi de persécutions.

En outre, alors qu’une situation de paix s’est établie dans la région, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve imposerait la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Vous admettez d’ailleurs que vous auriez suivi l’appel s’il n’y avait pas eu de conflit armé.

2 En ce qui vous concerne, Madame, vous n’invoquez que des motifs d’ordre personnel sans citer un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Vous admettez d’ailleurs ne pas avoir personnellement subi de persécutions.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…). » Par requête déposée en date du 8 décembre 2000, les époux ADROVIC-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prérelatée du 7 septembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que Monsieur ADROVIC aurait été condamné à quatre ans de prison pour ne pas s’être présenté à la réserve, qu’ils craindraient actuellement qu’il soit traduit devant le tribunal miliaire et qu’ils auraient peur qu’une nouvelle guerre n’éclate au Monténégro. Ils exposent plus particulièrement que la situation politique ne serait toujours pas stable au Monténégro, que la présence actuelle des troupes de l’OTAN démontrerait la crainte de l’éclatement d’une nouvelle guerre et que depuis l’accession au pouvoir du président Vojislav Kostunica début octobre la situation ne se serait pas encore améliorée, de sorte qu’ils pourraient craindre avec raison des persécutions au sens de la Convention de Genève dans leur chef en cas de retour dans leur pays d’origine. Quant à leur situation individuelle ils se réfèrent plus particulièrement à la condamnation encourue par Monsieur ADROVIC, ainsi qu’à leur confession musulmane qui risquerait de les exposer à des persécutions pour des raisons religieuses.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a 3 pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs. Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux ADROVIC-… lors de leurs auditions respectives en dates des 22 juillet et 23 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission de Monsieur ADROVIC n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des consorts ADROVIC-… une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, Monsieur ADROVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il a encouru ou risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur ADROVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées du chef d’insoumission, ainsi que des lois d’amnistie votées tant par le parlement du Monténégro que, plus récemment, par le parlement yougoslave visant toutes les deux les 4 déserteurs et insoumis de l’armée fédérale serbe, que les condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Les demandeurs ont par ailleurs expressément déclaré lors de leurs auditions respectives qu’ils n’étaient pas membre d’un parti politique dans leur pays d’origine et qu’ils n’avaient aucune activité politique, qu’ils n’étaient pas persécutés par les autorités monténégrines mais qu’en tant que musulmans, ils avaient peur des Serbes.

Les arguments et déclarations faites par les demandeurs constituent partant l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils fassent cependant état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours en annulation irrecevable ;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 4 avril 2001, par Monsieur Campill, premier juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12579
Date de la décision : 04/04/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-04-04;12579 ?

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